Le goût du Japon chez Izumi
Izumi est un restaurant si discret qu’on pourrait passer devant sans même l’apercevoir. Et pourtant, ce tout petit bar à sushi du boulevard des Batignolles à Paris recèle quelques merveilles, comme du thon gras à tomber par-terre, une anguille délicatement parfumée et du vrai de vrai wagyu élevé en France. C’est rare, c’est bon, et c’est sans chichi.
Izumi, c’est le petit frère parisien de l’excellent sushi bar Yuzu, à Nice. Leur papa, c’est Patrick Duval, un ex-journaliste qui a vécu 5 ans au Japon et est resté très proche de ce pays. Il est aujourd’hui rédacteur en chef du magazine gratuit Wasabi et propriétaire de ces deux sushi bars taillés sur le même modèle. Chez Izumi comme chez Yuzu, il a fait simple, très simple : un mini-sushiya au décor simplissime, un bon chef et d’excellents produits, et puis c’est tout.
Spécialités de la maison : anguille, thon gras et wagyu
Ne nous attardons donc pas sur le cadre, et passons notre commande. Les spécialités de la maison, ce sont les anguilles, le thon gras et le wagyu. C’est donc ce que j’ai mangé, avec quelques sardines, car la sardine, « c’est le meilleur poisson en sushi », d’après Patrick Duval. Je suis assez d’accord avec lui, on a tendance à sous-estimer ce poisson fabuleux en France.
Je commence avec un grand classique, le temaki d’anguille. Il arrive dressé et maintenu sur un socle en bois. Toute la complexité, c’est d’être capable de photographier la chose sans laisser le temps à la feuille d’algue qui entoure le riz de se gorger d’humidité et de ramollir. Du coup, j’ai une photo pourrie, mais avec le temaki, on ne peut pas attendre.
Ce qui frappe en premier à la dégustation, c’est le riz qui est particulièrement bon. Le chef Terutaka Izumi sait ce qu’il fait, c’est un disciple du vénérable Keiji Sakaguchi qui officie aujourd’hui chez Yuzu, après plus de quarante ans passés en tant que maître sushi dans des restaurants japonais réputés.
Terutaka Izumi est un bon chef, mais contrairement à Keiji, il ne parle pas français, il est donc moins aisé de parler poissons avec lui. Comme beaucoup de gens ne viennent pas au restaurant pour causer avec le cuisinier, ce n’est pas vraiment un problème.
Des petites anguilles délicatement assaisonnées
Ce qu’on attend surtout de lui c’est de bien cuisiner, et justement, Terutaka réussit à la perfection la cuisson et l’assaisonnement de son anguille. Le restaurant fait venir des petites anguilles d’eau douce de Hollande, car là-bas, on sait y faire. Après le hareng, l’anguille est le deuxième poisson fumé le plus consommé aux Pays-Bas. Dans cette contrée, on les préfère petites : le fumage hollandais est réalisé avec des anguilles de 120 à 180 grammes, alors qu’en Allemagne par exemple, on table sur des calibres de 300 à 600 grammes.
Selon la FAO, parmi toutes les anguilles produites dans le monde, plus de 90% finissent en kabayaki (蒲焼) : il s’agit de poissons de petite taille beurrés, grillés, arrosés de sésame et marinés dans une sauce épaisse à base de soja, puis cuits à la vapeur ou grillés. Les anguilles sont directement commercialisées après cette transformation. Le vrai kabayaki traditionnel est plus complexe que ça, et n’implique pas de beurre, mais l’industrie n’est pas là pour faire fin et délicat.
Ces préparations réalisées en usine sont assez lourdes et cheap, trop sucrées, trop épaisses, et l’anguille en elle-même n’est souvent pas de très bonne qualité. C’est ce qu’on sert la plupart du temps en France – et partout ailleurs – dans les restaurants japonais, et c’est nul.
Chez Izumi, le chef se fait livrer ses petites anguilles entières et gère la totalité de la préparation du poisson. Le résultat est riche en arômes, léger, doux sans être sirupeux : on sent bien l’anguille, ce n’est pas gluant du tout, mais très fondant. On est très loin de la production industrielle infâme qui nage dans une sauce épaisse et écoeurante.
Thon de Méditerranée, avec parcimonie
Pour rester dans les poissons rares, chers, menacés et maltraités par l’industrie de la pêche, la star d’Izumi, c’est le thon gras. En fait, on a deux types de positionnement dans les bons restaurants japonais : il y a ceux qui décident de ne pas servir de thon du tout, histoire de laisser l’espèce en paix, et puis ceux qui décident d’en faire, mais moins, et seulement du très bon, donc cher (une portion de sashimi, certes conséquente, coûte 30 euros).
En fait, ce qui pose vraiment problème, ce sont tous les autres qui font du mauvais thon à la chaîne, peut-être pas du thon rouge, peut-être pas du thon de Méditerranée, mais ils en passent des tonnes chaque jour.
Prenez une chaîne comme Sushi Shop, ou bien les sushi minables de Carrefour, de Leclerc ou de n’importe quel hypermarché, ils sont en train d’écouler des stocks de poissons démentiels pour faire des cochonneries. Manger du thon qui vient de là, c’est grave. Mieux vaut goûter du vrai thon de Méditerranée une ou deux fois dans sa vie. Patrick Cadour de Cuisine de la Mer défend ce point de vue avec certainement plus d’éloquence que moi dans ce billet.
Chū-toro, le thon sublime
Chez Izumi, on sert du toro en sashimi, c’est-à-dire la partie ventrale du thon (la ventrèche en somme), la plus grasse et recherchée. Pour mieux comprendre l’anatomie du thon, je ne résiste pas à vous montrer le schéma de découpe des poissonniers japonais qui est l’exact équivalent de ces dessins de boeufs et porcs que l’on voit à la boucherie et qui me fascinaient quand j’étais enfant.
Vous pouvez voir toutes ces parties de l’animal dans les vitrines des poissonniers du marché de Tsukiji à Tokyo, j’ai pris quelques photos permettant de distinguer les différentes textures et couleurs des morceaux découpés à la japonaise.
En gros, toute la chair contenue dans la tête – Hoho-niku, la joue, noten, le sommet de la tête, et kama-toro, l’arrière-joue – est de loin ce qu’il y a de plus rare et de plus prisé, mais il faut vraiment être un fin connaisseur. On appelle ō-toro (大とろ) la partie extra-grasse et chū-toro (中とろ) la partie située juste sous la peau, moyennement grasse, juste parfaite.
Si vous commandez du toro chez Izumi, on vous servira du chū-toro de thon rouge de Méditerrannée. Difficile de faire mieux. Je n’en avais mangé qu’au Japon jusqu’alors ; on retrouve le même fondant incroyable – le poisson fond littéralement dans la bouche – et la même combinaison complexe de saveurs. Le chū-toro mêle en effet les arômes profonds de l’akami, avec un soupçon d’amertume, et la tendreté incomparable de l’ō-toro.
C’est une merveille, à commander en premier si vous voulez mon avis. Laissez-lui le temps de se réchauffer un peu à l’air ambiant pendant que vous dégustez autre chose, vous pourrez bien mieux apprécier toutes les nuances de ce morceau délicieux.
Wagyu et sardines de France
Après ce sashimi mémorable, place aux sushi. D’un côté, on a du wagyu, du boeuf japonais, de l’autre, de la sardine. Commençons par le boeuf. Comme je l’ai expliqué dans cet article qui raconte la vie d’un éleveur de wagyu au Japon, le terme wagyu regroupe plusieurs espèces typiquement japonaises.
Jusqu’à très récemment, impossible de trouver du vrai wagyu du Japon en France ; la viande japonaise n’était pas autorisée à l’importation et seuls les Australiens avaient le droit d’inséminer leurs vaches avec des semences japonaises.
Bientôt, le Cinq à Paris sera le tout premier restaurant à servir du wagyu venu du Japon. La parade utilisée par Izumi, c’est un éleveur belge un peu fou qui a passé une bonne partie de sa vie à tenter de constituer un élevage de pur wagyu dans le Nord de la France grâce aux semences japonaises trouvées en Australie. Je vous passe les détails rocambolesques de cette entreprise qui s’est étalée sur des années, le fait est qu’aujourd’hui, un seul homme en France produit du pur boeuf japonais (et c’est un belge).
Fondant, puissant, pas trop gras, Izumi le sert juste grillé à l’extérieur mais cru à l’intérieur – en tataki – il a ce très léger arôme grillé tout en gardant sa douceur caractéristique de sashimi. Une petite touche de daikon râpé au sommet (le radis japonais), un peu de ciboule, c’est vraiment très bon.
Redécouvrir la sardine grâce au sushi
Et puis la sardine, je l’ai redécouverte chez Izumi. En France, on traite souvent mal ce poisson, et pourtant, c’est l’un des meilleurs. Les sardines servies chez Izumi viennent de Méditerranée ; elles sont petites, découpées à la japonaise, c’est-à-dire filetées puis entaillées en biais. Ce sushi-là, c’est finalement ce qui m’a le plus marquée dans ce repas.
La sardine, c’est un poisson très vivant, même quand il est mort. Ce sont des saveurs qui viennent lentement, qui vous prennent par surprise : la longueur en bouche de la sardine est exceptionnelle, et elle est changeante, chantante, charmante. D’abord, on sent le poisson si frais, si fin qu’il vous paraît frétiller ; il est très doux au contact comme au goût.
Puis, doucement, les arômes vont monter en puissance, se ioder et se corser jusqu’à une sensation virile très différente de la première impression. Un bon sushi de sardine, c’est une belle expérience, et un bon moyen de juger de la qualité d’un restaurant de sushi. On vous le sert avec un tout petit peu de gingembre frais et de ciboule, c’est parfait. Avec ces poissons et ce boeuf venus de France, paradoxalement, on retrouve tout le goût du Japon.
Mochi à la fleur de cerisier pour le printemps
On pourrait rester là-dessus, mais une petite touche printanière vient clore ce somptueux repas : un petit mochi à la pâte d’azuki (les haricots rouges japonais) cuit dans une feuille de cerisier. La feuille n’est pas là pour décorer, on la mange. Hé oui, entre les fruits, les fleurs et les feuilles, les Japonais ne boudent rien de leur arbre fétiche. La feuille apporte un léger parfum de cerise au dessert, avec un côté évidemment plus végétal, ce n’est pas trop sucré.
Pour manger toutes ces spécialités, il faut compter une cinquantaine d’euros, mais c’est normal, la qualité a un prix. Le restaurant propose bien d’autres options, très bonnes également et moins chères, la carte est bien fournie. Bref, une référence pour les sushi et sashimi, au 55 boulevard des Batignolles dans le 8e arrondissement. Le restaurant est fermé le dimanche et le lundi.
merci beaucoup pour le schéma. En revanche, j’ai un peu de mal à comprendre ton extase : premier repas au bar à sushi correct et deuxième franchement très décevant, notamment l’anguille. Mauvais jour ou mauvais choix ? On n’a peut-être pas mis le prix ?
Chère Ariane, je suis étonnée, c’était très bon ce soir-là… Il ne pouvait pas vraiment tricher avec ce que j’ai choisi, et tout était impecc’. Du coup je me demande effectivement, si nous sommes tombées respectivement sur un mauvais et un bon soir. Qu’avais-tu commandé exactement ?
c’était le midi donc des menus plus « économiques » mais ce n’est pas une raison pour les maltraiter ou sinon on s’abstient ! pour ma part, un plateau de sushi et pour l’autre personne 100% anguille et il fut super super déçu vs ce qu’on connait au Japon
Mince, j’imagine ta déception. Ça s’est très bien passé pour moi, du coup j’imagine que c’est très inégal…
Tu as de saines lectures, merci beaucoup, et ne change rien à ton éloquence, elle me va très bien !
Je ne suis pas encore allé chez Izumi, pourtant à quelques encablures de mon bureau, mais maintenant que je sais qu’il y a de l’ADN de Nice inside, je suis de plus en plus tenté, et même il me parait urgent d’aller visiter un type qui met autant de soin à trouver de bons produits.
Tu as aussi le don pour me mettre sous le nez tout ce que j’aime, ce n’est peut-être pas un hasard si les trois poissons que tu décris, et le bœuf à saturation, sont riches en gras, le principal vecteur du goût.
Et puis c’est une chance, on entre en avril dans la saison de la sardine, j’adore ce poisson, et tu ne pouvais pas mieux la résumer en écrivant : « La sardine, c’est un poisson très vivant, même quand il est mort ». Je vais la garder au chaud cette phrase…
En l’écrivant, je me suis demandé à quel point j’en avais honte… Je ne voyais pas trop comment dire ça autrement, tout en me disant : « ça y est, tout le monde va savoir que je suis complètement nioque. »
Bon, on est au moins deux nioques, je n’y mettais aucune dérision, au contraire, j’aurais aimé l’écrire moi-même.
Ne t’inquiète pas, j’avais compris qu’il n’y avait aucun mépris là-dedans. Tu as toujours beaucoup de tendresse pour ma naïveté. Parler de nioques, ça me donne envie de relire du Pagnol, tiens.
Voltaire, Saint-Ex et d’autres vrais poètes ont écrit de belles pages sur la naïveté, le Candide, le Petit Prince, les objets inanimés… Toujours dans de vastes espaces plus ou moins oniriques. Cette naïveté qui est inanité dans un univers étriqué, c’est la première des qualités quand on veut tout vivre, tout intégrer pour avancer, et le partager dans l’écriture sans perdre la spontanétité. Tendresse si tu veux (merci pour ce mot),
mais plutôt de la reconnaissance, au premier sens, comme ces primitifs de je ne sais plus où, se saluaient en disant « je te connais ».
Drôle que tu cases Pagnol dans ces commentaires, je devais avoir 13 ans quand après avoir lu les souvenirs d’enfance, j’ai commencé à rédiger mes propres mémoires, et abordé le plaisir d’écrire. Ça n’est pas allé très loin, car je n’avais pas envie d’un journal intime, et encore moins la vision d’un point final.
Moi aussi je raffole des petites sardines de la Méditerranée, et j’adore ta phrase, « la sardine c’est un poisson très vivant, même quand il est mort. » C’est pas nioque pour un sou! Si tu permets, je l’utiliserai même en citation, un de ces jours…
Wow, je permets, je permets 🙂
J’ai même pas eu le courage de lire ce billet. Ça va encore me faire pleurer… Et c’est pas le jour.
Oulala, je ne veux pas faire pleurer les gens moi…
J’y suis allé samedi dernier. Par contre, pas de sardine ce jour là :(. Le wagyu en sushi était pas tip-top pour moi…Sinon le thon gras était juste parfait. J’y retournerai (histoire de goûter à cette sardine, si c’est possible).