Le fruit, un luxe au Japon

Mangez 5 fruits et légumes par jour, qu’ils disaient… Au Japon, vous n’y arriverez pas, à moins d’être très riche. Ici les fruits coûtent une véritable fortune, ainsi que certains légumes. Suivez-moi sur les étals des maraîchers, vous allez prendre peur en voyant les prix affichés.
Près de 13 euros (1300 yens) pour un kilo d’oranges, environ 6 euros les trois tomates (mais parfois beaucoup plus), un peu plus de 25 euros les douze fraises, bienvenue au Japon. Après avoir été habituée aux prix des fruits et légumes aux Philippines, je déchante assez vite en arrivant à Tokyo. Les prix sont effarants. Pourtant les fruits ne sont pas fourrés de diamants. Je vais tenter ici de planter le décor, et de vous expliquer pourquoi de tels tarifs sont pratiqués.
Lors de mes premières visites au Japon, je me souviens d’avoir été très perturbée par deux choses. La première, c’est que je ne parvenais pas à trouver de marchés. Cela m’a beaucoup surprise, car en Asie, le marché est partout, il est central, il est vital, il est grand et bien achalandé, et puis surtout, il est l’option la moins coûteuse pour acheter à manger. A Tokyo, il y a bien le marché municipal de Tsukiji, mais les tarifs sont prohibitifs. 30 euros les dix tomates, je dis non.
La deuxième, c’est le prix des fruits au supermarché et dans les magasins spécialisés. Tout coûtait si cher qu’on aurait cru une très mauvaise plaisanterie. A Kyoto, en plein été, j’avais acheté une seule pêche pour plus d’1 euro. Et elle n’était même pas bonne. J’avais dû la jeter, dépitée.
Le fruit est un plaisir rare
Je suis retournée de nombreuses fois au Japon, et je me suis rendue à l’évidence : les prix démentiels que j’avais pu observer la première fois n’étaient pas circonstanciels, ils sont la norme. Ici, il n’est pas étonnant de payer plus de 5 euros pour trois pommes, et bien plus pour des fruits plus prisés, tels que les fraises, le melon ou la pastèque. Comment expliquer cela ?
Tout d’abord, le fruit n’est pas considéré comme un aliment de base au Japon. Aux Philippines a contrario, le fruit est central. La banane et la noix de coco sont là-bas des piliers de l’alimentation, mais d’autres fruits tels que la mangue ou le durian, en saison, sont incontournables. On en mange tous les jours. En France, le fruit est un dessert ou un snack. On emmène facilement une pomme ou une banane dans son sac pour un petit en-cas simple et sain, on les mange négligemment, sans les préparer, sans y penser outre mesure.
Au Japon, ça ne marche pas du tout comme ça. Un fruit, ça se découpe avec soin, ça se bichonne, ce sera un très joli dessert, et surtout, ce ne sera pas de l’ordre du quotidien. Ici, la base, pour les végétaux, ce sont les légumes. Le fruit est quant à lui exceptionnel. Il nécessite donc un certain cérémonial. Ainsi vous ne verrez jamais un Japonais croquer dans un pomme dans la rue, alors que vous pourrez en voir manger tout un tas d’autres snacks. Le fruit se traite avec respect.
Faire pousser des fruits, un travail d’orfèvre
Pour vous donner une idée et une échelle de valeur, en 2000, la consommation moyenne de légumes par personne était de 101,9 kilos au Japon, selon le Ministère de l’agriculture japonais. La même année, un Américain moyen en consommait 137 kilos, et un Français 122 kilos. Les patates sont exclues de ces statistiques. Pour les fruits frais, la même année, la consommation moyenne d’un Japonais était de 41,5 kilos, contre 59 kilos pour un Français. La différence est considérable.
Ce qui est vrai au niveau de la consommation l’est aussi à celui de la production. Le Japon a toujours été réticent à importer des fruits. En effet, ses standards de qualité et de sécurité ne sont pas les mêmes que ceux des autres pays, en particulier la Chine, immense producteur voisin. Au Japon, on ne plaisante pas avec l’esthétique et le calibre des fruits, deux composantes primordiales, mais on est également très regardant sur les pesticides employés. Les consommateurs le savent et ne sont pas dupes; ils font très attention à la provenance des produits qu’ils achètent et préféreront toujours les fruits cultivés au Japon.
En effet ici, on cultive avec une attention et un soin rares. Faire pousser des fruits, c’est un travail d’orfèvre. La main d’oeuvre est nombreuse, qualifiée et japonaise, donc chère. Les terres sont rares, donc chères. La production est petite et hyperspécialisée, donc chère. Le rendement est faible, à cause du climat, trop humide pour la plupart des fruits très demandés tels que les fraises ou les pommes qui développent des maladies. Et comme l’usage des pesticides est limité, la production finale est d’autant plus faible, donc chère. On doit souvent avoir recours aux serres, et ça aussi c’est cher, il faut les acheter, les entretenir, les chauffer… Enfin, la sélection est drastique. Les fruits doivent correspondre aux critères de beauté très spécifiques des Japonais. Bref, on jette tous les fruits moches, et ceux qu’on garde sont jolis et peu nombreux, donc chers.
Si on récapitule, le prix final des fruits japonais est justifié par des méthodes de production qui fonctionnent au niveau national mais ne sont absolument pas compétitives à l’échelle mondiale. La terre est chère, la main d’oeuvre aussi, la production se fait à faible échelle et avec un rendement ridicule, aggravé par une sélection rigoureuse. Ce genre de système peut à la rigueur fonctionner lorsque les conditions naturelles sont à peu près clémentes.
Des chaînes de distribution interminables
Mais lorsque – et c’est souvent le cas au Japon – ces conditions sont pourries (inondations, séismes, éruptions volcaniques et tsunamis), ce mode de production sans la moindre souplesse crée des envolées de prix, comme c’est le cas ces derniers temps. Depuis le tsunami de mars 2011 et Fukushima, une partie des principales zones maraîchères du pays sont inutilisables ou contaminées, ce qui vient limiter la production. Et puis l’hiver a été très, très sec, et le printemps est terriblement pluvieux. Bref, des conditions défavorables qui ont fait grimper les prix des fruits, mais aussi des légumes.
En ce moment, le Japon, qui tient malgré tout à préserver son agriculture et ne souhaite pas importer outre mesure ses fruits et légumes, cherche des solutions pour éviter cette volatilité des prix des végétaux produits localement. Des coopératives se forment, avec des objectifs de production régionaux à atteindre. Le fait est qu’en l’absence de marchés alimentaires de détail dans les villes, la moindre instabilité des prix affecte une énorme chaîne de distribution.
Il est en effet rarissime de trouver des producteurs qui vendent directement leurs produits au Japon. Si vous voulez acheter, passez par la case supermarché. Au prix de production déjà élevé, vous devrez donc ajouter les marges de tous les intermédiaires qui interviennent jusqu’à la vente finale.
Importer ? C’est cher aussi
Malgré tous les efforts récents, le Japon importe de plus en plus de fruits, il n’a pas le choix. Trop de facteurs jouent en la défaveur de son agriculture. Les fruits tropicaux sont importés des Philippines, qui ont une production colossale et de grande qualité. Les agrumes viennent des Etats-Unis. Les pommes viennent de Corée.
Attention, n’allez pas croire que c’est moins cher si ça vient d’ailleurs, cette logique, qui s’applique partout, ne fonctionne pas au Japon, car le pays tient avant tout à protéger son marché intérieur. Les taxes sur les fruits importés peuvent atteindre des pourcentages incroyables. C’est notamment le cas des oranges, qui, en saison, sont taxées à hauteur de 32% de leur prix. Si cela vous intéresse, vous pouvez consulter ces taxes en détail ici, sur le site du Ministère des finances japonais. Ajoutez ensuite la TVA, et boum, vous avez un prix final explosif.
Et puis il y a un autre hic à l’importation : les Japonais n’aiment pas beaucoup voir que les fruits qu’on tente de leur vendre viennent de loin. Pour deux raisons : si c’est japonais, c’est forcément de meilleure qualité, et puis il faut soutenir les producteurs nationaux avant les étrangers. Ils préfèrent donc acheter local, quitte à devoir payer des fortunes.
Le melon à 100 euros ou le marché du fruit de luxe
Quand je parle de fortunes, je n’exagère pas. Il y a un véritable marché du fruit de luxe au Japon. Il vient se mêler à la tradition du cadeau pour donner un résultat fascinant : des corbeilles de fruits contenant une pomme, une orange et trois prunes pour 30 euros, ou des melons parfaits selon les critères japonais, emballés avec soin, qui peuvent coûter sans mal jusqu’à 100 euros pièce. Ca peut paraître fou, mais ces fruits trouvent preneur. Et puis il y a les fraises, un cas particulier sur lequel je reviendrai, car les Japonais meurent d’amour pour elles.
Bref, pour ma part, j’ai tiré une croix sur les mangues, oranges, pommes et autres ananas, et je me suis rendue à l’évidence : le Japon n’est définitivement pas un pays où je peux me permettre de manger des fruits, point de vue que partagent un grand nombre de jeunes Japonais qui n’ont pas les moyens de s’offrir de telles folies.
Voyant l’âge des consommateurs avancer et les achats diminuer, les paysans et commerçants japonais commencent à s’inquiéter, et ils ont de quoi. Une solution simple serait d’acheter chinois, et de baisser les taxes à l’import, mais c’est évidemment hors de question. A ce train-là, les prix n’ont pas fini de grimper.
Article intéressant si ce n’est que vous niez un détail majeur: les japonais commandent très souvent directement aux producteurs leurs fruits et légumes.
« Il est en effet rarissime de trouver des producteurs qui vendent directement leurs produits au Japon. Si vous voulez acheter, passez par la case supermarché. »
C’est faux, il est très connu que l’on peut directement se rendre chez le producteur (cueillette des fraises, mais pas que), ou commander auprès d’eux.
L’exemple le plus accessible et le plus facile pour les étrangers est tout simplement de se rendre sur le marché des fruits et des légumes du site Amazon.co/jp. Vous pouvez commander des cageots de pomme, d’orange, de kaki, de tomate pour des prix bien plus raisonnable (une 20 aine d’euros, en moyenne).
Donc, les fruits et les légumes sont-ils cher en supermarché et grande surface, oui. Sont-ils chers à la commande chez le producteur, non.
Chère Amélie-Marie,
Je ne nie rien, je suis au Japon depuis un peu plus longtemps que vous et cet article commence à dater. Depuis l’époque où il a été écrit le yen a perdu pas loin de la moitié de sa valeur. Votre cageot à 20 euros, il en valait près de 40 il y a 2-3 ans. 40 euros pour un cageot de pommes, c’est hors de prix. Et honnêtement, 20 euros aussi. En France, vous en auriez pour environ 5 euros. Car si on compare ce qui est comparable, les prix à la vente directe sont moins chers partout, et les tarifs restent plus élevés au Japon que n’importe où ailleurs. C’est tout simplement le seul pays producteur au monde à vendre des fruits aussi chers. On ne retrouve de tels tarifs que dans les pays plus ou moins exclusivement importateurs, comme la Norvège par exemple, où le niveau de vie est, soit dit en passant, bien supérieur au Japon.
Pour la vente directe, elle est en effet pratiquée sur le net, mais rares sont les petits producteurs qui viennent vendre leurs produits directement sur les marchés. Il y a souvent de très nombreux intermédiaires. Même dans les coopératives, les fruits restent chers. Bref, je parle ici de vente physique, et dans ce domaine, on n’a pas autant d’options au Japon qu’en France. Et toutes ces options restent onéreuses quoi qu’il arrive.
Quant à la cueillette des fraises, ce n’est pas un bon moyen d’avoir des fruits toute l’année que d’aller cueillir des fraises deux fois par an à un prix exorbitant – et je ne compte même pas le prix des transports dans l’histoire. Bref, je ne cherche pas à donner des trucs et astuces aux expats, ce n’est pas du tout le propos de ce papier ou de ce blog en général. J’expose simplement les raisons économiques des prix élevés de la plupart des fruits japonais.
Bonjour
J’ai dirigé pendant 10 une société japonaise de semence de légumes et j’ai pu visiter le pays dans toutes les directions.
Les légumes sont chers mais la vente direct (farmers shop) se développe un peu partout au Japon avec des subventions des coopératives et des gouvernements locaux
Je ne trouve pas les légumes si chers que ça ; ce sont surtout les fruits qui posent problème, mais on sait exactement ce qui justifie ces prix. Et évidemment, c’est moins cher lorsque l’on va directement voir les producteurs ou lorsqu’on vit dans une région agricole : les agrumes ne coûtent par exemple rien dans la préfecture de Wakayama, sur Kyushu ou Shikoku, les pommes sont tout à fait abordables dans la préfecture d’Aomori, les kakis sont très bon marché dans tout le Kansai, les ananas ne valent rien à Okinawa, etc. Tout cela est extrêmement localisé.
Au temps pour moi concernant l’âge de l’article (qui n’est pas indiqué) qui décale alors mon propos.
Il faudrait que je remette ça en place en effet, j’ai opté pour une présentation sans date il y a environ deux ans, mais je commence à avoir trop d’articles anciens. La date permettrait d’y voir plus clairs dans certains propos, notamment ceux qui ont été écrits juste après Fukushima… Hmf, je suis une paresseuse de la technique.
Quelle est votre source concernant la consommation moyenne de légumes en kg par pays ?
Une étude de deux économistes de l’US Department of Agriculture, John H. Dyck et Kenzo Ito (service étranger). Ce n’est pas bien compliqué à trouver si on cherche, c’est en ligne sur le portail officiel du gouvernement américain : http://www.ers.usda.gov/media/320488/wrs0406h_1_.pdf
Pour les chiffres français, le portail du gouvernement français est très bien aussi.
Merci !
Bonjour
Oui c’est sûr les fruits sont chers mais à Kyoto on n’atteint pas ces prix déments, il y a en plus dans les supermarchés des coins « fruits moches » bradés et des arrivages de saison (sauf les fraises!!). Par contre à l’import ce qui me gêne c’est la domination des grosses industries alimentaires type Chiquita, Del Monte etc. Dommage avec des pays producteurs pas si loin…
bonjour, j’ai une production des melons à vendre aux marchés japonais quelles sont les formalités à respecter, sachant que les produits vient de l’Algérie
Les Japonais n’importent pas de melons ; ils mangent des variétés bien particulières qu’ils font pousser sur place uniquement, d’où leur prix. Il est extrêmement difficile de vendre des fruits au Japon car leur cahier des charges est très contraignant et leurs critères sont très différents des nôtres, et certains fruits en particulier ne viennent jamais de l’étranger : les melons, la plupart des agrumes, etc.
La Corée du Sud c’est pas mieux que le Japon pour le prix des fruits.
En ce moment, 10 poires ou 10 pommes c’est entre 60 et 80€.
Je ne sais pas encore le comportement des Japonnais vis à vis des produits bio. A Madagascar, où je suis, nous produisons des fruits et épices 100% bio.
Je souhaiterai avoir des informations relatives aux conditions d’exportation vers le Japon
Merci
Bonjour Raveloson,
C’est le pays le plus dur pour l’exportation. Ils ne veulent rien qui vienne de l’étranger ou presque ! Leurs standards à l’importation sont impossibles à tenir, et ils ne s’intéressent pas vraiment au bio. Bref, c’est un marché à l’opposé de la France, vraiment pas intéressant pour des producteurs étrangers. Ils veulent du Made in Japan, et le Made in Japan coûte une fortune, d’où le prix débile des fruits là-bas.
Bonjour, j’aimerais avoir la référence complète de cet article, le mois et l’année de parution entre autre. Merci!
Bonjour,
je l’ai publié en mars 2012, mais il est toujours d’actualité. Je suis au Japon en ce moment, depuis deux mois je suis obligée de payer mes pommes et mes agrumes 1 euro pièce… Et encore, je prends les moins chers, et le taux du yen est plutôt avantageux !
merci!
Certains semblent étonnés que tu trouves les fruits chers au Japon, vraiment ? Pour ma part, je les trouve encore aujourd’hui plus cher qu’en France, et également moins variés. Pourtant, les prix sont plus raisonnables que ce que tu décrivais en 2012. A ce prix là, ce n’était même pas cher, mais totalement hors de prix !
Bonjour Morgan,
Je suis rentrée du Japon il y a 3 jours (un énième séjour de 3 mois, comme chaque année), même si le taux du yen était plus clément ces derniers temps, la pomme moyenne restait entre 128 et 158 yens hors taxes… Sans parler des pommes de riches à plus de 300 yens pièce. C’est fou. Quand elles sont farineuses à ce prix-là, ça me met en rage. Et elles étaient souvent farineuses cette fois-ci… Mauvaise année, l’an dernier elles m’ont paru bien meilleures !
Je souhaite savoir si les japonais consomme des escargots merci
La réponse est simple : non !
Bonjour,
quant est il pour le café, purée de fruits congelés , crabes ou anguilles, y a t-il un marché au japon pour ces types de produits.
Merci d’avance!
Bonjour,
Il n’y a pas vraiment de marché pour les exportations vers le Japon en général. C’est le marché intérieur le plus protectionniste du monde, ils n’importent quasiment rien (à part le café, mais ils sont très difficiles en matière de café et exigent généralement une production sur-mesure, gérée de l’étranger par des Japonais – même genre pour le cacao et quelques autres produits) et ils ont des standards d’importation incroyablement durs. Les anguilles ou les crabes par exemple, aucune chance. Aussi, si les fruits sont chers, cela ne veut pas dire qu’on pourrait gagner beaucoup d’argent en leur vendant des fruits. Ils sont chers pour de toutes autres raisons…