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Mandoobar : le ravioli coréen à Paris
Des restaurants coréens à Paris, il y en a pas mal, mais la plupart ne sont ni très bons ni très intéressants. Heureusement, depuis novembre dernier, il y a mieux : le Mandoobar, un bar à ravioli coréens niché dans le quartier des musiciens, près de la gare Saint-Lazare. Deux spécialités au menu : des ravioli vapeur et des tartares, réalisés à la perfection par un artisan d’une rare sagesse. C’est très bon, peu cher et c’est une expérience en soi. Bref, il faut y aller. Vraiment. Oui. D’ailleurs, allons-y.
L’année dernière, mon amie Luna, qui vient de Séoul, m’expliquait qu’elle regrettait le manque de diversité des restaurants coréens à Paris. On trouve facilement le sempiternel bibimbap, les petites crêpes à la ciboule et le barbecue coréen typique certes, mais si on cherche quelque chose d’un peu différent (ou simplement la même chose, mais servie différemment), on est rapidement déçu. Guibine, rue Sainte-Anne, ne s’en sort pas si mal, Manna, dans le XVème, est correct, et puis le reste est globalement assez nul. Heureusement, le Mandoobar relève nettement le niveau.
Dépouillement volontaire et assumé
Il a ouvert à la fin de l’année 2013 dans la plus totale discrétion, et a rapidement eu du succès grâce au bouche à oreilles et aux blogueurs. C’est d’ailleurs Le Gastronome Parisien, incollable sur les bonnes adresses de Paris, qui m’a donné envie d’aller voir ce restaurant de plus près. Parce que je ne serais peut-être jamais passée dans cette rue du VIIIème où il n’y a rien à part quelques ateliers de luthiers (très beaux par ailleurs). Et même si l’on passe par là, vu de l’extérieur, il n’y a pas grand chose à voir, pourtant tout est visible grâce à une immense baie vitrée. Mais en-dehors des heures des repas, la salle n’est pas forcément parlante, car très dépouillée.
Dépouillée mais jolie, très jolie. Un bar en U avec 12 sièges hauts, quelques éléments de cuisine très discrets au centre, un instrument traditionnel coréen sur le côté, exposé seul dans une alcôve, voilà, vous avez fait le tour. Tout est en bois clair, en briques brutes ou d’un blanc neutre. Et puis il y a ce mur du fond, incroyable, intrigant, évoquant des bouquins empilés.
Le dépouillement est volontaire et assumé, il se retrouve également dans la cuisine. Car le Mandoobar n’est pas un restaurant au menu compliqué, loin de là. C’est même tout l’inverse : c’est un restaurant de spécialités, qui ne propose que deux plats : ravioli et tartare. Ce qui ne vient pas forcément révolutionner l’offre des restaurants coréens à Paris en soi, mais en termes d’espace, de forme, d’ambiance, de démarche et de cuisine, on a enfin quelque chose de nouveau, de différent.
Le mandu, ravioli coréen à découvrir
Cette différence, on la doit au chef fabuleux de l’établissement, Kim Kwang-Loc, qui vous fixe de ses troublants yeux clairs – ambrés même – quand il vous parle. C’est un homme qui aime bien faire. Pour cela, il commence par ne pas s’éparpiller. Pas de créations à deux balles, pas de pirouettes, pas de coups d’éclat gratuits : il répète chaque jour les mêmes gestes, affinant, améliorant sans cesse sa technique et sa recette. Il cherche toujours à atteindre le tartare parfait, le ravioli parfait. Et on n’en est pas loin.
Ce tartare et ce ravioli, il faut en dire deux mots, histoire de situer un peu les choses. Le « ravioli » est un plat traditionnel en Corée, peut-être apporté au XIVème siècle par les Mongols, ou peut-être originaire du Moyen-Orient et adopté encore plus tôt grâce aux échanges effectués sur la route de la Soie. En tous cas, il est présent un peu partout en Asie aujourd’hui – voir mon papier sur le ravioli chinois étoilé de Din Tai Fung – jusqu’en Europe de l’Est. Son nom générique en Corée, c’est mandu / 만두 / 饅頭, prononcez « mandou », d’où le nom à l’anglaise « Mandoobar », très littéral.
Au pays du matin calme, le mandu a une place importante. On peut en manger dans bon nombre de restaurants et d’échoppes ou le faire à la maison, en famille. Pour le Nouvel An chinois, toutes les femmes s’y mettent, on en fait des tonnes. Et attention, il faut s’appliquer : on dit aux filles qu’elles auront un joli bébé si elles font de jolis mandu. Un peu sur le ton de la blague, et un peu sur le ton de la rumeur, en tous cas les filles se donnent du mal pour calibrer des mandu parfaits.
Les mandu peuvent être frits – si vous avez vu le film coréen Old Boy, les mandu frits ont une place très importante dans l’intrigue – on les appelle gunmandu / 군만두. Ils peuvent également être pochés (mulmandu / 물만두) ou cuits à la vapeur (jjinmandu / 찐만두). Enfin, ils peuvent prendre des formes diverses et être fourrés de plein de choses différentes. Au Mandoobar, vous ne trouverez que des mandu cuits à la vapeur et servis directement dans leur panier en bambou. On les mange légèrement trempés dans un mélange de sauce soja et d’huile de sésame – les Coréens en sont fous.
Le chef propose deux options seulement : une version végétarienne, fourrée d’un mélange savamment dosé de tofu, soja, chou chinois, ciboule et poireau (proche du somandu / 소만두 servi à l’origine dans les temples bouddhistes coréens), et une très viande, fourrée d’un mélange de porc et de boeuf hachés. Vous pouvez les commander par 8, par 10 ou par 12, les prix allant de 7 euros à 9,5 euros.
Ce n’est pas cher, et c’est très bon : tout est fait main à la dernière minute. La pâte est à base de farine de riz et de farine de blé, ce qui offre un rendu assez élastique, attention, ça colle au palais. La farce des mandu végétariens est une merveille, très riche en saveurs, moelleuse et légère. Celle des mandu à la viande est plus austère et plus sèche. C’est bon aussi, mais la version végétarienne (végétalienne même) a largement ma préférence. Elle est plus complexe, plus agréable à manger, et pour ne rien gâcher, elle est moins chère.
Les tartares, délicieux et éthiques
Lors de ma visite avec mon cher Patrick Cadour, nous avons voulu goûter à tout, ce qui est faisable car il n’y a que deux types de mandu donc, et en principe deux tartares : un au boeuf (9 euros), et l’autre au thon (10 euros). Manque de chance, ce jour-là, il n’y avait que du thon moche au marché, et le chef a préféré faire l’impasse. Il l’explique très simplement : « Si c’est bon, j’en prends et je le mets à la carte. Si ce n’est pas bon, je préfère ne pas en servir du tout. » Voilà une démarche intelligente. Il tient à son éthique, Kim Kwang-Loc. D’ailleurs, il ne sert jamais de tartare de thon le lundi, parce que le lundi, il n’y a pas de poisson frais.
Reste tout de même le tartare de boeuf, et il vaut le détour. Le tartare coréen, j’en ai déjà parlé dans cet article, est intéressant car il est proche du nôtre, mais souvent plus sucré, plus fruité, car on y ajoute généralement de la poire coréenne et du sucre. Mais comme Kim Kwang-Loc aime aller à l’essentiel, il fait plus simple. Il prépare la viande à la demande, au couteau, sous nos yeux. Il prend le temps de bien faire, c’est un plaisir de le regarder travailler.
Quand la viande est coupée en lamelles, suivant le sens de la fibre musculaire, il l’assaisonne avec de la sauce soja, de l’huile de sésame, des graines de sésame et il la sert toute seule, sans accompagnement ni artifices. Un tour de moulin à poivre, et on peut déguster. Là, c’est la surprise : oui, la viande est tendre et juteuse et délicieuse, mais nous retrouvons ce petit goût fruité typique, à la limite du sucré. Nous nous étonnons, car le chef n’a pas sucré sa viande ni ajouté de poire.
Comme il semble bien nous aimer (en même temps nous sommes là pour observer, comprendre, nous sommes intéressés pour de vrai et ça lui fait plaisir), le chef nous livre son secret : la saveur acidulée du tartare vient en réalité du poivre. Un poivre rouge de Madagascar incroyablement fruité qui transcende la viande rouge. « Le poivre de Madagascar, c’est la Terre, m’explique-t-il, je l’utilise avec la viande. Le poivre de Kampot, c’est la Mer, il est idéal avec le poisson. Et puis le poivre du Sri Lanka, c’est la Montagne. Il va parfaitement avec les champignons. » Le résultat est bluffant. Le poivre est véritablement un ingrédient à part entière et non un assaisonnement.
Boissons et accompagnements toujours très coréens
Bon, et avec tout ça, un accompagnement ? Oui, il y a trois options : du riz aux pousses de soja légèrement blanchies, tout simple et tout bon, une salade de pousses de soja au danmuji / 단무지 – un pickle jaune et sucré de gros radis coréen – agrémentée d’un peu de piment rouge séché qui n’arrache pas la bouche, d’huile de sésame, de graines de sésame et de sauce soja, ou une soupe de saison, en l’occurrence au tofu et aux algues. Tous ces accompagnements ont un prix unique : 3 euros.
Côté boissons, on peut choisir trois sortes de thés : thé vert coréen, thé vert japonais ou matcha (entre 3,5 et 4,5 euros). Ils sont servis comme il se doit. Le thé vert coréen que j’ai choisi se déguste en trois temps. On a trois récipients à disposition : un pour les feuilles de thé, un pour l’eau chaude et une tasse. On commence par attendre deux minutes que l’eau bouillante arrive à une température de 80° et on l’ajoute aux feuilles. On laisse infuser deux minutes et on boit ce premier thé avant de manger. À ce stade-là, il est très doux et fruité. On renouvelle l’opération avec les mêmes feuilles, cette fois pendant que l’on mange, et le goût est bien plus vert, plus corsé. Enfin, on préparera un dernier thé après manger, toujours avec les mêmes feuilles, mais dont les saveurs seront encore différentes.
Si vous préférez l’alcool, d’accord : vous avez de la bière coréenne, de la bière lorraine, du baekseju ou Bek Se Ju / 백세주 – un alcool de riz où ont infusé du ginseng et onze autres herbes, épices et fruits, de la réglisse à la cannelle en passant par le gingembre – et du bokbunja ju / 복분자주, un vin de framboises noires typiquement coréen qui va très bien avec la viande rouge.
Patrick et moi nous sommes régalés. J’aurais pu continuer à manger des heures, parce que c’était délicieux, mais en composant son menu intelligemment, on sort du restaurant repu. Bref, c’est bon, pas très cher, nourrissant, le cadre est agréable et le chef est passionnant. Oui mais attention, ce n’est pas pour tout le monde. Déjà parce qu’il n’y a que douze places, donc forcément, si on n’a pas réservé, on reste sur le carreau. Mais aussi parce que c’est un endroit assez spécial, et qu’on doit être dans l’état d’esprit adéquat pour l’apprécier.
Si on veut manger comme des sales avec ses potes sans trop se soucier du travail du cuisinier (ça arrive même aux meilleurs), on optera plutôt pour un steak-frites à la brasserie du coin. Si on hésite entre les exquis ravioli du Mandoobar ou des sushi chez Sushi Shop, on va chez Sushi Shop, et on n’a qu’à y rester pour toujours, boum, punition. Enfin, il ne faut pas demander au chef qui explique qu’il n’y a pas de place si on peut acheter un menu à emporter. J’ai vu son visage se décomposer quand des passants lui ont posé la question négligemment. Parce que le mandu, comme le tartare, doit se manger immédiatement. Parce que le chef prévoit des quantités suffisantes pour douze personnes, pas cinquante. Et parce que Kim Kwang-Loc se donne tellement de mal qu’il faut savoir lui faire honneur.
Le Mandoobar, 7 rue d’Edimbourg, 75008 Paris, fermé le dimanche toute la journée et le samedi midi.
Pour réserver : 01 55 06 08 53 – le chef ne prend pas les appels durant le service, appelez donc dans l’après-midi ou en fin de matinée.
Je m’envole pour la Corée du Sud cet été… mais peut-être que j’irai tâter de la langue ces mandu avant de partir, pour que mon palais fasse la transition en douceur…
J’espère que la Corée vous plaira ! J’ai eu un peu de mal la première fois, sans doute à cause du froid (en hiver c’est terrible) et du piment qui m’a gâché pas mal de repas. Préparez-vous à souffrir, je n’ai jamais mangé aussi pimenté, pourtant en Thaïlande et dans certains coins d’Indonésie on est déjà très haut sur l’échelle de Scoville…
Je vais faire semblant de n’avoir rien lu… et surtout je ne vais pas en dire un mot à Mme. Tilash (très sensible au pimenté…). 😉
Aïe aïe aïe, un conseil donc : dans les temples et les restaurants bouddhistes, on est sûr de trouver des plats sans piment !
Merci pour le conseil !
Camille,
Je suis très content que tu aies apprécié ce restaurant et je te remercie de la citation.
Je suis d’autant plus content car tu as parfaitement compris et retranscris l’esprit de ce restaurant et de son Chef. J’ai peine à lire (heureusement il y en a peu) des critiques sur l’absence de thon certains jours ou sur le fait que le thé ne soit servi qu’en fin de repas.
En tout cas, ton article et tes photos sont superbes et rendent hommage au travail formidable de ce Chef humble et passionné.
J’espère que tu pourras revenir goûter le tartare de thon car c’est véritablement le meilleur plat de la carte du Chef.
A bientôt.
Alexandre.
Ah, mais c’est moi qui te remercie cher Alexandre, quelle perle ! Ma visite remonte un peu maintenant (c’était début mai, passage express à Paris), la prochaine fois c’est sûr, j’y retourne pour le tartare de thon !
Très joli article vraiment !
(j’avais pas envie que ça s’arrête)
Merci Adrien ! J’espère que vous aurez le plaisir d’y manger prochainement !
Ton « cher Patrick », puisque tu me fais le délicieux honneur de m’appeler ainsi dans ton texte, n’en revient toujours pas d’avoir une amie aussi douée que toi, non seulement tu décris à la perfection le concret et les sensations qu’on éprouve à ce comptoir, mais aussi tes photos sont précisément les instantanés que je garde en mémoire.
On n’y mange pas grand chose à première vue, mais on en sort nourri de partout, rassasié de simplicité, de saveurs et de justesse ; merci d’avoir insisté pour que nous y allions.
Ah mais tu sais, j’y serais allée sans toi, l’article n’aurait pas été pareil. Le fait de discuter de ce que l’on mange sur le moment avec toi a beaucoup d’impact : déjà parce que je suis une auditive, et que le fait d’entendre les choses me permet de m’en souvenir, mais aussi parce que nos échanges mettent plein de choses intéressantes en lumière. Comme au Dix-Huit, ta compagnie m’a beaucoup aidée et inspirée. Alors merci, merci, merci.
Exactement, comme tu cites, ça me fait plaisir de voir ce restaurant propose enfin une autre possibilité que de ressassants plats coréens. (merci ton lien vers mon site ;-))
Personnellement, j’apprecie ce chef plus par son intelligence que sa cuisine. En tant que coréen, pour moi sa cuisine est tantôt une note plus haute, tantôt plus basse que l’authentique cuisine coréenne. Mais c’est probablement ça qui séduit le clients locaux. Le chef a intelligemment ajusté le menu, le gout et l’esprit sans dénaturer la cuisine de son pays, c’est ce qu’il faut !
J’ai un peu causé (en coréen !) avec le chef quand je déjeunais chez lui, oui il a l’air franc et calme. Tu sais que les bilingues peuvent changer sa personnalité quand il change de langue.
Hé oh, on est bien d’accord ? Ses raviolis aux légumes, on en mangerait bien au moins trentaines ! j’ai adoré !
Pareil, je suis allée à lundi, pas de thon….et à la deuxième fois, j’avais pas réservé… mais je vais y revenir.
Oui, un homme bien ce chef, j’ai beaucoup aimé parler avec lui – en français seulement – et tu as raison, on voit souvent un autre pan de la personnalité des gens quand on change de langue !
Bon, pour la cuisine, tu sais de toutes façons que ma cuisine coréenne préférée, c’est la tienne. C’est meilleur que tout ce que j’ai mangé en Corée, à Shin-Ôkubo ou à Paris ! Tu as le sens du jeu, de la forme et de la couleur, et puis tu fais les choses à ta manière. J’aime l’esprit de ta cuisine. C’est très cérébral. Et puis c’est bon ! Parce que la tête compte, mais tu es aussi un être sensible aux sens aiguisés. Quel palais ! J’aime que ce ne soit pas forcément traditionnel, les traditions font partie de ton imaginaire, mais tu vas au-delà, tu sais t’affranchir des codes qui emprisonnent parfois, ou les utiliser, les détourner, et bref, on revient au jeu. Ça marche à tous les niveaux : c’est intelligent, chaleureux, très beau, plein d’intentions et de surprises. Tiens, rougis si tu veux, mais je ne tarirai pas d’éloges, na.
Bon, je vais retourner à la cuisine pour m’entrainer, j’aimerais pouvoir cuisiner comme tu decris. ça me réconforte énormément le fait que quelqu’un me comprenne, j’y arrive ou pas, c’est une autre question (sans doute beaucoup de chose à apprendre,) tu sais déjà la direction que je voudrais prendre.
Parce que tu es attentive et ça se voit dans tes articles d’ailleurs. Je suis tout à fait d’accord avec Patrick.
Moi j’aime bien Sobane, dans le 9e. Les ravioli sont très bons et le reste est assez raffiné. Mais je vais aller rue d’Edimbourg sans attendre, celui-ci a l’air effectivement très alléchant!
Grosse déception pour moi, autant sur le goût (première fournée de raviolis aux légumes trop peu cuits et donc pâteux sur les bords, farce vraiment fade) que sur le service (étant pourtant arrivés en début de service on a attendu très longtemps, notre commande de raviolis à la viande a été zappée, et quand on l’a signalé on nous a dit que ce n’était plus possible de nous les servir parce que d’autres clients attendaient dehors). Sans doute un jour sans, ça arrive — l’ambiance était d’ailleurs assez tendue — mais du coup j’étais vraiment déçue, j’avais tellement envie d’aimer !
Ha zut, dommage parce franchement ils sont très délicats en vrai. Mais je n’y vais qu’au déjeuner, il est vrai. Mon objectif pour la rentrée est le Mandoobar en tout cas! Et vraiment mille bravos pour votre blog, et c’est une niçoise qui le dit!