Profession : éleveur de wagyu
On connaît tous le boeuf de Kobe, mais figurez-vous qu’il a des concurrents de taille au Japon. D’autres races ont été élaborées à partir de croisements entre les meilleures bêtes du pays, donnant des animaux à la chair succulente, prisée par les plus grands restaurants. Lors de ma visite chez Bio-s, un restaurant servant une cuisine française à tomber par-terre, j’ai pu goûter au boeuf du mont Fuji, qui n’a rien à envier à son homologue de Kobe. Allons voir de plus près l’élevage de Monsieur Okamura, éleveur de wagyu, d’où provient le rumsteak servi chez Bio-s.
Ne vous laissez pas impressionner par le terme wagyu, en Japonais 和牛, il veut simplement dire « boeuf japonais ». Plusieurs races sont à l’origine de cette appellation, notamment le boeuf de Kobe, celui de Kumamoto ou de Tottori, mais elles ne sont pas les seules. Assez récemment, en 2006, l’excellent wagyu du mont Fuji a été ajouté à la liste des produits de la préfecture de Shizuoka, l’équivalent de nos AOC.
A Fujinomiya, dans l’arrière-pays montagneux de Shizuoka, Monsieur Okamura tient un ranch fort de 300 têtes de bétail. Il est l’un des trois éleveurs de wagyu du mont Fuji. Lorsqu’il a commencé son élevage, Monsieur Okamura n’avait que 30 bêtes. C’était il y a 20 ans. Son cheptel a gardé des proportions raisonnables car ici, on ne cherche pas la quantité mais la qualité. Un soin infini est apporté aux animaux, mobilisant l’éleveur et sa femme à plein temps. Ils invitent des étudiants en agronomie et autres apprentis à les aider mais gèrent leur exploitation seuls.
Aucun stress pour une viande tendre
La principale caractéristique de la viande qu’ils produisent est d’être exceptionnellement tendre. Tout est pensé pour que les boeufs ne subissent aucun stress. Imaginez : en toile de fond, le mont Fuji ; tout autour de vous, une vaste étendue d’herbe grasse bien verte où paissent tranquillement une demi-douzaine de vaches pleines (en photo en tête d’article) ; au milieu, la maison de Monsieur Okamura ; derrière, le ranch à proprement parler, avec l’espace dédié aux veaux, et celui des adultes.
Ici, le cycle de vie d’une bête dure 26 mois. C’est peu comparé à la France, où le boeuf est général abattu à partir de 30 mois. L’autre majeure différence, c’est qu’ici, on ne produit pas de viande de veau, un tabou au Japon. Il paraît qu’il est possible d’en trouver à Shizuoka – parce qu’on trouve tout à Shizuoka – mais c’est loin d’être une spécialité japonaise.
Pour revenir à nos boeufs, soit ils naissent au sein du ranch après insémination artificielle, soit ils sont achetés à l’un des autres élevages de la région en très bas âge. On va tout d’abord les nourrir du lait des reproductrices du cheptel, au biberon, durant environ deux mois. On va ensuite habituer les veaux à ne plus téter en leur servant le même lait, mais cette fois dans un seau. S’ils parviennent à se nourrir ainsi, on passera quelques semaines plus tard, progressivement, à leur régime d’adulte.
La limite est fixée à 20 veaux. Il n’y en a jamais un de plus au même moment dans le ranch, car ils demandent énormément d’attention. Lorsqu’ils mangent comme des grands, ils quittent leur box individuel et vont rejoindre le reste de l’élevage dans le grand espace couvert qui leur est réservé. Là aussi, chaque animal a son espace personnel, mais ils partagent tous le même toit. Il y a là des boeufs, qui ont été châtrés avant de se joindre à leurs congénères, et des génisses. Ce qui est étonnant, c’est que la viande des femelles et des mâles castrés est quasi-impossible à différencier au goût.
Des céréales, du fourrage, des massages… et de l’alcool ?
Dans leur mangeoire, les bêtes ont un mélange de céréales, principalement du maïs et de l’avoine, ainsi que d’autres ingrédients tenus secrets – mais on dit que le meilleur wagyu s’obtient en leur donnant un peu de bière ou de sake – ainsi qu’un abondant fourrage. L’alimentation des animaux est importée des Etats-Unis, le meilleur moyen d’obtenir des produits d’une qualité irréprochable car les standards des douanes sont très élevés.
Pour obtenir une viande marbrée de gras, signe distinctif du boeuf japonais, on masse les animaux régulièrement afin que la graisse pénètre dans le muscle. Ainsi, à la cuisson, le gras fond et se diffuse dans le muscle, assurant une tendreté parfaite. La viande fond littéralement dans la bouche. J’en ai mangé à plusieurs occasions, dont une fois quasiment cru, juste saisi, et c’était du beurre.
Lorsque le wagyu atteint l’âge fatidique de 26 mois, il pèse en moyenne 700 kilos, ce qui équivaut à une race moyenne en France, bien plus petite que la Limousine ou la Charolaise. Il est transporté avec moult précautions jusqu’à un abattoir situé loin, très très loin, tellement loin qu’aucun des animaux du ranch ne peut sentir ce qu’il s’y passe, car cela pourrait les stresser.
On les assomme ensuite au marteau, pif, un coup au milieu du front, puis on les saigne jusqu’à la mort, et on les découpe enfin à l’anglaise. La tradition bouchère française est plus détaillée que celle de nos voisins d’outre-Manche : nous faisons bien plus de morceaux différents avec une seule bête, mais ce n’est qu’une question de coupe.
Pour garder ses secrets, rien de tel qu’une chanson
Monsieur Okamura, ce n’est pas le type le plus bavard du monde. Il préfère faire son boulot qu’en parler. Non seulement il est très humble et ne souhaite pas se faire mousser en parlant du soin qu’il accorde à ses boeufs, mais il veut également garder quelques secrets d’élaboration pour lui tout seul.
Du coup, lorsque les questions commencent à le gêner, il se lève sans rien dire, et, moment surréaliste, nous fait écouter un CD, une chanson de country japonaise. « Les vaches de la montaaaaaagne », chante le countryman nippon ; nous restons un peu hébétés, osant à peine demander à Monsieur Okamura qui ferme les yeux et apprécie la musique si c’est lui qui chante, « non, non », répond-il, c’est juste une chanson sur ses vaches.
Avant d’aller faire mes photos, juste avant de nous quitter, l’éleveur s’assure que je suis bien au Japon depuis plus de 40 jours, et que je ne souffre d’aucune maladie, afin de ne pas contaminer les animaux avec quoi que ce soit. Il ne plaisante pas avec ses vaches de la montagne, Monsieur Okamura. Un joli moment avec les boeufs, au pied du volcan endormi, et il est l’heure de repartir vers Shizuoka, où mon ami Robert-Gilles Martineau a réservé une bout de comptoir chez un maître sushi dont je vous dirai des nouvelles très bientôt.