Quand les produits niçois rencontrent la cuisine japonaise, ça fait des étincelles. Ou de la tempura de fleurs de courgette. En mêlant une ressource typique du Sud de la France et une technique nipponne (bien qu’elle ait été apportée par des Européens, on va en parler), on obtient une petite merveille de légèreté : une friture délicate et savoureuse, qui croustille juste comme il faut et ne manque pas de moelleux pour autant. Mariage franco-japonais réussi, il faut que vous goûtiez ça.
Dans la région niçoise, la fleur de courgette abonde. En fait, depuis le mois de juin, je croule sous les fleurs de courgette. Alors qu’on entame le mois de septembre, j’en ai encore plein le jardin. Toutes ces fleurs, il faut bien en faire quelque chose. J’ai plus ou moins tout essayé : fleurs farcies, fermentées, sautées, cuites à la vapeur, crues, pochées, en salade, en tarte, sans oublier les incontournables beignets de fleurs de courgette niçois. Mais ce que je préfère – de loin – c’est la tempura de fleurs de courgette.
La recette est d’une simplicité diabolique, toutefois elle demande un peu d’entraînement pour arriver à un résultat parfait. Après plus de 3 mois de tests quotidiens ou presque, je commence à peu près à savoir ce que je fais, et je vais pouvoir tout vous expliquer. Mais d’abord, on va regarder de près les traditions niçoise et japonaise à l’origine de cette recette.
La tempura, très japonaise mais très portugaise
Commençons par le Japon. La tempura / 天麩羅 / 天ぷら y est reine, bien que ce ne soit pas la seule forme de friture populaire là-bas. Il existe toutes sortes de beignets, panures et autres dans l’archipel, on aime bien frire et on le fait de plus en plus. Pourtant, c’est assez récent de frire à tout va au Japon. Contrairement au reste de l’Asie – et devrait-on dire, du monde – les Japonais ne sont, à l’origine, pas des cinglés de la friture.
La raison est simple : le Japon n’était pas un grand producteur d’huile dans les temps anciens. Les seules huiles qui étaient utilisées étaient à base de colza, de sésame, de soja ou de graines de thé ; elles étaient produites à petite échelle avant le XVIIème siècle et elles étaient donc précieuses. On ne s’en servait pas vraiment pour cuisiner, on se contentait d’exploiter la graisse animale présente naturellement dans les poissons et les viandes pour la cuisson, et on se servait principalement de l’huile crue pour aromatiser certains plats.
La plupart des fritures actuelles – totalement intégrées dans le patrimoine culinaire et le quotidien des Japonais – viennent de très loin. Ce sont les missionnaires et marchands portugais qui les ont apportées au XVIème siècle. La recette originale portugaise de la tempura, ce sont les peixinhos da horta, les « petits poissons du jardin » en portugais. Ce sont des légumes (principalement des haricots verts mais pourquoi pas des poivrons ou de la citrouille) couverts d’une pâte légère à base de blé et frits rapidement dans un bain d’huile.
Il y a débat sur l’origine de la recette ; certains avancent qu’elle pourrait en fait avoir été piquée aux Indiens à Goa – c’était à l’époque l’une des résidences secondaires des Portugais – et être en réalité une variation des pakora, des beignets de légumes dans une pâte bien plus costaud à base de farine de pois chiche. Bon, quoi qu’il en soit, ce sont les Portugais qui ont introduit ce type de friture au Japon et le grand chef de l’époque, le shogun Tokugawa Ieyasu, en est tombé amoureux. La recette a été adaptée aux ressources locales, car il n’y avait pas de haricots verts ou de poivrons dans le coin. Crevettes, aubergines, shiitake, patate douce japonaise, shiso et autres les ont remplacés, et le shogun était ravi.
Portrait robot de la tempura
Le mot tempura, pas du tout japonais au départ, vient du portugais tempora, le temps. Il faisait référence au Carême, aux Quatre-temps – ad tempora quadragesimae – et aux vendredis où l’on ne mangeait pas de viande mais des légumes ou du poisson chez les Catholiques. Tempora est devenu tempura, facile à prononcer pour des Japonais, alors que peixinhos da horta, c’est carrément impossible.
Si le shogun aimait beaucoup la tempura, il n’aimait pas du tout les Portugais qui étaient, il faut le dire, des gros barbares (et c’est ainsi que les Japonais les appelaient). Ils embarquaient des Japonais pour les vendre comme esclaves en Europe, les Japonaises servant d’esclaves sexuelles. Bref, les Japonais ont dit la tempura d’accord, mais les Portugais dehors. Pour cela, le shogun a tout simplement banni les Catholiques. Les Portugais ont dégagé, mais leurs nombreux apports culinaires sont restés.
Les Japonais se sont totalement approprié la tempura après le départ des Portugais ; dès l’ère Genroku (l’âge d’or de l’époque d’Edo, 1688-1704), c’était devenu un plat populaire vendu par des marchands ambulants dans les villes et le long des routes commerciales du Japon. Au XIXème siècle, la tempura était partout. Le plat n’a plus vraiment évolué depuis. Les huiles ne sont pas forcément les mêmes, les légumes à disposition sont plus nombreux, mais on reste sur un plat très similaire.
C’est léger (enfin, pour une friture), très croustillant, et assez pâle en général, car on ne laisse pas frire les légumes trop longtemps. Il y a différentes manières de tailler les légumes et les fruits de mer pour une cuisson idéale, tout cela est très codifié et très joli. On sert la tempura avec une sauce légère sucrée-salée à base de dashi, de sauce soja et de mirin.
Pâte vegan ou pas vegan ?
Et dans la pâte à tempura, qu’y a-t-il ? Principalement de la farine de blé (si possible faible en gluten) et de l’eau. Mais depuis un siècle ou deux, tout le monde ou presque s’est mis d’accord pour ajouter de l’oeuf. Sauf les moines, qui observent un régime végétalien.
En tous cas, il n’y avait pas vraiment d’oeufs au Japon aux débuts de la tempura car les gens n’élevaient pas beaucoup d’animaux, tradition végétarienne bouddhiste oblige. On avait bien des oeufs de faisan dès le XVème siècle, mais c’était un truc de riches à cette époque. C’est sous l’influence des étrangers qu’on s’est sérieusement mis à l’élevage – et à la production d’huile en grandes quantités – et cela a pris un certain temps.
Attention, c’est important de le rappeler aux végétariens d’Europe et d’aujourd’hui, lorsqu’on parle de végétariens au Japon ou ailleurs, on a sa définition à soi du végétarisme, et ce n’est souvent pas du tout une définition new age occidentale. En théorie, les Japonais n’avaient pas le droit de manger de la viande durant des siècles d’accord, mais pas de problème pour le poisson. Et puis la baleine était considérée comme un poisson, donc on en mangeait aussi. Enfin, les oiseaux étaient autorisés à la consommation, tout comme les nuisibles en général (sangliers, biches et compagnie).
Bref, on n’élevait pas de bêtes pour les manger, mais on avait des chasseurs. Et vu la manière dont les populations d’animaux sauvages ont reculé au Japon à cette époque, une chose est sûre, c’est qu’on mangeait pas mal de viande. Pas tous les jours, pas systématiquement, mais on en mangeait. Les guerriers et les sumo, eux, ils en mangeaient beaucoup. De nos jours, il y a des purs vegans quand même au Japon – les moines donc, principalement, et puis des jeunes new age aussi – qui préparent la pâte à tempura à l’ancienne, sans oeuf. L’avantage, c’est que c’est plus léger et beaucoup plus croustillant. Du coup je vous donnerai les deux recettes en fin d’article, vegan et pas vegan, et vous n’aurez qu’à choisir celle que vous préférez.
La fleur de courgette aime la friture
Changeons de continent et allons à Nice regarder de plus près les jolies fleurs de courgette. Il en existe deux types : les mâles, équipées d’une longue tige, dont l’étamine (le truc au centre qu’on appelle vulgairement pistil mais qui n’en est pas un, le pistil étant un truc de filles) est assez discrète, et les femelles, équipées d’un fruit (la fameuse courgette) et d’un gros pistil (oui, là c’est bien un pistil).
Selon les variétés de courgettes, la taille et la forme des fleurs varient. Les fleurs de courgette trompette sont particulièrement belles, elles s’épanouissent en prenant de jolies formes arrondies, tandis que les fleurs des petites courgettes rondes et des longues sont plus pointues, plus crochues, et les spécimens mâles présentent un net renflement à leur base.
Traditionnellement, ce sont les fleurs mâles que l’on utilise en cuisine à Nice. Elles sont plus pratiques à cuisiner car elles ont une tige qui permet de les saisir facilement. On en fait des beignets, car la fleur de courgette aime la friture (la recette des beignets de fleurs de courgette est ici), mais on les farcit aussi volontiers. On les mange également aux Philippines, dans les Balkans, au Mexique et au Salvador (mais dans tous ces pays, on n’utilise pas les courgettes, on attend qu’elles deviennent courges), et bien entendu en Italie, le pays de la courgette.
Pour information, une fleur de courgette, ça se mange très très frais, il faut donc idéalement les faire pousser et les cueillir soi-même. Elles s’ouvrent vers 5-6 heures du matin et tiennent ouvertes jusqu’à midi tout au plus, après elles commencent à se flétrir. Si vous voulez en faire de la tempura, ne les congelez pas, c’est nul. Il vaut mieux les garder au frais dans du sopalain humide dans le bac à légumes de votre réfrigérateur. Elles pourront être utilisées le lendemain, mais ne tardez pas trop.
L’idée de manger les fleurs de courgette en tempura n’est pas une illumination qui m’est venue un jour d’ivresse. Certains Japonais le font au Japon (ce n’est en revanche pas du tout quelque chose de commun ou de traditionnel), et les cuisiniers japonais installés sur la Côte d’Azur ont vite compris que c’était un mariage intelligent des traditions nipponnes et niçoises. Ma première tempura de fleurs de courgette, je l’ai mangée chez Saison, un excellent restaurant japonais à Nice qui a malheureusement fermé l’année dernière.
Quelle que soit la variété utilisée, les fleurs de courgette sont parfaites en tempura. J’ai tenté l’expérience avec des fleurs de courgettes rondes, de courgettes longues, de trompettes de Nice et de trompettes d’Albenga. Verdict : tout était bon, qu’il s’agisse de fleurs mâles ou femelles. Quand les femelles sont au bout de petites courgettes bien fines, je les fais frire ensemble, c’est merveilleusement fondant une petite courgette frite.
Mais attention : ce sont des produits fragiles et délicats, il faut donc maîtriser un certain nombre de paramètres pour arriver au résultat parfait. D’autant plus que la tempura est déjà un art en soi.
Matériel de base et ingrédients
La bonne nouvelle, c’est qu’avec un peu de pratique et en observant quelques règles simples, on est sûr de réussir son coup. L’autre bonne nouvelle, c’est qu’il faut très peu d’ingrédients, qu’ils ne coûtent pas cher, et qu’on peut se débrouiller même si on a une cuisine peu équipée. Pas besoin d’ustensiles compliqués, il suffit d’avoir :
- une casserole à fond épais
- une assiette
- une assiette creuse
- une paire de baguettes ou des pinces
- une source de chaleur (induction, électrique, vitrocéramique ou gaz)
- une grille à gâteau (mais la grille du four ça le fait aussi)
Question ingrédients, ce n’est pas compliqué non plus. Il vous faut :
- de l’eau super froide (une bouteille au frigo toute la nuit c’est bien)
- de la farine
- un jaune d’oeuf (sauf si vous voulez une recette vegan)
- des fleurs de courgette
- de l’huile pour friture
Voilà, vous ne pourrez pas dire que c’est introuvable. Avant de passer à la recette en elle-même, voici les principales règles à observer quand on fait de la tempura en général. Que vous fassiez frire des fleurs de courgette, des crevettes, des aubergines ou de la racine de lotus, peu importe, ces consignes-là sont la base.
Les règles d’or de la tempura
Règle numéro 1 : On fait sa pâte au dernier moment
On vend de la farine « spéciale tempura » dans certaines épiceries japonaises, mais honnêtement, la farine T45 ou T55 fait très bien l’affaire, pas besoin de se compliquer la vie. Les farines japonaises utilisées pour la tempura ont souvent un faible taux de gluten. Si le gluten pose un problème, ce n’est pas parce que les Japonais ne le supportent pas. On a bien plus d’allergies au riz et au sarrasin là-bas que de cas d’intolérance au gluten. Non, le problème, c’est que le gluten se forme quand on laisse la pâte reposer, et il change radicalement sa texture. Elle va s’alourdir, gagner en élasticité ; c’est parfait pour un naan ou une pizza, mais là, on veut une pâte cassante et croustillante au contraire. C’est pour cela qu’il faut toujours préparer sa pâte à la dernière minute, pendant que l’huile chauffe.
Règle numéro 2 : On utilise de l’eau aussi froide que possible
L’eau que vous mettez dans votre pâte doit être froide, aussi froide que possible. La formation de gluten va bien bien plus vite avec de l’eau tiède. Pour cela, gardez une bouteille d’eau au réfrigérateur toute la nuit, ou mettez un glaçon dans votre pâte dès que vous commencez à la préparer. Vous pouvez également mettre le contenant de la pâte dans un récipient rempli de glaçons.
Règle numéro 3 : On ne bat pas sa pâte
Le gluten apparaît surtout si on agite trop sa pâte. En fouettant la farine et l’eau, vous créez des tas de liaisons moléculaires, et vous allez combiner la gliadine et la gluténine du blé qui vont former les protéines de gluten. Bref, on ne bat jamais une pâte à tempura. On la mélange de manière sommaire en deux ou trois coups de baguettes. On laisse des grumeaux volontairement car ce sont eux qui donnent à la tempura sa texture unique.
Règle numéro 4 : On ne rince pas ses fleurs (ou ses légumes, ou son poisson) juste avant de les frire
Si vous rincez vos fleurs juste avant de les faire frire, déjà, vous allez vous éclabousser et vous brûler, parce que l’eau fait péter l’huile chaude dans tous les sens. L’autre problème, c’est que vous allez emprisonner de l’eau sous votre couche de pâte ; lorsque celle-ci sera frite, elle va boire l’eau coincée en-dessous et ramollir. Et de la tempura molle, c’est ignoble. Si jamais vos fleurs sont couvertes de terre, essayez de l’enlever à la main avant d’avoir recours à l’eau. La terre sèche part facilement. Si elles contiennent des fourmis, enlevez-les délicatement une à une avec une baguette. Si vraiment vous tenez à les rincer, faites-le en amont puis laissez sécher vos fleurs sur une grille dans un courant d’air au moins une heure.
Règle numéro 5 : On frit à 170°
170°, c’est l’idéal. Il faut en tous cas ne pas passer en-dessous de 160°, et ne pas monter au-dessus de 180°. Trop froide, l’huile va être bue par vos fleurs qui seront grasses comme tout ; trop chaude, elle perd des propriétés, prend une couleur foncée et sent mauvais. Personnellement, je n’ai pas de thermomètre, et vous n’en avez pas besoin. L’idéal est de faire chauffer votre huile tout doucement (ce qui peut prendre du temps) et de vous assurer qu’elle a la température idéale à l’aide d’une goutte de pâte. Si la pâte plonge au fond de la casserole, c’est trop froid. Si elle ne plonge du tout et frit directement à la surface, c’est trop chaud. À 170°, elle descend à mi-hauteur du bain d’huile et remonte.
Règle numéro 6 : On procède par petites quantités
Tout se fait en petites quantités dans la tempura. On fait des petites quantités de pâte afin de ne pas avoir à trop l’agiter et afin de ne pas la laisser reposer. On ne met pas trop de fleurs à frire simultanément, sinon on fait baisser la température de l’huile. Et on ne nappe pas trop généreusement les fleurs, car elles sont légèrement poilues et retiennent très bien la pâte ; il faut même idéalement passer le bout d’une baguette dans les rainures de la fleur pour retirer les gros amas pâteux. Sinon, ce sera mou, grossier et vous n’aurez plus le plaisir de voir les belles couleurs des fleurs de courgette à travers la pâte frite.
Si vous respectez ces quelques consignes, vous serez sur la bonne voie. Mais faire une tempura avec un légume solide comme une aubergine ou avec une fleur, ce n’est pas du tout la même chose. Chaque aliment a ses petites spécificités et demandera une préparation particulière afin de cuire au mieux sans brûler, sans s’abîmer tout en gardant son goût et en laissant à la pâte son croustillant et sa légèreté.
Recette de la tempura de fleurs de courgette
Pour que ce soit joli, je saisis l’instant où mes fleurs ne sont ni trop ouvertes (elles sont alors très fragiles car trop tendres et prennent une place ridicule dans la casserole), ni trop flétries. Je les nettoie à l’avance si nécessaire, enlevant les fourmis s’il y en a. Je laisse environ 2 centimètres de queue aux fleurs mâles afin de pouvoir les saisir facilement avec les doigts ou les baguettes sans les abîmer.
Quand mes fleurs sont prêtes à l’emploi, je fais chauffer mon huile dans une casserole à fond épais. Ça marche aussi dans un wok, mais la casserole est à mon avis idéale. D’ailleurs, quand on fait de la tempura à la maison au Japon, on utilise soit une casserole, soit une espèce de casserole « spéciale tempura » avec des rebords pour éviter les éclaboussures. Je remplis ma casserole d’huile à hauteur d’un tiers. L’huile pour friture classique va très bien, au Japon beaucoup de gens font leur propre mélange à base d’huile de colza, de sésame et d’autre chose, à vous de voir. Pendant que l’huile chauffe tout doucement, je prépare ma pâte.
Version vegan : Mettez un demi-verre à moutarde d’eau glacée dans une assiette creuse, puis tamisez le même volume de farine par-dessus. Mélangez en quelques coups de baguettes sans jamais battre.
Version avec oeuf : Mettez un jaune d’oeuf dans une assiette creuse et battez-le avec 5 fois son volume d’eau glacée. Battez bien, tant qu’il n’y a pas de farine c’est permis. Ajoutez ensuite un volume équivalent de farine tamisée. Mélangez très sommairement, sans battre. La texture ne sera pas homogène et c’est très bien. Certains utilisent l’oeuf entier, mais je trouve que le résultat n’est pas terrible.
Quand ma pâte est prête et mon huile chaude, je retourne à mes fleurs de courgette. Non seulement je ne les rince pas, mais je les farine très légèrement afin d’être sûre qu’elles reçoivent la pâte sur une surface bien sèche. Je mets donc un peu de farine dans une assiette, j’y dépose les fleurs sur toutes leurs faces extérieures, puis je les tapote pour faire tomber l’excédent de farine.
Je trempe ensuite chacune des fleurs dans la pâte, sans insister, en faisant attention à les déposer à l’horizontale plutôt que de les plonger tête la première. Je retire l’excédent de pâte avec une baguette, puis je laisse encore un peu la pâte s’égoutter en gardant ma fleur tête en bas au-dessus de l’assiette quelques instants.
Et pouf, je la jette dans l’huile bien chaude. Elle va gonfler en aspirant l’air, puisqu’elle est creuse, et donc frire à la surface. Du coup, une seule face va frire à la fois. Mais il ne faut pas retourner sa fleur toutes les 10 secondes car cela fait baisser la température de l’huile. Non, il faut laisser un côté dorer, puis retourner la fleur une seule fois avec ses baguettes ou sa pince et la laisser finir de frire. Ça ne prend pas très longtemps (une fleur de courgette, ça cuit très vite), une minute de chaque côté peut-être, ou peut-être deux ou trois, je n’ai pas chronométré.
Au fur et à mesure, des petits grumeaux de pâte vont se détacher des fleurs et frire dans l’huile ; il faut les retirer avec un petit chinois à mesure qu’ils dorent et les réserver sur du papier absorbant. Ainsi ils ne brûleront pas, et puis ils pourront servir en cuisine. Les Japonais les utilisent notamment dans certaines recettes de soba ou de udon, on appelle ces miettes frites et légèrement soufflées tenkasu / 天かす.
Quand les fleurs cuisent, je les tâte légèrement avec les baguettes. Je sais qu’elles sont prêtes quand elles ont doré légèrement et que leur texture est bien solide. Cela veut dire que la pâte sera croustillante à souhait. Je les sors par la queue avec mes baguettes, et je les laisse s’égoutter longtemps tête en bas au-dessus de la casserole. Quand ça ne coule plus du tout, je les dépose sur une grille le temps de finir de frire les autres. Elles vont encore s’égoutter légèrement.
Quand tout est frit, il n’y a plus qu’à couper les queues à ras et à servir. Chaud ou tiède c’est bien, mais si vous avez maîtrisé la friture, cela pourra même être bon froid. On place les fleurs sur une assiette recouverte d’une feuille de papier – pas de sopalain, pas de papier glacé, du vrai papier tout bête qui absorbe la gras, à défaut d’avoir le fameux « papier buvard du cuisinier », ce truc parfait que les restaurants japonais utilisent.
Bon, avec ou sans oeuf, c’est délicieux, mais j’avoue préférer la version vegan, plus croustillante, qui se prête mieux à un ingrédient aussi tendre que la fleur de courgette. Elle a besoin de plus de croustillant qu’une patate douce par exemple, et plus il y a d’oeuf, plus c’est moelleux. De plus, la pâte à l’oeuf est plus épaisse et nappe plus généreusement les fleurs qui sont un peu cachées, alors que c’est ravissant de voir leurs couleurs apparaître.
Une tempura ne serait parfaite sans la sauce qui l’accompagne, le tentsuyu / てんつゆ/天汁. Vous pouvez le voir sur la photo en tête d’article, c’est une sauce brun doré, à la fois sucrée et salée. On y plonge les fleurs avant de les déguster. Elle se compose, grosso modo, de 3 volumes de dashi pour un volume de sauce soja et un volume de mirin. Toute ma famille en est tombée amoureuse. Vous pouvez ajouter un peu daikon (le gros radis blanc japonais) râpé très fin dedans, ça la relève légèrement. Sur ce, je vous souhaite un bon appétit, je vais manger tout ça.
Miam !
Il y a aussi une technique qui consiste à mettre de la vodka en plus de l’eau dans la pâte. Le gluten se forme au contact de l’eau, mais pas de l’alcool, et comme l’alcool s’évapore plus rapidement que l’eau, cela permettrait (conditionnel, car je n’ai jamais essayé) d’avoir une pâte plus fragile et croustillante. A tester !
Génial, je n’avais jamais entendu parler de ça ! Je demanderai à mes copains japonais s’ils connaissent ce truc. Au fait, c’était comment la Corée ?
C’était génial merci ! J’ai vraiment découvert une gastronomie très originaleet un peuple adorable. Le piment a été dur au début, mais on s’y fait assez rapidement et maintenant je suis accroc au kimchi !
Super ! Si vous voulez découvrir tous les visages du kimchi, je vous recommande, si vous ne le connaissez pas déjà, le blog de mon amie Luna : La table de Digène est ronde. Elle va bien au-delà du chou, c’est très beau et toujours délicieux.
Merci, j’étais déjà passé par ce blog, probablement en passant par ici.
Je suis d’ailleurs très tenté de me lancer dans l’aventure, et d’essayer sa recette du « kimchi pour tous » !
Merci Camille. Je sais enfin pourquoi la pâte à beignets préparée avec de l’eau glacée est différente, et j’ai appris un nom poétique : peixinhos da horta.
Mais maintenant je m’interroge sur les fleurs de courgettes fermentées…
Et tu pourrais aussi nous parler du fritto misto !
Cet article est passionnant !
Je prépare les tempuras avec de la farine à tempura et de l’eau froide mais je ne savais pas qu’il fallait pas battre la pâte ni la laisser reposer et encore moins que les grumeaux ajoutent du crunch… merci pour tous ces conseils.
J’ai lu que si on utilise de l’eau gazeuse au lieu de l’eau plate, la pâte est encore plus légère. J’ai testé cela dernièrement et effectivement, c’était délicieux mais je n’ai pas fait de comparatif avec eau gazeuse ou sans … du coup, c’était peut-être délicieux que dans ma tête 😀
Bonjour Kris, merci !
L’eau gazeuse change radicalement la texture de la pâte. Elle se gorge d’air et donne donc une impression de légèreté, mais cela n’a aucun rapport avec la texture d’une vraie tempura classique. Selon les eaux gazeuses (fines bulles ou grosses bulles, etc), le résultat n’est pas le même. J’ai voulu essayer une fois dans ma tempura pour ne pas mourir idiote (j’utilise souvent de l’eau gazeuse pour une recette de beignets coréens) et j’ai trouvé ça horrible, je n’avais plus l’impression de faire de la tempura.
C’est sûrement très bon si l’on n’a pas de référent, mais j’avais l’impression de « trahir » la recette originale, car je n’ai jamais mangé une tempura de ce genre au Japon. De plus, cette texture aérienne peut aller avec certains légumes, mais elle ne convient pas à des produits aussi légers et délicats que des fleurs de courgette. Il leur faut une pâte qui, au contraire, leur donne un galbe, car elles ont déjà tendance à gonfler un peu n’importe dans l’huile.
Effectivement, j’ai déjà goûté des tempuras dans des restaurants japonais mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en manger au Japon. Manger dans un resto, à l’étranger n’est jamais aussi bon que déguster la nourriture sur place. Du coup, je te fais entière confiance et je vais tester ta recette ce week-end 😀
Merci pour toutes ces infos.
C’est à la fois ravissant et passionnant! Je découvre tout juste votre blog (il n’est jamais trop tard), et je reviendrai souvent! Merci!
« La tempura d’accord, mais les Portugais dehors. », je ne savais pas que tu avais aussi le sens du slogan.
J’aime bien quand tu causes technique, même si je vais persister dans mes hérésies, je mets un jaune d’œuf et j’utilise une canette de Perrier que je place une heure au congel., de même que la farine que je vais utiliser. J’ai mangé de la vraie tempura, et j’avoue que l’eau gazeuse durcit un peu le beignet, mais j’aime bien. Il y a longtemps que je n’ai pas cuisiné la méthode vegan à l’eau plate, je pense que je vais en refaire, à cause de toi.
Après, ça dépend de ce que je cuisine, les anémones de mer ont besoin d’être bien enrobées de pâte qui tient, et les algues laissent glisser la pâte qui a plus de tenue avec de l’œuf. C’est d’ailleurs une question que je voulais te poser, est-ce que les japonais font de la tempura d’algue, ou même d’autres préparations d’algues frites ?
Ma grande frustration par rapport à ce billet, ce sont ces fleurs de courgette aussitôt cueillies aussitôt préparées. Je n’en ai pas dans mon jardin en Bretagne, et quand j’ai voulu en faire, j’ai dû aller à Métro où elles sont vendues 3 euros la fleur, j’ai failli faire demi-tour et cuisiner directement des orchidées. Luxe pour luxe, je les ai farcies avec des langoustines, et c’était pas bon. Seule et dernière expérience.
3… gloups… 3 euros LA fleur ? Tu rigoles ou c’est vrai ? Si c’est vrai, je vais les vendre à la sauvette à 2 euros pièce et devenir riche.
Pour les algues frites, tu te souviens du kombu frit chez Luna ? Ils ont la même chose les Japonais. Ils font frire le nori aussi parfois, avec de la pâte genre tempura sur une face et du sésame aussi, ou du piment, c’est bien gras et bien bon.
C’est drole, c’est justement là que je suis en train de te lire en séchant au four mes bugak (algues enduit au riz) avec du sésame pour vous apporter demain ;-).
Une petite précision: la friture d’algues n’est pas plus gras que les autres (je pense que c’est contraire). L’algue n’absorbant pas de l’huile comme ferait la pâte, elle laisse l’huile à la surface ainsi brillant, alors que la pate reste mate en buvant l’huile.
C’est vraiment géniale ces précisions de la recette, maintenant, tes lecteurs n’ont pas d’excuses pour rater leur tempura, si ce n’est pas la manque de volonté.
Manges-tu la tempura tiède ? Elle devient pas humide si tu laisse refroidir ?
Moi, je ne commence pas à frire si les mangeurs ne sont pas prets à dévorer immédiatement ces beautés sortant du bain (d’huile chaude).
Quand je dis tiède, je veux dire « pas brûlante », j’attends un peu quand elle sort de l’huile quoi, histoire de ne pas m’ébouillanter la bouche 🙂
Mais ce qui est étonnant, c’est que cette tempura refroidit très bien. Elle ne s’humidifie pas, elle ne ramollit pas, elle reste hyper bonne tiède et même froide. J’ignore si c’est parce qu’il fait sec chez moi, en tous cas je la laisse reposer sur une grille le temps de faire mes 46 beignets (j’ai beaucoup trop de fleurs de courgette dans le jardin) et mes 400 photos, et 1 heure plus tard elle est froide, mais toujours aussi croustillante…
C’est peut-être ton technique est tres bien ou la chair de la fleur est fine, donc pas beaucoup d’humidité ?
Effectivement, quand on mange la tempura chaude, il faut faire attention de ne pas se bruler !
Ah, je ne parlais pas de ton bugak pour le gras au fait, mais de l’espèce de tempura de nori qu’on trouve en supermarché au Japon. Rien à voir, ton bugak est une merveille de légèreté.
Et ton bugak, youpi, j’adore. Merci !
Génial ! C’est ce qu’on appelle l’art culinaire <3 Je vais essayer de le faire chez moi. Merci beaucoup de nous avoir partagé cette recette.
Ce qui se fait beaucoup aussi au Japon, c’est le tempura de mozuku (texture très intéressante)
Oh, ils font sécher l’algue avant ?
Alors, je n’en ai jamais cuisiné moi-même mais d’après les recettes que je viens de consulter, ils conseillent simplement de bien essorer l’eau avec du papier de cuisine.
Merci Judith, j’ai très envie de goûter ! J’adore le mozuku, et les fritures d’algues, c’est plus ou moins toujours super bon.
Merci pour ce super blog et cette recette pleine d’infos passionnantes ! J’adore !
Merci Camille pour ce passionnant article qui m’a permit de réaliser mes premiers tempura et j’ai même réussi à les réaliser plusieurs fois, donc point de chance du débutant ici, je dois tout à tes conseils avisés !
Je n’ai jamais mangé de fleurs de courgettes, mais j’en ai plus envie que jamais…
Merci pour cet article complet et appétissant. Elles ont l’air parfaites. J’en salive alors que j’en ai fait récemment… 🙂
Chère Camille , comme je vous l’ai déjà écrit , je suis votre blog avec beaucoup d’attention , j’ai fait des tempuras de fleurs de courgette et c’était top ( je parle de l’année dernière ) quand on trouve des fleurs de courgettes bien fraîches sur le marché , grâce à votre recette les fleurs gardaient leur goût très savoureux et restaient croquantes , pas comme quand je les faisais avec une pâte à beignet qui les rendaient plus molles ! Alors , je voudrais me lancer dans des recettes plus compliquées pour moi 🙂 on va voir ! merci
Bonjour Camille,
Je vous remercie pour cet article ! tout est tellement bien expliqué qu’ il ne me reste plus qu’à faire 🙂
Il me semble avoir vu sur le blog d’une japonaise une recette de tempura avec farine de riz (sans blé donc) + oeuf + eau.
Je me demande ce que vous en pensez ?
Bonjour Gabrielle,
La farine de riz n’a pas l’élasticité de la farine de blé, à cause du manque de gluten justement, donc le résultat est plus craquant. Mais attention, plus craquant ne veut pas dire plus croustillant ! C’est également plus fade.
Au Japon, la tempura à la farine de riz n’existe pas. En revanche, on fait des beignets en enduisant de fécule de pomme de terre des légumes ou des morceaux de viande marinés (sans faire une pâte), et ça c’est bon !
Mille mercis pour ce bel article !!! Je viens de faire des crevettes en tempera d’après votre recette et c’était vraiment délicieux !