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L’oeuf salé, tout beau tout rose
Aux Philippines, difficile de passer à côté des oeufs salés : ils sont rose fuchsia ! Ces oeufs de cane également incontournables en Chine et dans le reste de l’Asie du Sud-Est sont préparés de manière traditionnelle à l’aide de sel, d’argile et de granit rouge chez un producteur célèbre de Manille. Suivez-moi, vous saurez tout sur les oeufs salés.
Retour à Pateros chez Carlito Capco, un célèbre producteur de balut à Manille. Aujourd’hui, ses employés préparent des oeufs salés avec les oeufs de cane non fécondés qui sont arrivés de Pampanga et Bulacan. Comme pour le balut, tout est purement artisanal. Attention les yeux, préparez-vous à voir la vie en rose.
Lorsque plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’oeufs – parmi les 30 000 que Carlito reçoit chaque semaine – ne sont pas fécondés et ne peuvent donc pas produire de balut, il n’est pas question de les jeter. Ils vont reposer durant 16 à 20 jours dans un mélange de sel, d’eau et d’argile. L’argile, qui provient de termitières et fourmilières, est totalement séchée avant d’être utilisée pour éviter le développement des bactéries.
S’il n’y avait que du sel et de l’eau, selon la méthode plus radicale certains industriels utilisent, l’opération prendrait certes moins de temps mais la diffusion serait abrupte, et la qualité du produit fini serait bien moindre. La mixture que Carlito emploie est traditionnelle aux Philippines. Le mélange est un ratio 1:1:2 d’argile séchée, de sel de table et d’eau.
La « méthode Pateros »
Les Chinois et les populations des autres pays d’Asie du Sud-Est produisent et consomment eux aussi des oeufs salés, mais les laissent reposer dans de l’eau salée ou se servent de charbon et de sel. L’argile rend la méthode philippine unique. Elle porte même le nom de « méthode Pateros ».
Elle va permettre au sel de se diffuser lentement dans l’oeuf à travers les pores de la coquille. La réaction qui se produit alors porte le nom d’osmose. Ils attendront ainsi, rangés dans des caisses en bois. Chacune d’entre elles contient 300 oeufs.
Pas question de choquer les oeufs et de risquer de briser leur coquille. On tient à les vendre intacts. Ils vont donc cuire lentement, doucement, dans une sorte d’immense vasque en pierre sous laquelle est entretenu un foyer. Celle-ci était là bien avant Carlito.
Cuisson en douceur et bain de granit
On les plonge d’abord dans l’eau froide, afin que la chaleur vienne progressivement. Trois heures de cuisson, sans atteindre le point d’ébullition, et les oeufs seront prêts.
On pourra alors les sortir de cette vasque fascinante, pleine d’eau brûlante et conduisant la chaleur tout en restant froide comme un mur d’église.
Il faut ensuite colorer les oeufs. C’est important pour Carlito, afin de ne pas mélanger les torchons et les serviettes – enfin, en l’occurrence les oeufs salés et le balut – mais aussi pour les consommateurs, qui repèrent de loin leurs oeufs favoris sur les étals du marché ou chez l’épicier du coin. Pour cela, on utilise un colorant naturel issu d’une roche, le granit rouge. Les Philippines regorgent en effet de granit de toutes les couleurs, ce qui en fait un grand lieu de production de marbre.
Des oeufs roses, pas jaunes, pas verts
Le colorant est mélangé à de l’eau et chauffé à part pour le stériliser. Carlito me dit qu’il est rouge. A le voir comme ça, il semble plutôt violet très sombre.
Les oeufs sont prélevés de leur bain de cuisson dans une espèce d’écumoire géante et plongés dans la marmite de colorant pendant quelques secondes. Lorsqu’ils en sortent, ils sont bien teints, d’un fuschia intense. Ils sont pourtant communément considérés comme rouges.
Selon Carlito, ils sont de cette couleur de mémoire d’homme. Ce colorant était facile à trouver et bon marché. La couleur définissant l’identité du produit, la tradition a été gardée. Certains rigolos ont essayé de faire des oeufs salés jaunes ou verts, mais se sont cassé les dents.
L’oeuf salé est… argh, archi salé
Une fois teints, les oeufs sont mis à sécher sur un tissu qui absorbera l’excédent de couleur. En trois secondes, ils sont secs et rangés dans la pâte à papier moulée. Il n’y a plus qu’à les vendre. Les clients finaux les achèteront surtout pour les consommer en salade.
Aux Philippines, on les aime avec des tomates, des oignons rouges, du gingembre et du vinaigre, ce qui atténue la saveur intensément salée. Les Chinois quant à eux aiment surtout le jaune qui est moins salé que le blanc. Ils le prélèvent et l’utilisent pour faire les gâteaux de lune vendus lors du nouvel an.
Alors, cet oeuf, il est comment ? Ben, il est salé. Oui, mais vraiment salé. Beaucoup, beaucoup trop. La première fois, on a du mal. Et les autres fois aussi. Le jaune est rendu orange par le sel, qui agit comme un exhausteur de couleur et de goût. Ainsi, la sapidité de l’oeuf est décuplée. Si on n’est pas fan de l’oeuf de cane, il vaut donc mieux éviter : c’est un concentré.
Il se gardera au frais plus d’un mois, grâce au sel qui est également un excellent conservateur. Si on ne veut pas mourir trop vite d’une overdose de sel ou de cholestérol, on a donc tout le temps d’espacer sa consommation d’oeufs roses. Vous devriez essayer, il paraît qu’on en trouve à Paris…
J’ai mangé des œufs qui étaient complètement noir (pas la coquille mais le blanc lui-même). Est-ce différent ? Je me demande maintenant si ils étaient vraiment cuits ou si c’est le temps que les les avait mis dans cet état. (œufs de cent-jours?)
Oui, les oeufs noirs sont très différents, ce sont bien les oeufs de cent ans. J’ai écrit un papier là-dessus : http://www.lemanger.fr/index.php/faut-il-avoir-peur-de-loeuf-centenaire/
Bonjour,
Je fais ma saumure pour œufs de canes salés, mais je lis la méthode traditionnelle aux Philippines ajoutant l’argile, et lorsque vous parlez de ratio est-ce que c’est 1kg de sel 1 kg d’argile pour 2 L d’eau, ces trois éléments sont mélangés et qui va couvrir les œufs. Cordialement Gabriel
Bonjour Gabriel,
Une saumure à 20 % suffit, soit 200 g de sel dilués dans 1 litre d’eau. Ajoutez les oeufs cuits dans cette saumure (ils doivent être immergés, donc lestez-les avec un poids, comme un sachet plastique rempli de saumure par exemple, ou une petite assiette) et laissez fermenter 3 semaines.
Vous pouvez utiliser de l’argile, avec un peu de paille mélangée, mais il faut être sûr que l’argile ne contienne pas de mauvaises bactéries, et il faut pour cela la faire complètement sécher au soleil au préalable. N’utilisez jamais d’argile fraîche. Le ratio sera alors celui que vous décrivez, 1 kg de sel pour 1 Kg d’argile séchée et 2 litres d’eau.