Sushi Ko, chez le roi du sushi

Des véritables maîtres sushi, il y en a peu. Mais des champions du design de sushi, il en a encore moins. Mon ami Robert-Gilles m’a invitée à rencontrer l’un d’eux au restaurant Sushi Ko à Shizuoka. Un dîner complètement fou chez un virtuose de la cuisine japonaise.
Le restaurant n’est pas luxueux, il est joli, traditionnel, pas très grand. Pas de dresscode, pas de chichis, ici on a gardé une grande simplicité malgré la renommée de l’établissement. On peut choisir de s’installer sur le tatami, ou sur des tabourets le long du comptoir. La salle est pleine ce soir, comme tous les soirs, et c’est le grand show, comme tous les soirs.
Le show, c’est celui du chef, le fabuleux Kenta Birukawa 尾留川健太さん, un « petit jeune » – il est encore dans sa trentaine, fait rare pour un grand maître sushi – qui a été distingué l’année dernière parmi les 10 meilleurs sushi designers du Japon. Il est sympathique, souriant, et il plaisante avec les clients derrière le comptoir en réalisant sous leurs yeux, avec un plaisir évident, des créations somptueuses qu’on ose à peine manger tellement c’est beau.
Ce dîner, c’est en quelque sorte un défilé de mode. De la haute couture qui se mange, confectionnée à la minute, tantôt en suivant la carte, tantôt en improvisant selon l’humeur, la tête du client et l’occasion. Le chef Birukawa est très joueur, cela se ressent aussi bien dans ses créations que dans son attitude. Voici quelques uns des sushi qu’il a réalisés pour nous ce soir.
On commence très simplement avec un thread-sail filefish – ne demandez pas le nom commun en français, il n’en a pas, comme de nombreuses autres espèces !!! – en jargon scientifique c’est Stephanolepis cirrhifer, en japonais c’est kawahagi. Le poisson est servi en nigiri sushi. Entre le riz et lui, le chef a disposé de la ciboule coupée très finement ; par-dessus, il a déposé un morceau du foie de l’animal. Et pour parfaire le tout, une petite touche fraîche et relevée avec du daikon (le gros radis blanc japonais) râpé au piment rouge.
Le gros machin rose sur la droite, c’est simplement un tas de gingembre vinaigré à manger entre chaque bouchée pour se rincer le palais. Mais j’aime tellement ça que j’ai eu droit à des piles énormes tout au long du repas.
Vient ensuite un kinmedai / 金目鯛, en français une dorade rose, ou un beryx commun si vous voulez gagner plus de points au Scrabble, et ça c’est un poisson génial. Déjà, il est absolument succulent, je crois que c’est de loin mon sashimi préféré. Il est doux, très tendre, très lisse, et d’un rose délicat, c’est une merveille.
En plus, c’est un animal très amusant. Il a une tête improbable : il est rouge vif avec des yeux gigantesques, et il a l’air un peu crétin. Enfin, il vit partout, absolument partout, sauf dans le Pacifique Est. Etrange. On le trouve par 110 à 1000 mètres de fond. Ses yeux géants lui permettent d’y voir un peu dans les grandes profondeurs.
Le chef Birukawa nous l’a servi en sashimi épais, juste torché au chalumeau. Il fond dans la bouche comme aucun autre poisson, la peau se mange sans problème, fondante elle aussi. La petite touche grillée vient légèrement rehausser les arômes sublimes, c’est aussi beau à voir qu’à manger.
Puis c’est la séquence thon, avec un nigiri tout simple, mais tellement beau que je vous le montre. Le poisson est là aussi fondant comme jamais et abondant, ce n’est pas du nigiri de radin, ça fait plaisir.
Avec du thon, on peut faire plein d’autres choses. Nous avons donc droit à deux autres manières de l’accommoder. La première, c’est de très fines tranches de sashimi en sandwich avec de la peau de tofu, en japonais yuba ou ゆば. La peau de tofu, c’est exactement comme la peau du lait qui se forme à la surface du liquide quand on le fait bouillir. Sauf que dans ce cas, c’est du lait de soja et non du lait de vache.
C’est bon et doux, plus ferme que le tofu soyeux et sa saveur est plus marquée. Ce sushi en sandwich est servi avec du concombre tranché très fin et du wasabi.
Et puis le thon, on peut également le manger cuit, donc le chef nous en frit quelques cubes qu’il sert avec du daikon pimenté, de la ciboule et des oignons blancs doux de Shizuoka crus. Ces oignons se mangent avec une facilité surprenante ; quand je dis qu’ils sont doux, c’est un euphémisme. Ils sont presque sucrés.
Et puis on passe aux choses sérieuses. A Shizuoka, on adore le shirasu ou シラス, la larve d’anchois, ou par extension de sardine ou de n’importe quel cousin de la grande famille des clupéidés (jen profite au passage pour dire que les collectionneurs de boîtes de sardines s’appellent les clupéidophiles, parce que c’est toujours bien de sortir ça dans un dîner mondain).
A Nice, on les mange aussi et on appelle ça la poutine, pas en référence au président russe mais aux sécrétions des yeux qui ressemblent à ces petites larves. Nous les mangeons là-bas en friture, mais au Japon, on les savoure crues. Elles sont posées en tas épais sur un gunkan-maki (gunkan ça veut dire bateau, c’est comme un petit bateau plein de petites larves) composé de riz et entouré d’une large bande d’algue nori pour retenir la garniture.
Et puis comme le chef Birukawa aime beaucoup faire des miniatures, il réalise un micro nigiri pour aller avec, fait de trois grains de riz, de deux alevins et d’un minuscule bout d’algue nori pour fixer le tout. C’est glissant, gluant, très iodé, un peu étrange.
On ne va pas s’arrêter en si bon chemin, le chef Birukawa est inspiré, il réalise un mille-feuille, un peu comme un gâteau à étages. Il est fait de riz, de tranches de concombre, d’avocat, de sashimi de thon, d’une fuille de shiso et surmonté de trois magnifiques fleurs de sashimi. L’une est au thon, l’autre au saumon, la troisième à la sériole. Un peu de katsuo bushi, des copeaux de bonite (un ingrédient génial dont je parlerai plus tard) ont été glissés entre le mille-feuille et le shiso.
Le sushi a un diamètre de près de 10 centimètres et il est aussi haut ; impossible donc de le manger en une bouchée ou de se servir des baguettes. On l’attaque donc à la petite cuiller. Pour pouvoir le savourer, il faut d’abord le détruire. Un peu difficile au début car c’est tellement joli, et puis ça devient jouissif, on l’effondre, on le démantèle, on se régale.
Deux jeunes femmes assises à l’autre bout du comptoir ont repéré notre mille-feuille et elles en voudraient bien un elles aussi. Comme c’est l’anniversaire de l’une d’elles, le chef se met en quatre et leur prépare un mille-feuille d’anniversaire incroyable orné de mini-sushi, c’est celui qui est en photo en tête d’article.
Nous, nous passons au rainbow maki, le maki arc-en ciel, fourré de nombreux ingrédients multicolores : poissons, oeufs de poisson volant, légumes, crevettes, omelette. J’ai photographié toute la préparation, étape par étape. On peut voir que le chef, expert parmi les experts, n’a absolument pas besoin d’un makisu (une natte en bambou) pour rouler son maki. Non, il y va directement avec les mains, et il est absolument parfait.
Le plus fou dans l’histoire, c’est que je ne vous ai même pas tout montré. Le chef Birukawa est capable de beaucoup d’autres choses. Comme par exemple de la poutargue légèrement passée au chalumeau et servie entre deux demi-lunes de daikon croquant, en photo ci-dessous, des nigiri de Saint Jacques absolument magiques, des sushi végétariens magnifiques, et j’en passe… Le mieux, c’est encore d’aller le voir pour le croire.
Une fois de plus, un grand merci à Robert qui m’a fait découvrir ce restaurant. Il m’a emmenée voir d’autres choses passionnantes dans la préfecture de Shizuoka. La prochaine étape, c’est la quête de la crevette cerise, dont je vous parlerai vite.
Ça donne foutrement envie !
J’ai ffaaaimmmmmmm!!
Bravo, Camille! Joli article!
je vais le montrer au chef Birukawa!
Bisous,
Robert-Gilles
Merci à tous, et surtout à Robert, pour cette expérience inoubliable. Vivement mon retour à Shizuoka !
Il faut pouvoir aller à Shizuoka !
Mais en attendant, un grand merci de nous faire rêver.
Très bel article, avec des photos qui nous font voyager ! Je profite de ce commentaire pour remercier M. Robert-Gilles Martineau pour ses jolis mots à propos de notre page Facebook, très stimulants ! Merci !
Oui,…. C’est une manière de bouffer Jap. C’est pas mon truc .Y a aussi la pignatta de Collioure ,la brandade de morue,l’alligot ???Vous connaissez ?.L’exotique,C,est pas l’otentique ça se cultive pas (je suis un vieux de la vielle (79ans) et Belge et il y a aussi le beesteak frites salades .
Au Japon ce n’est pas exotique mais authentique, justement… Je n’ai rien contre la cuisine française, bien au contraire. Mais quand je suis au Japon, je mange japonais.
Extraordinaire decouverte que votre site !
Passionnée et amateure de cuisine japonaise, mais aussi française et du monde, je n’ai pu arrêter de me promener entre les articles depuis 2 heures et il m’en reste encore à lire. Un vrai bonheur…
Je voudrais vous signaler un plat qui reste pour moi un des moments de forte emotion gustative : ika uni, des lamelles de seiche crue à l’oursin.
Mais j’imagine que vous avez gouté cela au Japon ? En tout cas, merci de nous faire voyager (et saliver) ainsi, en mots justes et superbes photos !
Merci Marianne !
J’adore l’ika uni, mais d’ailleurs j’adore le calmar sous toutes ses formes, l’ika somen tout simple est un de mes péchés mignons ! On trouve un plat très similaire en Italie d’ailleurs, les tagliatelle di calamaro…