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Bonbons japonais ou l’art du packaging
Au Japon, le bonbon est un produit récent. Comme tout ce qui n’obéit pas à une forte tradition nippone, l’art du bonbon est libre, très libre, jusqu’à l’étrange, jusqu’à l’absurde. A ce phénomène s’ajoute un problème typiquement japonais : celui du sur-emballage. Le packaging, souvent savant, peut réserver d’extraordinaires surprises. Ou verser, lui aussi, dans le non-sens. Combinez ces deux éléments, bonbons et emballages, et vous atteindrez des sommets dans l’inventivité et dans l’hérésie.
La première fois que je suis allée au Japon, il y a 10 ans, le bonbon se faisait encore timide. Certaines formes sucrées avaient pris le dessus, voire le monopole du marché : on avait principalement des bonbons tendres emballés individuellement de type Frutella, dont la forme restait un invariable parallélépipède rectangle. La couleur était presque toujours blanche, mais parfois d’étranges incrustations de pépins de kiwi, de bulles de gel multicolores laissaient deviner une frénésie créative qui allait bientôt s’emballer.
Déjà à l’époque, les parfums pouvaient se montrer déroutants. Bonbons aux ramen, à tous les fruits possibles et imaginables, au Calpis (une boisson qui nous évoque un yaourt dilué dans de l’eau), il se passait déjà des choses bien que les formes restent basiques et pratiques. Les bonbons ne prenaient pas de place et se vendaient dans des étuis aux mêmes dimensions que ceux des chewing-gums.
Au début, des emballages standardisés hérités des Américains
Cette forme leur venait en fait des Etats-Unis, car avant la guerre, il n’y avait rien de comparable au pays du soleil levant. C’est l’occupation américaine qui a véritablement introduit bonbons et chewing-gums au Japon. Et les Etats-unis, ils n’ont pas la même culture de la confiserie industrielle que nous. Lorsqu’on sort des Twizzlers, on n’a pas le choix dément de formes et d’arômes qu’on trouve en Europe. Nous faisons des bonbons en forme de grenouilles, de têtes de mort, d’animaux et plus encore, et nous sommes longtemps restés les seuls à pousser la créativité à l’extrême.
Revenons au Japon. Peu de choix dans les formes à l’époque donc, mais déjà une grande diversité d’arômes – d’ailleurs même plus que chez nous, car si nous aimons varier les formes des bonbons eux-mêmes, les sachets restent souvent assez standardisés et les goûts obéissent à des codes très stricts, des traditions et des attentes nourries par les consommateurs. Quand nous étions capables de produire des bonbons en forme de burger, les Japonais étaient eux déjà capables de se lancer dans le bonbon AU burger. Subtile nuance.
Les Haribo ont commencé à se diffuser dans l’archipel nippon assez tardivement et sont restés des produits chers et encore relativement rares, mais ils ont eu un impact très net sur l’industrie agroalimentaire japonaise.
Le concept du bonbon aux formes originales a séduit, et surtout, le sachet s’est imposé contre l’invariable étui. Les Japonais ont accroché et se sont lancés à corps perdu dans ces nouveaux produits.
Le pays de l’emballage
Comme on aime soigner la présentation au Japon, l’emballage ne pouvait rester sobre. De plus, le pays du soleil levant a un sérieux problème : tout y est sur-emballé. Lorsque vous achetez des confiseries, il est fréquent, voire presque systématique, que chaque bonbon soit emballé individuellement – en plus du paquet qui emballe le tout.
Il est également fréquent que les sachets soient refermables. Ce qui laisse conclure que les Japonais, contrairement à nous, ne s’enfilent pas des poignées de bonbons. Ils en prennent un, le sortent patiemment de son emballage individuel, le laissent fondre dans leur bouche, et referment le sachet avec minutie. Pendant ce temps, j’ai eu le temps d’engloutir un paquet de Zanzigliss.
Tous ces packagings sont des occasions d’aller loin, voire très loin, dans la créativité. Les graphistes japonais ont du talent, c’est indéniable, et au Japon plus qu’ailleurs, les marques locales encouragent leur esprit inventif. Il faut se démarquer sur un marché en plein développement, et pour cela, tous les moyens sont bons.
On va trouver de tout, je vais essayer de classer cela comme je peux. Il y a cependant une constante : le kawaii. Le bonbon n’est pas un truc de brutes, il n’est donc pas question de sombrer dans l’austérité ou dans un registre trop adulte. Voyons cela de plus près.
L’emballage rétro
Le vintage a un côté chic. Il fait appel à une certaine nostalgie. Pas forcément liée à la marque d’ailleurs, car un paquet rétro ne veut pas forcément dire que le produit a une longue existence. Dans certains cas, comme celui du bonbon Milky de Fujiya, il y a bien une jolie histoire : la marque existe depuis 1910, pas question de moderniser sa mascotte qui n’a pas changé depuis.
Dans d’autres cas, le rétro est simplement un style qu’on se donne. C’est très vendeur, ça fait vibrer une corde sensible : celle de la mémoire, pas la mémoire du bonbon mais celle d’un de ses ingrédients, ou bien celle d’un lieu, d’une idée (ou d’un fantasme) du Japon, un Japon d’antan aux valeurs simples.
Prenez de jolies vaches dans un champ bien vert par exemple, et pouf, symphonie pastorale, Kagoshima mon amour, idéal bucolique, vous avez un bonbon au lait qui sent bon la nature.
L’emballage pop art
Le pop art, c’est cool. Au Japon, le courant pop a existé grâce à Tadanori Yokoo et Yayoi Kusama ; il a eu un impact considérable sur le développement du manga et vice versa. L’esprit pop est un pilier de la culture japonaise contemporaine. Et il n’est pas rare de le voir ressurgir.
Comme pour revenir aux sources du Japon ultramoderne, à cette époque cruciale d’influences américaines, de développement du confort, du design et de nouvelles formes artistiques, les Japonais aiment reprendre les grandes lignes pop (japonaises ou américaines) des fifties et sixties. C’est propre, gai, rigolo même, et puis on trouve, là aussi, une certaine nostalgie, celle de l’ère Showa qui, malgré la guerre, a été prospère.
L’emballage qui fait mal aux yeux
Plus pop que le pop, il y a l’emballage-qui-rend-épileptique pour enfants en quête de sensations fortes. Les enfants qui gardent la tête en bas jusqu’à devenir tout rouges et voir des petits flashs de lumière, qui dansent sans musique comme des évangélistes en transe, les enfants qui tournent sur eux-mêmes à toute vitesse puis tentent de marcher droit et s’effondrent tels des clochards alcooliques. Bref, les enfants tout court.
Ce paquet, c’est un stroboscope fixe, avec de la couleur qui pète, du brillant partout, des animaux fous qui louchent (un bon signe pour faire comprendre qu’ils sont mabouls), tout est bon pour que l’oeil sature. Et moins ça a de sens, mieux c’est.
On est dans l’excès, l’excès assumé, le vrai n’importe quoi jouissif, voire parfois agressif pour notre regard européen habitué à plus de sobriété.
L’emballage franchisé
Moomins, Barbapapa, Hello Kitty, Bisounours… Ce sont eux les vraies idoles des Japonais. Vous pouvez en mettre sur n’importe quoi, ça se vendra toujours. Alors les marques paient, parfois très cher, le droit d’utiliser ces figures emblématiques pour décorer leurs emballages.
J’ai trouvé les bonbons Bisounours (en anglais Care Bears) ci-dessus à Ueno, Tokyo. Ce sont des bonbons à la fraise sans intérêt particulier ; tout leur attrait, c’est précisément leur emballage.
L’emballage dégueu
Si vous avez une image des Japonais très propre et policée, vous êtes dans l’erreur. Ce sont des vrais gens, et ils aiment bien les trucs un peu cracra. Le kawaii peut surprendre : l’un des personnages préférés des petites Japonaises est un tas de caca au visage souriant. Très scato, les Japonais aiment par ailleurs parler de points noirs, de choses qui puent etc.
Et tout cela n’est pas à dissocier du manger. Parler d’excréments à table ? Pas de problème. Il n’y a donc rien de surprenant à afficher des singes qui se curent le nez, ou défèquent, sur un paquet de bonbons. C’est mignon.
L’emballage dérangeant
Il y a pire que le singe qui défèque. Quelque chose de plus étrange, plus perturbant, mais toujours aussi kawaii : le bonbon-seringue, pour futurs toxicomanes. Certes, on peut y voir le plaisir innocent de jouer les anesthésistes, mais moi j’y vois surtout un bon gros shoot d’héroïne (cf les enfants en quête de sensations fortes de tout à l’heure).
Il faut avouer que la couleur du liquide (qui est le bonbon, si vous n’aviez pas compris) n’aide pas, le rouge sang n’est jamais évident à utiliser avec bon goût.
L’emballage saisonnier
Revenons à des choses plus simples : comme je l’ai déjà expliqué maintes fois, la saison est un élément primordial au Japon. Surtout dans tout ce qui est comestible.
Chaque moment marquant de l’année est associé à des symboles forts. Au printemps par exemple, après une longue vague de sakura – les fleurs de cerisier – durant la période d’hanami, la fête des garçons (en japonais Kodomo no hi / 子供の日) ne va pas sans des manches à air en forme de carpe, qu’on appelle koinobori / 鯉幟.
Par extension, le jour des garçons est devenu jour des enfants, et les carpes sont bleues (pour les garçons) et rouges (pour les filles).
Autour du 5 mai, vous trouverez donc dans tout le Japon des emballages en forme de carpes bleues et rouges. La même chose se produit à Noël, au nouvel an chinois, pour la Saint Valentin etc.
L’emballage über cool
Quand les Japonais ont décidé d’être cool, ils assurent. Il faut dire que leur écriture, très belle, s’y prête. Des formes stylisées, qui sortent du registre enfantin tout en restant très fun, apparaissent de plus en plus, comme ce superbe gorille (pour un bonbon au cola sans aucun rapport avec l’animal).
C’est assez beau pour finir en tee-shirt, je dis bravo, donnez m’en plus. Même si, en toute honnêteté, vos bonbons sont hyper nuls.
L’emballage local
Outre la saison, l’idée d’un lieu, d’un terroir, d’une région est primordiale au Japon. On le voit avec les Kit Kat, déclinés en parfums régionaux, ou avec les plaques d’égout de chaque ville, décorées de symboles locaux. On le voit aussi sur les paquets de bonbons. La marque Puccho, comme Kit Kat, vend des éditions spéciales de parfums locaux dans toutes les gares du pays : cerise dans le Tohoku, lait sur Hokkaido, etc.
Parfois cela n’a aucun rapport avec l’arôme des bonbons, c’est juste une image, comme les singes des montagnes ou les lapins d’Okunoshima. Ci-dessous, vous trouverez un paquet de Puccho vendu sur Hokkaido, la grande île au nord du Japon.
Là-bas, il y a des forêts, des ours, des biches, des renards et des saumons, ils ont donc été représentés sur l’emballage. On peut également voir un melon (le bonhomme vert) et un pot de lait qui hurle (normal), deux spécialités locales. Les bonbons sont naturellement aromatisés au lait et au melon, pas à l’ours et au saumon.
D’ailleurs en écrivant cela, je me rends compte que j’ai vu beaucoup d’animaux sur les paquets de bonbons japonais, mais surtout des primates. Pourquoi seraient-ils mis en avant à ce point ? Je vais tenter de fournir une explication qui ne vaut peut-être pas grand chose.
Tout d’abord, le singe fait partie des rares grands mammifères du Japon. En tant qu’animal local, il est normal qu’il soit plus représenté que le bouquetin ou la girafe. Mais détachons-nous deux secondes du premier degré.
Si vous avez suivi, vous aurez remarqué qu’il n’y a presque jamais d’humains sur les paquets de bonbons japonais. A part Peko-chan, la petite fille de 1910 et les héroïnes pop anonymes. On leur préfère les animaux.
Le singe est un bon compromis. Comme il n’est pas humain, on peut lui faire faire plein de choses débiles sans choquer personne. Et comme il fait un peu humain quand même, l’analogie fonctionne. En bref, tout lui est permis, tout est admis, puisque c’est un singe. Ce n’est pas grave. C’est même résolument comique. On a eu notre phase chimpanzés-en-couche-culotte en Occident dans les années 80-90, cela fonctionne exactement sur le même ressort.
C’est tout pour aujourd’hui, ne soyez pas tristes de ne pas avoir plongé le nez dans les paquets de bonbons. Je réserve ça pour plus tard, il y a de quoi écrire des pages et des pages sur les formes, les couleurs, les arômes des sucreries nippones. A suivre donc…
Bien belle synthèse, mais tout cela ne me dis toujours pas s’il y a du cheval dans les fraises Tagada ?
Sinon, j’adore l’idée de la seringue, mais je refuse de t’imaginer aux prises avec un paquet de Zanzigliss…
Je ne sais pas si j’ai déjà assez d’images pour faire un panorama des formes et arômes des bonbons japonais (il y en a en kit, à fabriquer, d’autres sont des cachets effervescents, c’est assez fou, dans la veine de la seringue), il va peut-être falloir attendre que je retourne au Japon faire le plein de photos, mais la suite de ce post sera épique.
Pour les Zanzigliss, j’ai tellement manqué de réglisse en Asie que ma vengeance au retour a été terrible…
Ce qui me fait penser que je ne t’ai pas dit que j’ai beaucoup aimé la réglisse salée..
Aaaaaah, je t’emmenerai un jour dans un magasin fou alors, spécialisé dans la réglisse (salée ou pas) scandinave. Absolument génial.
En France aussi on trouve beaucoup de bonbons emballés individuellement. C’est normal, sans ça ils colleraient entre eux.
La seringue ne me choque pas. Il faut dire que chez moi c’était un objet présent dans les tiroirs de la cuisine et utilisé pour préparer le « gigot de la clinique », un gigot piqué de marinade au lieu d’être mis à tremper dedans. Et j’en utilise pour mesurer de petites quantités de liquides.
Et sinon, kézaco le Zanzigliss ?
Oui, cela existe en France, mais on est très, très loin du sur-emballage japonais ! Prenez les Kit Kat par exemple : chez nous, un emballage en alu, point. Au Japon, vous avez un emballage en carton, puis un en alu, puis en-dessous, les barres sont encore emballées par deux dans de l’aluminium ! Tout est comme ça au minimum. Pas seulement les confiseries.
Je n’ai pas insisté sur le sujet dans cet article mais le sur-emballage est un très grave problème de société au Japon. Le traitement des déchets est un véritable casse-tête, sans commune mesure avec ce que nous connaissons en Europe.
Pour la seringue, c’est amusant, l’outil de cuisine est loin d’être la première idée qui me vient en tête, sans doute parce que nous ne les utilisions pas pour cela à la maison. Je suis fille de dentiste et petite-fille de médecin ; chez moi, quand on sortait les seringues, ça voulait dire qu’on allait avoir droit à une piquouse…
Oh, et les Zanzigliss, ce sont les assortiments de réglisses Haribo vendus en France. La réglisse ne se trouve pas au Japon. A mon retour en France, j’ai surcompensé.
ce sont les américains qui ont commencé à comparer les japonais aux singes cruels pendant la guerre. Du coups, les coréens qui destestent les japonais (cause passé d’occupation japonaise au debut de XXeme S.)les appelent encore les singes. Bizzar que les japonais eux-même utilisent souvent l’imagerie de singe…
Le bonbon en seringue m’a fait pensé des sculpture-figurine de l’artiste japonais Murakami, celles ou ceux qui ejaculent … En tout cas, tout ces choses sont extremement japonais, et les japonais sont vraiment extremes, c’est pour ça que je les aime et qu’ils me font peur.
Je ne connaissais cette histoire de singes, c’est terrible… Et moi aussi j’ai vu dans cette seringue (et surtout l’emballage avec les lapins) une éjaculation. Le parallèle avec Murakami marche bien, je pensais souvent à lui en écrivant ce texte – même si je ne suis pas une grande fan.
Les extrêmes, c’est fou ce que c’est attirant. Sans doute pour cela que le Japon fascine autant. Et pour cela aussi que les visiteurs étrangers peuvent tomber de haut lorsqu’ils y vont pour la première fois. Ma première fois a été aussi traumatisante qu’excitante. Je n’étais pas sûre d’avoir aimé, mais je savais que j’y retournerais encore et encore…
Si la seringue est dérangeante, moi j’ai bien pensé à pire, et vu qu’il existe déjà des boissons rouges proposées en sachets comme ceux des poches de sang, finalement, c’est bien gentil…
Sourire*
Alors moi je dis.. à quand les tampons hygiéniques-bonbons à mâcher, hein?
Et dis moi, tu fais de la déco avec tout ces emballages? Ça ferait une super crédence de cuisine derrière une plaque de verre. Si tu ne t’en sers pas, je veux bien t’envoyer les frais de port.^^
Malheureusement, j’ai laissé les emballages derrière moi au Japon… Ils étaient chouettes, mais j’avais un an de bagages à rapporter en France, donc j’ai dû faire des coupes sur les poubelles. Bon, j’y retourne bientôt, si jamais je retrouve des trucs du genre, je penserai à toi.
Bonjour, merci pour ce texte.
Je vient d’ouvrir ma boutique ou je vend des confiseries Japonaise et mon meilleur article sont les toilettes moussante avec plusieurs gout disponible.