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McDo lance un burger à la truffe
Samedi 13 juillet, c’est une date un peu spéciale pour de nombreux Japonais. Il ne s’agit ni d’une fête nationale ni du début de la Golden Week : aujourd’hui, l’événement dans tout l’archipel nippon, c’est la sortie d’un luxueux burger à la truffe noire chez McDonald’s, baptisé Black Diamond.
Ce Quarter Pounder (comprenez Royal Cheese en français) ultra-chic est le deuxième d’une trilogie intitulée « Jewelry », autrement dit « sandwiches bijoux » : samedi dernier, McDo lançait le Gold Ring, à l’ananas et au bacon, et samedi prochain, ce sera le tour du Ruby Spark, au chorizo et à l’avocat.
Si on veut avoir une chance de goûter ces burgers, il faut être prêt à quelques efforts. Tout d’abord, chacun d’entre eux est vendu en édition limitée d’un jour seulement. En fait, ils sont mis en vente à 10h30 le matin, et sont déjà en rupture de stock quand arrive l’heure du déjeuner.
Une édition limitée de quelques heures seulement
Chaque restaurant a sa limite ; en l’occurrence, le McDonald’s où je suis postée ne produira que 120 Black Diamonds. Dans un rayon de 150 mètres, il y a 3 autres restaurants de la chaîne qui feront de même. En totalité, ce seront 300 000 Quarter Pounder Jewelry vendus dans le pays en 3 samedis.
Bref, si l’on ne veut pas faire la queue pour rien, mieux vaut arriver très tôt. Et donc être prêt à s’enfiler un burger aux champignons de 625 calories au petit-déjeuner, en plein été, alors qu’il fait 35°. Un burger dont le steak, rappelons-le, pèse un quart de livre (d’où le nom Quarter Pounder), soit plus de 113 grammes.
La patience n’est pas la seule vertu des clients japonais de McDonald’s : ils sont également prêts à payer une somme rondelette pour goûter à ces sandwiches éphémères : chacun d’entre eux est vendu 1000 yens, soit près de 10 euros (enfin, plutôt 8 avec le taux de change actuel), sans frites ni boisson. Pour un menu complet, il faut ajouter 200 yens.
Je suis justement à Ōsaka, connue par les Japonais comme « la ville où l’on achète à manger jusqu’à se ruiner ». Mais comme je suis pauvre, j’habite dans un quartier un peu pourri en périphérie du centre. Ici, les gens ne sont pas riches, pas riches du tout. Je suis donc curieuse de voir quelle tournure va prendre la vente de ce sandwich hors de prix.
En effet la nourriture coûte en moyenne moins cher au Japon qu’en France. Certes, les Nippons dépenseront bien plus pour aller dans un vrai restaurant, mais un sandwich à 8 euros ici, c’est du délire, surtout dans mon quartier, contrairement au centre de Paris où des boutiques de bobos peuvent se permettre le concept.
1000 yens pour un burger en pleine crise économique
De plus, depuis le début de la crise mondiale en 2008, puis le tsunami de 2011, l’économie japonaise est en berne. De très nombreux commerces et restaurants ont fait faillite. Aujourd’hui, on ne dépense plus autant qu’hier pour se nourrir, se vêtir ou voyager. La majorité de la population doit se serrer la ceinture au quotidien. Dans ce contexte, le burger à 1000 yens est un pari osé. Certes, on est au Japon, il y aura donc toujours une clientèle pour tout, mais cela reste somme toute culotté.
À 10h30, personne ne fait la queue particulièrement pour ce nouveau burger. Il y a des clients comme les autres, venus pour un McMorning ou un café. Petit à petit, les amateurs de Black Diamond arrivent, mais sans aucune excitation, aucune fébrilité ambiante. Chacun achète son précieux burger, se range sur le côté et attend sagement entre 5 et 10 minutes d’être servi. Pour McDo au Japon, c’est très très long. Mais comme les Japonais sont efficaces et bien organisés, la file d’attente garde des proportions raisonnables.
Débauche d’emballages à la Chanel
Quand on paie aussi cher, on a droit à quelques égards du point de vue de la présentation. Les Quarter Pounders Jewelry sont vendus dans un beau sac blanc très sobre orné d’un petit ruban, un esprit « couture » qui rappelle plus la maison Chanel que la chaîne McDonald’s. Même si l’on mange sur place, on n’échappe pas au sac. L’environnement vous dit merci.
À l’intérieur, on trouve une grande boîte cubique blanche elle aussi. Sa base est un socle en carton argenté. Pour plus de bling-bling, on a une bague en carton doré censée tenir le sandwich en place, et au milieu de tout ça, le burger lui-même, qui paraît minuscule dans une telle débauche d’emballages.
Car le principal ingrédient de ce burger, ce n’est pas la truffe. C’est le marketing. Les campagnes de promo battent leur plein depuis des semaines : affichage, spots TV, radio, réseaux sociaux, McDo a sorti l’artillerie lourde comme à chaque fois, déployant un budget communication colossal. En voyant ces publicités, on est nécessairement intrigué, ne serait-ce que parce que le concept-même du McDo de luxe (et plus particulièrement du burger à la truffe pour un Français) est un peu antinomique. L’image du produit est assez soignée et éveille la curiosité.
Jabba le Hutt qui fait dans sa couche
Nous savons tous qu’il existe un décalage énorme entre les photos publicitaires de McDo et leurs produits dans la réalité, mais là, on atteint des sommets. Loin d’être rebondi, ce burger est tout rascleux. Une Niçoise ne saurait utiliser un autre terme ; à lui seul il véhicule les idées de maigreur, de mesquinerie, d’allure négligée. Les termes français qui s’en rapprochent le plus sont éventuellement « loqueteux » ou « miteux ».
Plat comme un soufflé raté, le sandwich s’effondre, s’étale sur lui-même, se déverse dans sa boîte dans un torrent de sauce gluante et de petits champignons en conserve. On a l’impression de voir Jabba le Hutt faire dans sa couche, ça dégouline et ça suinte, et puis l’odeur n’a rien d’engageant.
Évidemment, je ne m’attendais pas à l’expérience culinaire du siècle, loin de là. J’ai même failli rebrousser chemin 45 fois. Durant l’attente, j’ai interrogé les clients du McDonald’s afin de savoir s’ils étaient là pour le Black Diamond. « Non, me répondent-ils en masse, c’est bien trop cher. » Et ils ont raison. Aussi bon le sandwich soit-il, 1000 yens, c’est une sacrée somme. À côté d’un menu Big Mac à 650 yens, difficile d’opter pour le sandwich seul qui ne sera très probablement pas bon du tout.
Encore plus mauvais qu’il n’y paraît
Malgré mes faibles attentes, j’ai tout de même réussi à être déçue. Les arômes sont forts, désagréables, brouillés, c’est une cacophonie de textures et de goûts. Une fiche technique est fournie avec le sandwich, expliquant son contenu : il y a là du pain brioché, une sauce à la truffe – enfin, une sauce barbecue ultra-poivrée très gélatineuse avec des petits machins noirs dedans, censés être des bouts de truffe dont on ne distingue aucunement la saveur – des champignons de Paris et des oignons grillés, une tranche d’emmental et un gros steak de boeuf.
C’est vraiment, vraiment très mauvais. Et quand c’est mauvais et que cela coûte 1000 yens, c’est assez révoltant. D’autant plus que, comme le remarquent certains clients sur Twitter, le prix est clairement plus justifié par les coûts de la campagne publicitaire et des emballages que par les produits utilisés pour confectionner cette horreur.
Je demande à un homme d’une quarantaine d’années, assis à côté de moi, ce qu’il en pense. « C’est plutôt bon, me répond-il, en tous cas meilleur que celui de la semaine dernière. La sauce est plus réussie. » Ouch, j’imagine à quel point le Gold Ring devait être infect. Ce qui est fascinant, c’est que le client, qui n’a pas vraiment aimé le premier Quarter Pounder Jewelry, est prêt à revenir le samedi suivant et à repayer une fortune pour goûter le deuxième sandwich malgré tout.
Une manière de violer la truffe ?
Avec ses Quarter Pounders Jewelry, et particulièrement le Black Diamond, McDo ose le mélange des genres, proposant un gros burger américain fait en partie avec des ingrédients appartenant aux sphères de la haute gastronomie, comme la truffe noire. Au Japon, tout cela fait très français : le pain brioché, l’emmental, les champignons de Paris, et évidemment la truffe.
En France, on ne trouverait pas cela français du tout. La recette sonnerait comme un fiasco annoncé. Les défenseurs de la gastronomie s’élèveraient contre ce sandwich contre nature, comme si c’était une manière de violer la truffe. Rassurez-vous, McDo n’a pas volé toutes les meilleures Tuber melanosporum du Périgord pour les mettre dans ses burgers pas bons.
Impossible d’ailleurs de connaître l’origine des truffes de McDonald’s qui n’a pas souhaité divulguer l’information. Cela pourrait tout aussi bien être des contrefaçons chinoises à bas coût, personne ne verrait la différence, puisque justement, ceux qui achètent ce sandwich n’ont évidemment jamais goûté une truffe du Périgord.
L’édition limitée ou le succès assuré
Quoi qu’il en soit, au Japon, on ne se crispe pas sur les produits français et ce qu’il FAUT en faire comme chez nous. Ce sandwich est donc un succès assuré. Cela ne tient pas seulement au concept du burger de luxe et à sa recette « française ». Les Japonais sont en effet friands d’éditions limitées. J’en parle dans cet article sur la folie du Kit Kat dans l’archipel nippon : plus la mise en vente d’un produit est ponctuelle, plus le consommateur japonais va être poussé à l’achat. Pour que cela fonctionne, il faut évidemment faire preuve d’une grande originalité à chaque fois. C’est ainsi qu’on se retrouve avec un burger à la truffe, ou avec un Kit Kat à la pastèque et au sel.
Enfin, McDo n’est pas dirigé par de jeunes gens inexpérimentés. La firme a parfaitement calculé le coût de l’opération et les marges qu’elle pouvait en tirer. La stratégie de l’édition en nombre très limité est particulièrement habile : tout a été calibré pour ne pas avoir d’invendus. Mieux encore, on a prévu petit afin d’être sûr d’avoir des clients qui ne pourront être servis.
Cela va avoir deux effets : non seulement ils vont surcompenser et dépenser le budget qu’ils avaient prévu dans d’autres sandwiches, voire peut-être plus parce qu’ils sont frustrés, mais ils vont surtout garder en tête ce qu’ils avaient imaginé de ce burger et non sa réalité. Comme ce genre de produit a toujours meilleur goût dans les fantasmes des gens que dans la vraie vie, c’est une bonne chose pour McDo. Et puis, il reste une chance de se rattraper en venant goûter au prochain Quarter Pounder Jewelry le samedi suivant…
Le dernier point central de cette campagne un peu spéciale, c’est l’image de marque du géant américain. Comme l’explique Eiko Harada, président de McDonald’s Holdings, « Aucune autre compagnie ne pourrait servir ces burgers de haute qualité aussi vite que McDonald’s. » Une attitude « Yes we can », et surtout une manière de se démarquer des restaurants de burgers indépendants mais aussi du concurrent principal sur le sol japonais, Burger King.
Alors oui, ça va vite, oui, c’est du luxe dans le sens où c’est cher, mais Eiko, soyons sérieux deux minutes, ce n’est pas de la haute qualité. Je préfère 1000 fois un Big Mac à l’horreur de ce matin, c’est dire. Heureusement que l’édition limitée ne dure que quelques heures, les clients insatisfaits n’auront pas vraiment le temps de se passer le mot…
Quant aux emballages, honte à toi McDonald’s. Les gens ont le droit de manger n’importe quoi et on a le droit de leur en procurer au prix que l’on souhaite, mais produire une telle quantité de déchets délibérément, c’est tout simplement criminel.
Les petits feinteux : apparemment ils ont déjà utilisé la sauce à la truffe dans d’autres pays, et de manière encore plus limite (c’est possible). À Hong Kong ils ont eu droit au burger aromatisé à l’encre de seiche avec de la purée dedans et la fameuse sauce à la truffe.
http://www.thatfoodcray.com/2013/05/31/mcdonalds-cray-black-white-burger/
Ça fait rêver non ?
Et paf pour les bobos du centre de Paris, tu pensais à la merd… au homard, ou à la merv… à la truffe de Rostang ? En tous cas j’adore…
Quentin, le burger hong-kongais est monstrueux. Franchement, on ne dirait même pas que c’est comestible. La vache, je vais cauchemarder.
Patrick, le fait d’habiter dans le Marais ne m’attendrit pas… Je sais que tu vois très exactement ce que je voulais dire, héhé.
« battre son plein » sonnerait mieux…! (c’est en effet le son qui est plein et donc pas d’accord au pluriel!).
Hormis ce détail sans intérêt (une manie chez moi, pardon), je partage évidemment votre dégoût et je vous admire d’y avoir goûté.
Mais justement, fallait-il en faire « tout un formage » au risque d’un coup de publicité de plus?
Je profite de ce petit message pour vous féliciter: votre blog a les honneurs du récent hors-série du Monde consacré à la nourriture (intitulé A table!). Il est cité aux côtés de deux autres et la description qui en est faite est aussi élogieuse que fidèle. J’adorerais le découvrir! Hélas, je le connais déjà (les deux autres aussi d’ailleurs qui sont moins bien…).
Merci encore!
Bénédicte
Merci Benedicte,
pour vos compliments et votre oeil de lynx ! Mais je suis bien embetee, je cherche la faute dans le texte ne parviens pas a la localiser… Et en plus mon clavier japonais ne veut pas mettre d’accents, alors je rajoute plein de fautes ici au passage…
Camille, la « faute » se situe à la deuxième ligne sous la première photo où l’on voit le hamburger dans sa boîte ainsi légendée « la sandwich qui fait bling et rebling ».
Merci Camille pour vos posts distrayants et nourrissants… c’est un plaisir de vous lire…
Merci Dominique, tout le plaisir est pour moi. Je m’amuse bien avec ce blog, j’adore écrire sur des sujets qu’on ne trouverait pas (ou peu) ailleurs… Internet est fait pour ça : mettre à disposition des informations variées sur un support indépendant et alternatif, pour jouer la complémentarité avec les autres media, plutôt que de les cloner bêtement… J’essaie de vraiment jouer ce jeu au maximum. Et puis c’est chouette d’être lue ! Quand en prime on a droit à des compliments, c’est vraiment parfait.
C’est bien rouge pour une sauce à la truffe. Ça ne donne pas envie en tout cas.
Le modèle édition limité fonctionne bien. Pour le consommateur ça permet d’avoir sans cesse de nouvelles variétés et aussi de pouvoir proposer des saveurs plus audacieuses et donc bien sur ça fait vendre. Le nombre de Pocky et de Bōkun différents que j’ai acheté au Japon 😀
Tout cela pose quand même une grande question : quelle taille de couche fait Jabba ??
Héhé, la Pampers 40XL sur mesure est de rigueur ! En ce moment, les Pocky sont justement aux couleurs de Star Wars, la boucle est bouclée…
J’ai remarqué qu’en Asie, les recettes de burgers étaient plus variées qu’en Europe, certaines des fois excellentes (à mon avis).
Une fois chez KFC en Chine j’ai pris un burger aux crevettes !
Et chez Mos il y a même une recette au Kimchi !
Je suis ravie d’avoir appris un nouveau mot : « rascleux ». Il semble avoir été créé spécialement pour ce burger.
Mes voisins provençaux diront « rasqueux », mais la version niçoise avec le « l » en plus c’est encore mieux je trouve 🙂
Oh, peuchère, qué couillonage !
J’ai moi aussi « testé » (mieux vaut dire « testé » pour ne pas avoir honte…) ce burger. et je ne suis plus allé au Mc Do depuis. Je ne suis pas contre un Big Mac une fois par mois (ou 2), mais là, c’était vraiment du foutage de gueule.