Bio-s, cuisine française au mont Fuji
Dans la préfecture de Shizuoka, il y a des restaurants formidables. Aujourd’hui, je suis allée manger chez Bio-s, un établissement qui sert une cuisine française d’excellente qualité, à base de produits bio venus de la région et du potager du propriétaire. Suivez-moi pour une dégustation hors du commun.
A Shizuoka, ville jumelée avec Cannes qui m’a vue naître, on aime manger et on mange très bien. Il y a en effet ici d’extraordinaires produits : du poisson, des légumes, des fruits, de la viande absolument sublimes. Rien d’étonnant donc à ce que l’on trouve ici de très bonnes tables, dont Bio-s, un restaurant français gastronomique à Fujinomiya, une petite ville au pied du Mont Fuji.
Fujinomiya est tristement célèbre puisque c’est ici que la secte Aum s’était installée, vous savez les barjos qui ont fait un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995. Leur QG est à présent un centre d’entraînement pour chiens d’aveugles.
Chez Bio-s, on fait les choses simplement. Ce joli petit restaurant tout neuf – il a à peine deux ans – se situe là où commencent les champs en paliers et les petits bouts de forêt, au pied du grand volcan encore couvert de neige. Tout autour, il y a le potager bio de Monsieur Kazuhiro Matsuki/松木一浩, qui fournit les légumes et herbes qui serviront en cuisine à son jeune chef, le brillant Yoshinori Kawasaki/川崎芳範. Le chef est aussi un chasseur – et il sert les lièvres qu’il vient d’attraper.
Monsieur Matsuki respecte le calendrier traditionnel japonais, fondé sur les saisons telles qu’elles sont perçues par les travailleurs agricoles. Ainsi on obtient 24 saisons par année, soit une nouvelle toutes les deux semaines, et c’est à ce rythme que Bio-s change son menu. Certains produits sont communs à plusieurs saisons et restent donc à la carte.
Ce qui frappe au premier coup d’oeil, c’est que Monsieur Matsuki, contrairement à d’autres Japonais, est fan de la France et qu’il la connaît bien. Souvent, on rencontre ici des amoureux de l’hexagone qui ont pour seule référence une époque imaginaire où se côtoient les chansons d’Yves Montand et de Sylvie Vartan, les vues de cartes postales prises Dieu sait quand et le Mont Saint Michel de Paris, comme on l’appelle ici.
Mais Monsieur Matsuki a vécu dans notre capitale pendant deux ans et il parle un français parfait. Devant son restaurant, il a garé sa deuche, immatriculation japonaise. Et dans son potager, je suis émue en trouvant des artichauts, des fèves, de la menthe, du romarin, et tout un tas d’autres végétaux familiers.
Le restaurant n’est pas immense, 9 tables seulement, mais beaucoup d’espace. Il est très lumineux grâce à une immense baie vitrée donnant sur le jardin, le potager et un petit bout de forêt. Au plafond, poutres apparentes, bois clair, joli, peinture blanche sur les murs, et carotte qui pousse dans les toilettes.
Robert a sorti le grand jeu et nous sommes partis sur une dégustation très variée : un amuse-bouche, une salade, une terrine, deux plats de poisson, une soupe, un plat de viande, une soupe sucrée et quatre desserts. Attention les yeux, c’est très beau.
Nous avons commencé par un mini-croissant de rien du tout, un mini-mini-croissant aux herbes, qui avait l’air bien trop petit pour pouvoir cuire et lever sans griller et dès le début, on a compris la maîtrise du chef. Il était parfait son croissant.
Puis Monsieur Matsuki a apporté un immense jambon cru dans la salle, a sorti son couteau et s’est mis à le trancher finement pour agrémenter les salades que l’on venait de nous servir. Il fait venir ses jambons de Kagoshima mais les affine lui-même durant 15 mois.
Dans la salade, de beaux copeaux de Parmesan – je tiens à souligner le fait que tout cela est extrêmement rare au Japon – des petits radis, une roquette douce, des champignons de Paris tous bio et venus du jardin. Deux sauces, l’une au basilic et l’autre aux tomates séchées. Tout est parfait.
Vient ensuite une terrine aux champignons et au poulet – les meilleurs de la région, tout simplement – enrobée de lard et servie avec des champignons frais. Avec cela, on nous sert du pain, du vrai pain comme je n’en ai plus mangé depuis très, très longtemps. Une baguette délicieuse, je devrais dire une baguette magique, et un superbe pain aux noix, le tout à tremper dans un peu d’huile d’olive dans laquelle infuse un brin de romarin.
On passe ensuite à deux plats de poisson très différents. Le premier est un poisson d’eau douce, l’omble chevalier, un cousin de la truite ; il a été fumé avant d’être poêlé et il est servi avec du cresson sauvage du mont Fuji, frais, en sauce et en émulsion. Une réduction de balsamique vient parfaire le tout.
Le deuxième poisson vient de la mer, de la baie de Suruga plus exactement, dans la préfecture de Shizuoka. C’est un bar grillé servi avec des échalotes japonaises. Ces échalotes ont été frites jusqu’à devenir très croustillantes, on nous en fait une oeuvre d’art.
Avant de passer à la viande, une petite soupe de carottes (pas la carotte des toilettes, je vous rassure) à la crème avec une touche de coriandre. D’habitude je hais la coriandre. Mais pas là.
On nous apporte la viande, du rumsteck accompagné de petits légumes braisés. Il faut dire un mot sur ce boeuf. C’est du wagyu d’une race ajoutée à la liste des produits de la préfecture de Shizuoka en 2006, un peu l’équivalent de nos AOC. J’ai eu l’immense honneur de visiter le ranch dont il est issu, qui appartient à l’éleveur Monsieur Okamura. J’en parle dans l’article Profession : éleveur de wagyu.
Cette viande, c’est une pure merveille. Comme le boeuf de Kobe, il est si tendre qu’il fond littéralement dans la bouche. Il est marbré, fruit d’un massage régulier des bêtes. Il a été juste saisi, et il est accompagné de légumes du jardin braisés : carotte, navet, pomme de terre vitelotte, broccolini, pousse de bambou et daikon, le gros radis blanc japonais.
Le moment du dessert approche. On nous sert d’abord une sorte de gaspacho sucré d’orange de Suruga aux éclats de pistache. Très rafraîchissant, juste acide comme il faut.
Enfin vient le moment du dessert. Et c’est un grand moment, avec un petit cérémonial. Monsieur Matsuki nous apporte un plateau chargé de quatre paires d’ingrédients au choix. C’est sa carte des desserts. Il nous propose les associations suivantes : orange/noisettes, marc de sake/kiwi, thé matcha/kumquat et carottes/cardamome.
Il est si difficile de faire un choix que nous finissons pour tout commander, Robert il est comme ça, il a le sens de la fête. On commence par une soupe glacée et une mousse d’oranges surmontées d’une crème glacée à la noisette, avec un peu de chocolat noir. Ce dessert, il est fou.
Au début, l’acidité attaque la première, on ne sent que les arômes vifs des oranges qui prennent toute la place, puis petit à petit laissent apparaître les noisettes, tout en douceur, de plus en plus fort, jusqu’à ne sente plus qu’elles. Naturellement, les saveurs se décomposent ainsi lorsque l’on goûte les éléments principaux en même temps, c’est extrêmement intelligent de la part du chef.
Le deuxième dessert est un blanc-manger au marc de sake, appelé sakikasu ici, avec une sauce au kiwi. Le sake est local, c’est un daiginjyo sake distillé dans la ville de Fujinomiya à la brasserie Fujinishiki.
Le troisième dessert est un tiramisu ultra-fondant à la poudre de thé matcha local avec un sorbet au kumquat.
Enfin, l’association qui tue : une crème brûlée à la carotte avec une crème glacée à la cardamome, le tout décoré de fines lamelles de carottes séchées.
Pour finir, un petit café accompagné de mignardises : un castella – gâteau japonais très populaire hérité des Portugais – au thé matcha et des macarons au yuzu, un agrume local.
Avant de partir, nous visitons le potager de Monsieur Matsuki, plus de deux hectares divisés en 23 parcelles disséminées à travers la montagne. Il y a de tout : des oignons, échalotes, artichauts, herbes variées, champignons shiitake, fèves, artichauts, carottes, salades, quelques vaches pour le lait, etc.
Les herbes les plus fragiles sont cultivées sous serre, car le climat de Fujinomiya est un peu trop rude en hiver pour certaines d’entre elles. En effet, les températures tombent à -5° les mois les plus froids. C’est plus ou moins exactement le climat de l’arrière-pays niçois, ce qui est assez troublant car on retrouve les mêmes végétaux et le même type de paysages, les maisons japonaises en plus.
On passe en cuisine féliciter le jeune chef et admirer les jambons et baguettes de pain de la maison, puis il est temps de se mettre en route vers l’élevage de wagyu de Monsieur Okamura, à venir dans un prochain épisode. Un immense merci à Robert et Monsieur Matsuki pour ce repas mémorable.
Voilà un repas qui fait bien saliver 🙂
Par curiosité, quelle est l’ordre de grandeur d’un tel menu ? (Pour se faire une idée par rapport aux prix dans les restaurants français, par exemple.)
Dommage que vous n’ayez pas la recette de la mousse à l’orange + glace aux noisettes 🙂
Par ailleurs, à propos de macarons au yuzu, si un jour vous avez l’occasion de faire un article sur les agrumes japonais (yuzu, sudachi…), cela m’intéresserait bien (j’ai eu pendant quelques mois un petit yuzu sur mon balcon, issu d’un pépin semé par une amie… mais il n’a pas survécu à un moment de canicule).
J’aime bien le goût du yuzu, mais trouver du yuzu frais à Lyon est impossible, et même le jus est très difficile à trouver (et hors de prix).
Estelle, j’étais invitée par un ami qui n’a rien voulu divulguer ! Mais grâce à internet, je peux tout vous dire. Ce n’est pas aussi cher qu’un grand restaurant français à Paris ou à Lyon. Le grand menu avec je ne sais combien de plats est à 8500 yens, ce qui fait environ 61 euros de nos jours. Le menu plus léger est à 3500 yens, soit environ 25 euros. Plus d’infos sur leur site : http://biosmenu.eshizuoka.jp
Pour les agrumes, il faudrait que je m’y colle, mais en saison j’ai toujours cinquante autres sujets à couvrir. Je le ferai un jour, d’ailleurs si je suis au Japon cet hiver ce sera l’occasion…
Bonjour,
Merci pour vos articles qui sont hyper enrichissants. Je vais partir au Japon au mois d’août et aimerait pouvoir visiter un élevage de Wagyu. Est il possible de savoir comment visiter celui de Monsieur Okamura ? Ou un autre similaire dans cette région ou proche d’Osaka ?
Merci beaucoup de votre aide
Merci Manon !
C’est depuis toujours assez compliqué de visiter des élevages au Japon, il faut limite demander une autorisation spéciale avant de partir et faire une quarantaine, je ne sais plus les termes exactement… Et depuis le covid ça a dû changer. Peut-être auront-ils la réponse à l’ambassade ou au service des visas ?