Certains restaurateurs français souhaitent interdire les photographies dans leur établissement, suite à la frénésie de clichés culinaires des particuliers ces dernières années. Les clients s’y opposent évidemment, et tout le monde trouve quelqu’un à accuser : les smartphones, les réflex numériques, les flash, les clients qui grimpent sur leur chaise, ou les restaurateurs opposés à la photo qui sont vus comme des despotes. Dans les multiples arguments des uns et des autres, ce qui est frappant, c’est le manque total de remise en question de chacun. Pour prendre un peu de recul et tenter de trouver la cause profonde du problème, il est pertinent de regarder le cas du Japon. Là-bas, la photo au restaurant est commune et ne suscite aucune polémique ; voyons pourquoi et tentons d’en tirer quelques leçons.
Avant de chercher à analyser le problème qui se pose actuellement en France, il faut être capable de le définir. C’est loin d’être évident car personne ne voit les choses sous le même angle. Pour certains, le problème se pose en salle : le photographe amateur gêne les voisins, et à force de se concentrer sur son smartphone, il mange froid, ce qui faussera son avis sur un plat qu’il n’a pas découvert dans les meilleurs conditions. Pour d’autres, le problème est essentiellement lié à internet et à la diffusion publique de ces images. Elles gâcheraient la surprise des autres, ne seraient pas fidèles à la réalité car globalement très moches, et il s’agirait d’une violation de la propriété intellectuelle du cuisinier.
Personnellement, je vois beaucoup de photos de plats en tous genres circuler sur internet, mais je n’ai jamais été entourée de photographes fous au restaurant. La folle, c’est moi, et il paraît que c’est effectivement assez ennuyeux pour mes voisins de table si la séance photo s’éternise. Il faut donc savoir se limiter dans le temps, ce que la plupart des gens font d’eux-mêmes. Quant à manger froid, à ne pas mâcher assez, à accompagner son plat d’une boisson totalement inappropriée (bref, toutes ces petites choses qui pourraient venir altérer l’Expérience Imaginée par le Chef), cela appartient au client. C’est parfois une source de frustration, mais quand on donne quelque chose à quelqu’un, il faut admettre que cela ne nous appartient plus. Ce quelqu’un en fera ce qu’il voudra. C’est le propre du commerce, mais aussi de l’art, du savoir, bref, de tout ce qui implique une transmission, quelle qu’en soit la nature. Quand on donne la vie à quelqu’un, ça marche aussi.
Quant à la diffusion desdites photos sur internet, c’est une toute autre question. Certes, le photographe amateur est souvent mauvais, mais son manque de talent et son smartphone ne sont pas les seuls responsables. Il faut aussi prendre en compte l’éclairage souvent peu flatteur des restaurants (les petits spots halogènes n’ont jamais été une solution élégante, en photo ou en vrai), la vaisselle brillante qui implique des reflets assez vilains, et la ribambelle de traitements de l’image immondes – et utilisés à outrance – visant à reproduire les effets des filtres photo ou de certains objectifs. La qualité des images est donc globalement assez médiocre, mais celui qui les regarde n’est pas dupe. On sait que la photo rend rarement justice au plat, on ne s’arrête pas à ça. Et beaucoup de gens n’ont même pas l’oeil aiguisé pour reconnaître une bonne photographie, parce qu’un filtre sur de la merde, ça fait joli.
Pour ce qui est de gâcher la surprise, qu’on se le dise, si tant d’images circulent, c’est précisément parce que ce n’est pas forcément ce que les clients recherchent. Ils veulent au contraire en majorité savoir à quoi s’attendre. Enfin, en ce qui concerne la propriété intellectuelle, pour avoir sérieusement étudié la question d’un point de vue légal, ce n’est pas comme ça que ça marche.
Mais le but n’est pas ici de balayer tous les arguments d’un revers de la main en niant le problème. Car s’il n’y avait aucun problème, personne ne se plaindrait. Il faut au contraire prendre en compte les déclarations des uns et des autres et chercher les noeuds profonds du malaise. En cela, un parallèle avec la situation au Japon, où la photographie au restaurant n’est pas un souci, est riche d’enseignements pour les cuisiniers et leur clientèle.
La photo est familière, et la représentation permanente
Là-bas, un tel débat n’aurait pas lieu. La première raison, c’est que la population japonaise est très tournée vers la photographie, bien plus que nous. Tous les pères de famille des classes moyennes et supérieures possèdent un réflex et savent s’en servir. J’insiste, ils savent. Ils se considèrent comme de piètres amateurs mais ils réalisent des clichés souvent plus léchés et plus beaux que bien des photographes professionnels. Et les Japonais ont été les premiers à être équipés de smartphones permettant de prendre des photos. Enfin, la manie de photographier ses plats a commencé là-bas il y a bien plus longtemps que chez nous. La photo fait partie de la vie. Elle est entrée dans les maisons, les écoles, les restaurants, les moeurs en général. On peut tout prendre en photo au Japon. Et ce n’est pas simplement une question d’équipement technologique.
Le rapport à l’image en lui-même est différent. Les Japonais prennent la pose bien plus facilement que nous, ne refusent quasiment jamais un cliché. Car ils ne se posent pas seulement là en tant qu’individus. Ils ont une conscience accrue de leur devoir de représentation. La représentation d’un lieu, d’une culture, d’une profession, d’un établissement, d’une idée, de quelque chose qui les dépasse. J’ai pu le constater en réalisant plusieurs reportages photo dans ce pays. Les seules personnes qui ont refusé d’être photographiées, en 7 mois de clichés permanents ces deux dernières années – je ne compte même pas les années précédentes – sont des hommes mariés qui se retrouvaient clandestinement dans des bars gays, rencontrés en préparant un article pour le magazine Têtu. Et là encore, c’était par souci de représentation, plus que par égo, qu’ils craignaient d’apparaître dans la presse.
Ce devoir de représentation s’applique également aux choses inanimées. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est si difficile d’entrer chez des Japonais. Il n’y a pas de demi-mesure : tout ce qui est en vue est par définition public. S’ils vous ouvrent leurs portes, ce sera pour de vrai. À partir du moment où on me laisse entrer dans une usine, un appartement, un restaurant, je sais que j’ai accès à tout. Rien n’est dissimulé. Quand un chef accepte que je prenne en photo ses plats, je sais que je pourrai aussi faire des photos de ses cuisines, ses ustensiles, ses employés, ses produits bruts, sa paire de chaussettes si ça me chante, même en plein service. Je peux également photographier ses clients, à condition qu’ils acceptent eux aussi individuellement. Et ils acceptent systématiquement.
En retour, il faut savoir être digne d’un tel privilège. Si on souhaite pénétrer dans une sphère et en disposer, il faut s’en montrer capable. Cela passe avant tout par le respect de codes sociaux préétablis que nous associons souvent à de la gentillesse. Il s’agit en réalité de civisme et de courtoisie. Tout est permis, à condition de demander la permission et de toujours jouer le jeu. Vous savez qu’on ne vous dira pas non. Mais vous vous devez de poser la question simplement pour montrer que tout ne vous est pas dû et pour entretenir cet échange permanent d’égards. Je demande toujours avant de prendre une photo dans un restaurant japonais. Et on me répond toujours oui. Si jamais, pour une raison obscure, on me disait non, il n’y aurait pas à discuter. Insister ou enfreindre une interdiction n’est pas envisageable. Mais en règle générale, le chef accepte toutes les initiatives si elles sont formulées et soumises à sa décision avant exécution, et si elles sont ensuite mises en pratique d’une manière qui correspond aux codes socialement définis. Le seul hic étant de s’attarder sur un plat chaud au point de le manger froid. Mais la photo n’est pas en cause car on peut faire vite ; c’est l’attente en général avant de manger (si on discute longuement, part aux toilettes 15 minutes, etc) qui, à une certaine dose, est considérée comme une hérésie.
Le bon cuisinier japonais n’a rien à cacher
Quand on prend à coeur son rôle de représentant, on doit être en mesure de satisfaire le client. Ce qui suppose de répondre oui à tout ce qu’il demandera. Cela suppose aussi que l’on veille à ce que tout soit parfait. Un bon cuisinier n’a par définition rien à cacher. Sa cuisine est forcément propre – rappelons au passage quelque chose de fondamental dans la culture japonaise : la beauté et la propreté se rejoignent en un seul mot, kirei / 綺麗 / きれい. Les deux idées, bien que pas vraiment synonymes, sont clairement concomitantes – ses employés sont bien mis, les couteaux sont nettoyés en permanence, aucun déchet ne traîne, etc. Tout ce qui est en vue vous représente, vous n’avez donc pas le droit à l’erreur. Cette question est prise très au sérieux par les structures d’accueil du public, comme les hôtels et les restaurants.
On n’a rien à cacher, et on a aussi une culture de la démonstration culinaire. Car la cuisine est bien souvent en vue au Japon. C’est flagrant dans les sushiya ou les restaurants équipés de teppan, mais aussi sur les yatai – les stands de street food – où les cuisiniers ouvrent à la vue des passants. Le but est même d’attirer l’oeil du client de cette manière. Cela s’applique également aux commerces de bouche en général. Dans ma rue à Shizuoka, il y avait une petite pâtisserie très peu fréquentée. Dès que le chef pâtissier préparait une nouvelle fournée de dorayaki – des crêpes épaisses fourrées à la pâte de haricots rouges – un immense public de personnes âgées accourait de nulle part. Tous prenaient des photos comme des mabouls, et le pâtissier était ravi. Quand le chef n’a rien à cacher et le client est satisfait du spectacle, tout le monde est content. La photo s’installe naturellement sur cet accord tacite entre le cuisinier et sa clientèle, sans le moindre heurt. Nos cuisiniers sont souvent plus discrets ; après tout, les cuisines ont longtemps été en sous-sol chez nous. C’est presque la partie honteuse d’un restaurant. Nous sommes plus dans la dissimulation que la démonstration, même si nous commençons à changer ces habitudes.
Il y a l’art de la démonstration, mais aussi l’art de la présentation. Et là-dessus, nous ne sommes pas du tout au même niveau. La cuisine française traditionnelle n’est pas aussi nette et ravissante que la cuisine japonaise. Un boeuf bourguignon à l’ancienne par exemple, ce n’est pas forcément visuellement chic. Là encore, l’idée du beau et du propre se rejoignent au Japon : l’assiette est impeccable, elle existe en trois dimensions, avec des couleurs équilibrées, un jeu dans les formes, on mange d’abord avec les yeux. La photo de nourriture est toujours plus attrayante au Japon. Parce que la nourriture l’est souvent, tout simplement. D’ailleurs, la nouvelle cuisine française cherche clairement à trouver le même souci de précision et de définition, car on s’aperçoit que les gens ne veulent plus simplement du goût, mais aussi de la beauté visuelle. Et ils le font savoir.
Un client exigeant et de plus en plus défiant
C’est sans doute l’une des principales sources de cette crispation actuelle autour de la photographie au restaurant. Nous n’avons jamais eu autant de restaurants ni autant de clients. Et ces clients sont de plus en plus expérimentés et avisés. Ils sont exigeants. Ils sont informés. Ils ont des droits, et ils savent mieux que toi. C’est vrai partout : le rapport au médecin change. Le rapport au professeur change. Le rapport au restaurateur aussi. Il n’y a plus un savant et des suiveurs, il n’y a plus quelqu’un qui a faim et quelqu’un qui nourrit, mais tout un tas de gens très sûrs d’eux. Ce qui mène nécessairement à une défiance mutuelle. La photo au restaurant n’est que l’une des nombreuses manifestations de ce rapport d’autorité naturelle qui peine à s’établir entre celui qui sait et celui qui sait aussi, celui qui sert à manger et celui qui est juste là pour tester.
La notion de test est d’ailleurs centrale dans la restauration française aujourd’hui. Elle est la source d’une pression terrible, que certains ont du mal à supporter. Pourtant, le bouche à oreille a toujours existé, et le jugement du client a toujours été une question inévitable. Mais le client français, et surtout parisien, me paraît globalement plus infidèle que jamais, surtout parce qu’il a devant lui un choix sans précédent. La restauration parisienne est un milieu particulièrement concurrentiel, où il faut se démarquer, séduire, être à la pointe. C’est relativement récent. En tous cas, le phénomène a explosé quand tout le monde s’est mis en tête de devenir un critique gastronomique en herbe. On ne va plus « au » restaurant, on teste à chaque fois « ce » restaurant.
Les Japonais sont dans l’ensemble plus routiniers. Ils adorent la nouveauté et les modes, mais ils ont aussi un côté très planplan et très attaché aux traditions. On a sa cantine, bien plus qu’en France. Et on lui sera loyal et fidèle parfois pendant 50 ans. Mais en retour, cette cantine se doit de vivre chaque assiette, chaque bol qui sortira de sa cuisine comme un test. Un teste de régularité, pas forcément de créativité. Car la fidélité implique aussi la constance et la longévité des établissements. Le milieu de la restauration est moins concurrentiel à Paris qu’à Tōkyō dans les chiffres, mais dans les faits, l’approche française est bien plus violente : il s’agit d’une concurrence à court terme qui impose l’inconstance. Inconstance des chefs, baladés d’un établissement à l’autre, des gérants, des enseignes et des clients. Plus le cadre bouge, plus ses acteurs sont voués à sauter partout comme des puces, traçant des pointillés imprévisibles à long terme. À chaque saut de puce, le client prendra des notes, des photos, et jouera son rôle dans ce grand jeu de concurrence – mené au sommet par d’autres instances, des banques au guide Michelin – qui crée une émulation bienvenue mais qui pousse aussi pas mal de restaurants à faire faillite et de chefs à péter les plombs.
J’aurais voulu être un artiste…
Pour ce qui est des droits de la propriété intellectuelle, ce n’est pas parce que cet argument n’est pas recevable qu’il n’est pas intéressant. Le cuisinier est un artisan. Et certains se rêvent artistes. Comme si l’artisanat, c’était pour les ploucs. Oui, certains cuisiniers sont des virtuoses (dérivé de virtus : compétence, excellence), mais cela n’en fait pas nécessairement des artistes. La quête du génie créatif est plus à la mode que l’exécution parfaite des classiques : on veut réinventer la cuisine, être original, se démarquer, trouver son style, vendre sa propriété intellectuelle. Chaque nouveau plat doit être une petite révolution. Et c’est sur cet aspect de création qu’on met l’accent, de plus en plus. Le problème, c’est que la création est très en amont du service. Et parfois, le fait que chaque assiette soit parfaite devient secondaire. L’exécution n’est pas toujours aussi importante que l’idée.
En revanche, l’exécution est sacrée au Japon, même dans les établissements les plus petits et les plus modestes. Elle doit être constante et parfaite. Chaque bol doit ressembler à la virgule près au précédent, portant en lui l’identité-même du restaurant, car je ne parle d’un plat qui restera 1 mois à la carte. Les bols de soba de certains établissements de Tokyo n’ont pas bougé d’un iota depuis parfois plusieurs siècles. L’objectif de la plupart des chefs – la très haute gastronomie exclue – n’est pas de se démarquer par leur créativité renversante. Beaucoup s’effacent derrière la tradition que fait perdurer leur établissement. Régularité et précision sur 6, parfois 10 générations, voilà le but d’un restaurant. On est fidèle à ses fournisseurs, à ses recettes, à ses clients qui sont loyaux en retour. On peut se permettre quelques petites pirouettes rigolotes de temps en temps, mais il faut pour cela d’abord être capable de garder une base stable. C’est comme ça que le client sait à quoi s’attendre, et c’est comme ça qu’il revient. À l’inverse de la France, la constance du cadre provoque la constance de ses acteurs. Les chefs ne changent pas de restaurant tous les 6 mois, et les clients n’en changent pas tous les jours.
Enfin, pour revenir sur l’idée de représentation dans la photo, elle suppose des efforts de la part du sujet mais aussi de celui qui réalise le cliché. Demander avant de prendre une photo pourrait peut-être suffire à désamorcer quelques tensions. Et une fois prise, même si elle nous appartient d’un point de vue légal, on a le droit de garder un peu de morale. Car quelque part, elle appartient aussi un peu au sujet. Pourquoi certains veulent-ils à tout prix faire circuler des photos vraiment ratées ? Si la photo est ratée, elle est ratée. Sa place est donc la poubelle. Internet est déjà en train de devenir une décharge numérique, haut lieu de la redondance et de la diffusion de films où l’on ne voit rien et de photos illisibles, évitons d’y jeter plus de déchets.
Nous pouvons tirer des enseignements de l’exemple japonais. Tout un tas de petits détails comptent. Du côté des chefs, en calmant les ego et en acceptant la réalité technologique d’un monde où la photo et les réseaux sociaux sont là pour durer, on doit pouvoir être capable d’éviter les situations extrêmes comme l’interdiction catégorique de la photographie au restaurant. Les clients devraient faire preuve de plus d’humilité eux aussi, demander des autorisations, et tenter d’apprendre la photo (s’ils immortalisent tout ce qu’il mangent et diffusent systématiquement les images, ça aura un intérêt). Ou du moins faire le tri dans leurs albums photo, par pitié.
Je ne comprend pas le refus des restaurateurs français pour les photos… ca devrait plutôt être flatteur non ? Si on prend en photo leurs plats c’est qu’ils sont beaux et appétissants ?
Ceci dit c’est vrai que moi même, lorsque je mange au restaurant en France, si un plat est beau j’ai envie de le prendre en photo (pour le montrer à mes amis histoire de les faire saliver, pour m’en inspirer…) mais je n’oserai pas. Les gens me regarderaient comme une bête curieuse (ou méchamment pour les pas tranquilles psychologiquement) Je m’en rend compte en fait. Alors qu’au Japon, j’étais telle une jeune jouvencelle dans un concert de Boys Band (oh du radis mariné ! Clic ! Oh trop beau le curry ! Clic ! Oh My God il déchire ce Katsudon ! clic ! avec les pauses qui vont avec et tout…)
Je rajoute également que c’est dans l’intérêt des restaurateurs français de laisser les gens prendre leurs plats en photo car aujourd’hui tout passe par le bouche à oreille et par l’image (surtout avec tous les sites d’avis qui sont en pleine expansion en ce moment – Tripadvisor, Booking, Foodspotting…ect).
Vous avez raison Vanessa, et d’ailleurs beaucoup de restaurateurs français l’ont compris et totalement assimilé. La photo amateur devient un support de communication gratuit qui ne demande aucun effort aux cuisiniers, si ce n’est celui – à la base de leur métier – de servir quelque chose qui leur fasse honneur.
J’ai longtemps songé à écrire un article sur le sujet (trop attendu peut-être). Il se trouve qu’en ayant un blog, et si on lui prête un minimum de professionnalisme, c’est difficile de faire l’impasse sur les photos au restaurant… pourtant, j’aimerais m’en passer. Je suis toujours gêné de faire attendre mes amis, de l’aspect ridicule de ce geste, et surtout de la sensation d’appartenir à une « famille » de photographes de plats dans laquelle je ne me reconnais pas vraiment (non je n’ai pas Instagram, et non je n’ai pas Facebook…).
Alors je n’ai pas trouvé d’autre solution que de dégainer discrètement, et shooter une, deux photo max, et assumer le résultat.
Par ailleurs, je suis assez surpris de ce que vous dites sur les restaurants japonais qui ne bougent pas… car s’il est vrai que certains restos sont des institutions centenaires, il me semble qu’il existe aussi beaucoup de chefs qui ont la bougeotte et qui changent régulièrement d’endroit.
Avant d’aller au Japon, j’avais rencontré un japonais qui n’était pas retourné au pays depuis 3 ans et qui m’a dit qu’il ne pouvait me conseiller aucune adresse, persuadé qu’en ce laps de temps tout aurait déjà changé… ou alors peut-être que c’était sa manière courtoise de refuser de me filer ses bonnes adresses !
C’est compliqué en effet ; un blog culinaire sans image pourra difficilement attirer les lecteurs.
Pour ce qui est des restaurants, ça ne remue pas tant que ça au Japon. Les bons restaurants, qu’il s’agisse de petites ou grandes enseignes, sont des institutions. À mon petit niveau déjà, je le vois nettement : ça fait onze ans que je vais au Japon, et les adresses que je fréquentais au tout début n’ont pas bougé. C’est vrai pour la street food aussi : le vieux monsieur qui prépare des râmen dans la rue à Ôsaka (voir l’article sur les râmen) est là tous les soirs depuis 70 ans, et sert depuis toujours exactement le même plat. Il y a quelque chose de très rassurant là-dedans : quand on part justement, on sait que l’on retrouvera à peu près ses marques en revenant.
Certains quartiers sont plus dynamiques que d’autres, et changent plus vite, mais il y a une base bien plus stable que chez nous. Votre ami japonais appréhende peut-être d’être perdu à son retour (appréhension légitime, même dans les coins les plus immuables), mais les choses ne vont pas aussi vite. L’an dernier à Kyôto, j’ai fait la tournée de restaurants conseillés par un auteur américain que j’aime bien. Ses articles dataient de 2002. Tous les restaurants (sauf un !) étaient toujours là, et ils servaient encore la même chose.
Merci pour ces précisions, ça me rassure, j’ai encore plus hâte d’y retourner si je sais que je vais retrouver certaines échoppes délectables !
Passionnant !
Je suis moi aussi souvent gênée quand je prends une photo au restaurant, ou même en tête à tête à la maison avec mon chéri. Et pourtant, quand on voit la quantité de photo de plats ou d’aliments qui circule sur les réseaux sociaux, on comprend bien qu’on n’est pas seul à avoir cette manie !
Certains repas sont de jolis souvenirs…
Superbe article ! Tout est dit …
Merci Diana ! Je suppose qu’on pourrait continuer le débat longtemps, mais regarder un pays où les choses fonctionnent est sûrement le meilleur moyen d’arrêter de tergiverser et de se remettre en question.
Dans un contexte où tout un chacun croit savoir faire de la photo parce que qu’il/elle possède un reflex, le problème des photos au restaurant est un cas particulier intéressant en effet.
Mais comme pour le reste, il ne faut pas oublier que photographe est un métier et qu’il existe des professionnels de la photographie culinaire auxquels font appels de plus en plus de restaurateurs, notamment pour fournir les sites internets.
Alors parfois, une petite recherche sur le site du restaurant pourrait d’emblée calmer les ardeurs des photographes amateurs. Gageons que dans très peu de temps il n’y aura plus de restaurant sans enseigne internet, et qui dit enseigne, dit photographie de qualité 🙂
Merci pour votre bel article, et plus globalement pour votre site (et ses photos qui sont généralement très belles 😉 )
Merci Camille, ton article est très intéressant et m’a apporté bien plus de fond que ce à quoi je m’attendais. Je suis chaque fois surprise et happée par tes articles dont j’apprécie la grande qualité, cette fois j’ai pas résisté à l’envie de te le dire 🙂
Et bien puis que notre RDV est annulé je suis venue te lire et…exprimer mon petit désaccord pour pimenter (mon coté coréen, comprend tu ?) ton article qui porte tant d’observation vivante, fraiche et vraie comme une émission en direct. (tu ferais bien un envoyé spécial !)
La différence comportementale entre deux cultures, occidentale et asiatique (de l’est) s’explique en partie par la différence de l’appréhension de l’image. Ici, l’image possède beaucoup plus de pouvoir, de « fascination » qu’en Asie. C’est l’héritage directe d’une tradition de l’icône. La place ou l’exigence pour l’image est très important : symboles, lumière, matières de la surface, etc. Les métiers liés à la productions des images sont plus rigoureux et développes. Logiquement, les lois concernant les images sont aussi plus recherchée et, je trouve, judicieusement.
Contrairement ce que l’on croit en générale, les asiatiques sont beaucoup plus matérialiste, au sens « ne croire qu’aux tangibles » (la spiritualité est une autre question), par exemple, ils préfèrent l’espèce. La propriété intellectuelle est une notion tardivement intégrée. (ça explique partiellement leur sans-gêne de copier les inventions occidentales).
Le coté qualité de l’image; bien que la diffusion de l’image est indispensable l’activités commerciaux dans notre société des médias, il faut l’accompagner par le contrôle de la qualité ou le minimum d’arrangement. je pense que trop de liberté tue la juste expression des choses.
Si je étais l’auteur d’une création pour laquelle j’ai passé des heures et m’arraché les cheveux, je n’aimerais pas la voir représentée moche…
Bravo ! D’avoir dit « Le cuisinier est un artisan. Et certains se rêvent artistes ». Navrant de voir leur légèreté et naïveté de se faire récupéré si vite par le marketing médiatique, précisément la preuve qu’ils ne sont que des businessmen à la recherche du profit.
N’est ce pas qu’un artisan qui ne s’intéressent qu’à la perfection de son ouvrage dans son lieu de travail, lui enfin, c’est un artiste.
Franchement c’est n’importe quoi d’interdire de prendre des photos au restaurant. En général si l’on prend des photos c’est que c beau. Dans le cas contraire le restaurateur a du soucis à se faire..
Bonjour Camille,
Je retombe sur ton article et entre temps j’ai eu vent de plusieurs histoires sur le Japon et la photo.
Dans son restaurant Okuda à Paris, le Chef Toru Okuda refuse très souvent que les clients prennent des photos. Il argumente en disant que ça le dérange et que ce n’est pas respectueux de son travail. Je n’ai jamais vécu ça mais plusieurs personnes racontent qu’il est extrêmement mal vu de prendre des photos dans des grandes maisons japonaises car cela perturberait le cérémonial du repas.
Autre histoire avec le Chef Joël Robuchon. Récemment ce dernier a communiqué sur les réseaux sociaux pour s’excuser du fait qu’il venait d’apprendre que ces établissements japonais refusaient aux clients de prendre des photos. Quand on connait l’esprit de ses Ateliers, c’est complètement paradoxal. Robuchon a lancé des débats sur Facebook avec un post en français et un autre en japonais. Certains commentaires de japonais montrent que cette pratique n’est pas marginale.
Tu as complètement raison Alex, c’est pour cela qu’à un moment il me semble que je mets le bémol en précisant que la haute gastronomie est exclue de ce schéma : à mon avis, si tu sors ton appareil chez Jiro (père, le restaurant du fils est bien plus cool), tu te fais jeter dehors ! C’est le genre de restaurant où la photo serait considérée comme vulgaire… Mais c’est aussi le genre de restaurant où tu n’as pas le droit parler à voix haute, et où tu te fais virer à la fin du repas comme si on te disait : « Bon, c’est fini, rideau, tout le monde dehors ! »
Salut,
Pour rebondir sur le commentaire concernant la haute gastronomie, d’après ce que j’ai pu lire ailleurs, et les photos que publie certains blogueurs adepte de ces tables, la sphère de la haute gastronomie me paraît moins frileuse que cela. Il n’y a qu’à jeter un coup d’oeil au flickr de @alifewortheating (et de ses compères), et sa collection de photos dans de nombreux établissements étoilés, même Jiro! 😉 Il a d’ailleurs écrit un article dessus http://www.alifewortheating.com/tokyo/sukiyabashi-jiro
Et au French Laundry, il t’apporte carrément une nouvelle brioche toasté sans rien dire, car le temps de prendre la photo, elle aura perdu de sa fraîcheur. J’étais super étonné quand j’ai lu ça ici http://gastronomyblog.com/2009/04/20/the-french-laundry-yountville/
À Taiwan, c’est comme au Japon, et tu a pu le remarquer par toi-même je pense, dans 90% des cas, on te laisse faire comme si de rien n’était. Du coup, je ne me gêne pas, haha.
Voili, voilou, juste mes deux centimes 🙂
Aaah, voilà un commentaire intéressant ! Pour ce qui est de la haute gastronomie, je crois que, quel que soit le pays, les établissements font vraiment ce qu’ils veulent et il est difficile de savoir quelle sera la réaction du chef si on lui demande de prendre des photos. Je n’ai ai eu aucun problème au Mirazur à Menton par exemple, où le chef Mauro Colagreco est très cool et à l’écoute de ses clients. Une chose est certaine : quand on est blogueur, on a un sacré avantage au Japon. En France, on vous regardera souvent avec mépris quand vous annoncez que vous tenez un blog – à la rigueur on préfèrerait que ce soient des photos perso tellement le blog est mal considéré – au Japon, on vous prendra très au sérieux et verra cela comme une bonne occasion de faire sa promotion gratuitement.
En tous cas je suis très agréablement surprise pour Jiro, il est connu pour ne pas être commode et pour tenir son service de manière militaire ! Mais je n’y ai jamais mangé, évidemment, pas les moyens pour ça, je ne fais que m’appuyer sur les échos de mes rares copains assez fortunés pour s’offrir ce type de repas.
perso je suis mitiger sur tes photos , pas assez de lumiere et la plupart moche … donc clairement donne pas trop envie comme resto
merci beaucoup Camille pour cet article fouillé comme à ton habitude. Je saurai désormais qu’il vaut mieux demander au Japon. Pour ma part, je prends les photos en 3 secondes donc aucun risque de manger froid mais en revanche, mais souvent honte de leur mauvaise qualité…je ne diffuse aucune photo sur internet en dehors de mon blog mais si cela est trop différent de la réalité et vraiment raté, je m’abstiens. J’avais résumé mon avis sur le sujet… http://ariane.blogspirit.com/archive/2013/03/21/photographier-ce-qu-on-mange-pour-ou-contre.html
la 4 photo est a jeter pas assez de lumiere , trop flou et trop moche
Je trouve que prendre une photo au restaurant , n’est que flatteur pour le restaurateur, car somme toute, on ne prend les photos que lorsque ça interpelle, lorsque l’on a envie de faire partager quelque chose que l’on aime déjà ! et souvent en Asie le cuisinier est très fier de montrer son savoir faire , et je n’ai jamais trouvé d’hostilité envers mon envie de partage, et suis revenue de beaucoup de pays avec des « Bons » souvenirs , en demandant on accède même dans les plus prestigieuses cuisines :-))
merci pour ce bel article très pertinent
Il faut croire que les temps changent car j’ai remarqué que de plus en plus de grands restaurants au Japon interdisent de prendre des photos durant les repas, généralement des restaurants étoilés au Michelin ou avec une très forte cotation dans certains guides gastronomiques. Les chefs mettent en avant un droit à l’image, car de plus en plus de chefs sortent leurs livres de recettes et surtout ils parlent de confidentialité et de créations qui pourraient être copiées par d’autres.
Moi-même je fais beaucoup de photos mais toujours le plus rapidement possible et cette pratique je l’ai acquise au Japon ^^
Si je me place du côté du client qui cherche de nouvelles adresses, tel que je le suis typiquement en ce moment en ayant déménagé dans une ville où je n’avais aucun repères, je suis super fan des photos de plats en complément d’avis croisés. Cela illustre l’ensemble et étant du genre pointilleuse, n’aimant pas être déçue quand je vais dans un resto (Je le serais si je me suis fait une idée du resto, même jusqu’en lisant le menu et qu’au final cela n’a rien à voir), du coup, quand je vois les photos, je peux plus facilement me projeter et être bien plus sûre d’apprécier ce que je vais déguster.
Du coup, cela sert à 100% de publicité gratuite au restaurateur d’autant que les gens prennent plutôt en photos les plats qu’ils apprécient !
Qu’on ne me dise pas que cela relève du secret professionnel, je suis certaine que les chefs s’épient les uns les autres en toute discrétion sans avoir besoin de suivre divers comptes Instagram ou blogs !
N’y a t il pas là une grande question d’ego et de chefs qui veulent que cela se passe comme ils le décident à leur table ?
Encore un très bon article dont j’admire la précision et l’éclairage sous un angle qui ne m’avait pas effleuré.
il y a des choses que vous n’évoquez pas, c’est qu’un repas, c’est aussi une RELATION, quelque chose d’intime et la photo a quelque chose de très violent et d’intrusif. Que certains vivent comme un vol. La preuve, dans certains pays, dans la rue ou les marchés, les gens n’acceptent pas de se laisser photographier par les touristes. Ceci pour comprendre que la photo n’est pas toujours ce que vous croyez.
Vous dites qu’il faut faire des efforts et comprendre le désir des Japonais de prendre des photos. Mais on ne me demande pas si je veux me déchausser dans une maison japonaise, je dois le faire. Je pense que les chefs qui refusent les photos ont le droit de proscrire ces manies individuelles et que, personnellement, je trouve très impolies tant elles sont répétitives et cassent une conversation.
Question d’avis divergents. Il serait bien que sur ce blog, ne règne pas la pensée unique, mais qu’on puisse ne pas être d’accord avec vous.
Bonjour Gilles,
Vous parlez du droit à l’image mais c’est une notion liée aux personnes et non aux plats, du coup parlez-vous des gens qui font des photos des clients au restaurant ?
Vous parlez ensuite du fait que les photos cassent une conversation : ce n’est donc pas la question du droit à l’image qui vous pose problème mais plutôt le fait que vous trouviez les pratiques de vos convives impolies et dérangeantes. Dans ce cas, vous pouvez leur demander directement de ne pas prendre de photos, si cela vous incommode. Pour plein de gens la photo de repas est devenue un réflexe, mais si la personne avec qui ils mangent leur demandait de ne pas le faire, je pense qu’ils accepteraient sans problème. Le chef peut être ou ne pas être d’accord, c’est encore une autre question.
D’ailleurs, les chefs font bien ce qu’ils veulent, qu’ils soient motivés par une raison ou une autre, et le fait d’interdire les photos ne fait pas fuir les clients pour autant.
Pour finir, on a le droit de ne pas être d’accord avec moi, je n’ai jamais dit le contraire. Et pourtant je peux faire un peu ce que je veux ici, puisque ce site est un blog personnel.
bonjour
je découvre par hasard votre blog, visiblement très intéressant par son côté ethno.
petite anecdote photo. j’ai eu un restaurant à paris il y a une vingtaine d’années. la clientèle était principalement parisienne mais grâce à des articles dans des revues japonaises, nous avions de temps en temps quelques gourmets japonais.
discrets mais très admiratifs devant les assiettes, ils prenaient des photos de leurs plats avec leurs appareils photo, les smartphones n’ayant pas encore été inventés.
là où ça devenait drôle, c’était de voir arriver plus tard d’autres japonais montrer les photos des précédents pour passer commande…
contrairement à ce que vous décrivez dans les commentaires, paris n’est pas le japon, les chefs bougent et les cartes changent au rythme des saisons, et les nouveaux arrivants repartaient avec de nouvelles photos !
ps: ne me dites pas que vos photos sont faites à la volée avec un smartphone ?!