Motifs halieutiques à Penghu
C’est le 100ème article ! Pour l’occasion, je vais écrire peu. Les photos vont parler d’elles-mêmes. Un peu plus bas, vous trouverez en effet un diaporama particulier : il ne s’agit que de photos prises au marché aux poissons de Makong, à Penghu. Celui-ci est intéressant car unique en son genre : il propose un large éventail de produits, dont des espèces introuvables dans le reste de Taïwan.
Penghu / 澎湖群島, c’est un petit archipel taïwanais que j’aime beaucoup. 64 îles, beaucoup de vent et de sel, quelques terrasses en béton, le charme de la tradition qui se délabre lentement. A Penghu, le temps est long, le temps est iodé. La mer à 360 degrés, des maisons carrelées, des temples superbes, dont le plus ancien de tout Taïwan. Voilà l’endroit.
Les habitants sont âgés, discrets, tranquilles. Ils vivent tournés vers la mer depuis le Xe siècle, époque où les premiers pêcheurs chinois ont commencé à s’installer. Seule activité de ces terres isolées durant des siècles, la pêche est constitutive de l’identité de Penghu. L’archipel a d’ailleurs été baptisé Pescadores, (c’est-à-dire Pêcheurs) par les navigateurs portugais.
L’emplacement stratégique de ces îles leur ont valu quelques épisodes intéressants, dont une courte colonisation française en 1885, à l’issue de la guerre sino-française dont aucun Français n’a jamais entendu parler. Il en reste un cimetière où reposent les soldats de l’amiral Courbet. Par deux fois, Penghu a également été ravie par les Japonais qui y ont laissé une nette empreinte culturelle, surtout visible dans les traditions culinaires.
La mer, pilier de l’alimentation à Penghu
A part cela, les petits îles sont restées dans un isolement relatif, développant leur identité loin de l’Empire chinois, puis loin du pouvoir taïwanais. Ici, c’est ailleurs. On est à part, on ne le revendique pas, on ne cherche pas à prouver quoi que ce soit. Mais on est résolument autre.
Contrairement à Taïwan, Penghu n’a ni montagnes, ni grands cours d’eau. Le sol est sec, sablonneux, il est impossible d’y cultiver quoi que ce soit à part quelques légumes et fruits choisis dont je parlerai dans un prochain article. Pas de poissons d’eau douce non plus, ce qui est très particulier. A Formose (l’autre nom de Taïwan), ils font partie du quotidien, à Penghu, ils n’existent pas.
Le régime local dépend donc essentiellement de la mer. Heureusement, l’endroit est propice à la pêche. Il y a là toutes sortes d’espèces, grâce à la confluence de courants tropicaux et froids : des anchois, des diodons (les fugu japonais), des huîtres sauvages à n’en savoir que faire, des maquereaux, des calmars, des murènes, des thons, des crevettes mantes et toutes sortes de poissons de récif. Tout le monde vit donc le long du littoral, tourné vers la principale source d’activité et de nourriture.
Chaque matin au port de Makong, à partir de 6 heures et même plus tôt, c’est la folle agitation. Des caisses remplies de poissons de toutes les couleurs sont entreposées et vidées presque aussitôt. Tout va très vite. En deux heures à peine, tout est vendu. Comme partout à Taïwan, les gens font leurs courses à scooter, ce qui me donne des envies de meurtre. Ils ne restent pas vraiment pour discuter : le marché n’est pas un moment de palabre ou de détente. C’est une mission.
Un marché très différent de celui de Taipei
J’ai eu la chance de visiter l’endroit avec un biologiste en charge de la protection de nombreuses espèces marines à Penghu, Shih-Hsin Chen. Je l’avais rencontré la veille dans la rue ; il marchait avec un seau, et moi les mecs avec des seaux, je vais les voir et je regarde ce qu’ils transportent. Bien m’en a pris, car il était justement en train d’apporter de nouveaux spécimens de coquillages au centre de recherche.
Après une présentation de chacun des bassins du centre de recherche sous-marine, tous pleins d’espèces locales de coquillages, crustacés, oursins, algues et autres hippocampes, un repas de poissons et fruits de mer au restaurant et une visite du marché en sa compagnie, j’ai pu comprendre pourquoi les poissons de Penghu était si différents de ceux de Taipei.
Il y a de très nombreuses espèces tropicales, principalement des petits poissons de récif, dont un grand nombre de serranidés, comme l’Epinephelus quoyanus, un petit mérou tacheté que les habitants de Penghu ont choisi pour emblème. En fait, mis à part les calmars, les crevettes, les anchois et quelques autres espèces, les poissons de Penghu sont principalement pêchés à la ligne, une pratique typique dans les zones coraliennes.
A Taipei, les gros bateaux pêchent à la seine ou au filet. C’est un choix de quantité : à Penghu, on n’est pas dans la production industrielle, même si on n’est plus dans un monde artisanal. Il y a moins d’habitants qu’à Taipei, et la pêche est modérée, contrôlée, car Penghu est l’un des pôles de recherche en biologie sous-marine les plus perfectionnés du pays. Ici, on fait toutes sortes d’essais pour reconstruire et repeupler les récifs de corail.
Des courants chauds et froids, la biodiversité à son comble
Aussi, la variété des couleurs et formes de poissons de Penghu est naturellement bien différente de ce qu’on peut observer autour de la capitale taïwanaise. La raison est la suivante : à Penghu, on trouve une grande diversité dans la topographie sous-marine, et les zones de pêche favorites sont situées en eaux peu profondes, au Nord et au Sud de l’archipel. A ces endroits, plusieurs courants froids charrient une grande quantité de plancton. Dans la mer, le plancton c’est la vie, et Penghu est gâtée.
Dans le même temps, d’autres courants chauds permettent aux variétés tropicales de couler des jours heureux. Bref, un grand nombre d’écosystèmes peuvent se développer, la biodiversité est à son comble. Pour les pêcheurs, c’est la promesse d’un immense éventail de possibilités. Pour les clients, c’est la garantie d’un marché coloré, très fourni et sans cesse changeant.
A Taipei, on a moins le choix. Le relief sous-marin est plat et relativement profond, on est sur un plateau. Moins de confluence marine, des eaux plus froides, des écosystèmes moins variés, le marché aux poissons est moins coloré, plus tempéré, presque plus proche de celui de Seoul que de celui de Penghu en termes d’espèces.
Sur le marché de Penghu, on trouve également beaucoup d’algues, cette ressource étant primordiale car les légumes manquent cruellement dans l’archipel. Enfin, l’influence japonaise étant encore plus nette que sur Formose, on se nourrit communément de sashimi d’oursins, d’huîtres et de fugu, qu’on déguste avec du wasabi et de la sauce soja.
Motifs halieutiques en images
J’ai pris quelques photos colorées que voici. A travers ce diaporama, vous aurez un aperçu des couleurs et formes des poissons de Penghu, frais ou séchés. C’est très graphique, sans paroles. Vous pouvez faire défiler les images d’un simple clic, et passer en mode plein écran en cliquant sur les petites flèches en haut à droite du cadre. Ne soyez pas trop pressés, sinon vous aurez des images toutes petites si vous êtes en plein écran !
Vous y trouverez, dans le désordre, deux espèces d’anchois, trois espèces de calmars, des sardines, des rougets, des dorades roses, des fugu écorchés (j’explique pourquoi dans un autre article), des crevettes mantes, des maquereaux, des crevettes kuruma, des Portunus pelagicus (des crabes communs en Asie) des poissons de récif et des coquillages.
Et si vous êtes un fondu de pêche ou de poissons en général, je vous renvoie à l’incroyable base de données Taïwan Fish Base où tout est répertorié. Bon voyage.
Génial, moi qui manquait de fonds d’écran ! Ils me font envie cette plage (normande en effet) et surtout ce marché et ses poissons de ligne.
La peau du fugu je cherche à deviner (c’est quoi ce teasing ?), ce n’est pas pour en faire des lanternes, la tête serait enlevée avec. Pas parce qu’elle est trop toxique, je suppose que c’est pour la manger à part, séchée ? en salade? Ou endormir d’autres poissons ? Des couches pour bébé ? Non, c’est rugueux…
Cela dit, je lève mon verre à la santé de ta prochaine centaine d’articles, en espérant de mon côté retrouver l’envie d’en écrire un de plus…
Tu es génial, tu ne te doutes pas à quel point. Oui, on en fait bien des lanternes, ce n’est pas une blague ! Et non, on ne peut pas la manger, cette peau, sinon on meurt. Donc on joint le kitsch à la survie.
En tous cas je te recommande Penghu, mon coin de Taïwan préféré, loin du bruit et de la pollution, avec des papis en marcel qui squattent les abords des temples, c’est un endroit pour écrire, devant la mer, avec le bruit des vagues pour seule compagnie…
J’espère que tu nous gâteras bientôt d’une prochaine recette à l’histoire rocambolesque, ça me manque.
Evidemment, si ça te manque, c’est une motivation forte, de même que celle d’aller écrire dans ce coin de paradis, et être aussi inspiré que toi…
Pour la lanterne, je n’ai pas grand mérite, on en faisait avec un poisson-lune cousin du fugu lorsque je vivais à Djibouti (enfin, les grands, je n’avais pas le droit d’y toucher). Cela dit, on laissait la tête…
Je sais que la peau du fugu est l’une des parties toxiques de ce poisson, mais il me semblait qu’on pouvait quand même la consommer, moyennant j’ignore quelle préparation.
Tu verras ça, une partie est comestible. Pour la lanterne, ceux de Penghu gardent leur tête aussi, ils réservent ce traitement aux gros spécimens, pas à ceux qu’ils mangent. Allez, je ferai le prochain billet là-dessus, c’est décidé !
Oui, parce que tu m’embrouilles là…
Tres chouette ce petit reportage sur Penghu! Bravo!
Pour decouvrir les petits coins secrets de ces iles, n’hesitez pas a nous contacter!
J’adore les photos de famille sur votre blog… Si je repasse par là-bas je vous demanderai conseil, j’ai surtout adoré le sud, vers Shili, c’est là où je résidais. J’étais venue voir les limules à la base ! Fabuleuses créatures…
A bientot alors!
Quel plaisir de lire tes articles toujours aussi instructifs.