Manger à Manille pendant un typhon
Pluie continue. Le typhon Pedring (appelé Nesat à l’international) s’est abattu hier sur les Philippines, frappant Manille aujourd’hui. Les averses ont commencé dans l’après-midi hier et n’ont toujours pas cessé. Plusieurs quartiers de la capitale philippine ont été évacués, les résidents trouvant refuge dans des écoles ou des églises. A l’heure où j’écris, le bilan officiel s’élève à 16 morts.
Nous avons pu nous rendre à l’est de Manille entre 16 et 17h pour voir l’ampleur des dégâts. A ce moment, les inondations ont déjà recouvert les zones les moins élevées de la ville. Aux alentours du fleuve Marikina, en crue, les habitations commencent à être évacuées. Les berges sont déjà recouvertes d’eau, la route aérienne ne tardera pas à être coupée. Dans les rues, pas de panique mais une certaine fébrilité. Les habitants sont inquiets après le traumatisme du typhon Ondoy qui a tué près de 500 personnes et plongé la ville dans le chaos en 2009.
L’électricité est coupée dans la plupart des quartiers depuis 7h ce matin. Evidemment, presque tous les commerces et restaurants sont fermés. Vers 15h, je me demande ce qui se passe du côté des établissements ouverts 24/24h. Que font les fast foods, les seuls à ouvrir tous les jours, toute l’année, par tous les temps, en cas de typhon ? Allons voir.
Jollibee : 1 – McDonald’s : 0
Surprise. Ronald McDonald, tout sourire, salue les passants devant une porte fermée, bloquée par un panneau « attention sol glissant ». A l’intérieur, les employés sont assis par-terre et regardent à travers les portes vitrées. Ils n’apprécient pas du tout qu’on tente de les prendre en photo. Ils font semblant d’ouvrir les portes… Pour les refermer aussitôt. Ironie du sort, McDonald’s Philippines fête aujourd’hui son anniversaire. 30 ans de présence dans l’archipel. Bien joué Ronald.
Juste à côté, c’est le héros national, Jollibee. Et là, autre tableau : Jollibee est ouvert. Sur la terrasse, des résidents du quartier prennent la merienda. A l’intérieur, le restaurant est éclairé par un générateur. Toutes les lumières ne fonctionnent pas, mais on y voit clair. Le personnel est en effectif réduit, la plupart des employés ne pouvant se rendre à leur travail faute de transports. De nombreux axes routiers sont fermés. Mais le Jollibee tourne.
Tout le menu est disponible, à ma grande surprise. Toutes les boissons ne sont pas là, mais le reste peut être commandé si on est disposé à attendre un peu. La cuisine fonctionne dans le noir ou presque, éclairée en partie par les leds des différents appareils de cuisson.
Ainsi on a les deux facettes du fast food : celui qui laisse tomber ses clients en cas de catastrophe naturelle, le vilain Ronald, ce trouillard d’Américain, et le gentil Jollibee, qui ouvre grand ses portes aux clients tout mouillés venus trouver refuge pour manger un burger bien chaud. Sans aucun doute, dans ce genre de circonstances, Jollibee marque des points dans le coeur des Philippins.
Street food dans la tempête
Nous nous sommes ensuite enfoncés dans le quartier de Santolan, en pleine évacuation. Des cordes sont tendues dans les rues pentues pour aider les habitants à monter lorsque tout sera inondé. A 17h, il y a de l’eau à hauteur d’homme en bas de la rue. En haut, on est encore au sec. Les résidents emmènent tout ce qu’ils peuvent et fuient.
Ils seront placés dans un camp de fortune établi dans l’école primaire du quartier. Plusieurs centaines de personnes s’y entassent au moment où nous y passons. D’ici la nuit, le nombre aura doublé. On leur distribue des médicaments, du papier toilette… Et qu’en est-il du manger ? Le gouvernement distribuera des rations de riz, de nouilles instantanées, de sardines et de café plus tard.
En attendant, les vendeurs de street food ne loupent pas une si belle occasion. Ils continuent de vendre leurs brochettes près du camp jusqu’au dernier moment, au milieu des embouteillages dus à l’évacuation. Quand l’eau sera là, ils plieront bagage.
Pendant ce temps, tous les malls et supermarchés sont ouverts. Nous passons faire des emplettes de première nécessité sur le chemin du retour. Comme en France, les Philippins remplissent leurs chariots de courses, notamment de conserves. La lumière fonctionne dans le supermarché, jusqu’à un black out général d’une minute. Il est alors tentant de s’enfuir en courant sans payer.
Une nouvelle tempête tropicale est attendue très bientôt, d’ici demain probablement, alors que la pluie du typhon Pedring n’a pas encore cessé. Toutes mes pensées vont aux réfugiés pour cette nuit et les suivantes.