Le temps des cajous
La noix de cajou, en France, on n’y connaît rien. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi elle coûte si cher ? Ou pourquoi, contrairement aux cacahuètes, amandes et autres noisettes, vous ne la trouvez jamais entière dans le commerce, avec sa coque ? Aux Philippines, modeste producteur de ces précieuses noix, on peut les observer sous toutes les coutures, et attention, on va de surprise en surprise.
La cajou, on l’achète en sachet, et on ne sait pas trop ce qui se passe avant ça. Si bien que la première fois que j’ai vu des noix de cajou entières, j’ai eu du mal à comprendre ce que c’était. Je ne me doutais pas non plus qu’elles étaient dangereuses. Si si, la cajou, c’est dingo.
Bon, une noix de cajou entière alors, ça donne quoi ? Hé bien voilà, c’est la première photo en tête d’article, une noix de cajou cueillie spécialement pour vous, avec son fruit et sa coque. Je sais, c’est un peu perturbant. Aujourd’hui, nous allons donc apprendre plein de trucs. Commençons par le commencement.
Encore un coup des Indiens Tupi
La noix de cajou se plaît aux Philippines, et particulièrement à Palawan, où se fait plus de 90% de la production du pays. Les Philippines exportent ainsi 7 000 tonnes de noix crues et traitées par an, selon la FAO. Le principal acheteur, c’est l’Inde pour les noix crues, et pour les noix transformées, c’est la France. Les chiffres vous paraissent ridicules ? Ils le sont, les Philippines sont loin derrière le Vietnam, premier producteur mondial avec 941 600 tonnes, le Nigeria (636 000 tonnes), l’Inde (573 000 tonnes), et le Brésil (236 140 tonnes).
Pour en produire autant, ces pays sont littéralement couverts d’arbres à cajou. Il y a 33 900 km² de ces plantations dans le monde. En gros, 0,0227% des terres émergées sur la planète sont couvertes de cajou. Et je compte les déserts, l’Antarctique et tout le toutim. Le chiffre n’est donc pas négligeable. La principale raison, c’est que chaque arbre ne donne que 200 à 300 noix par an. Le rendement est donc très faible, et ce plus particulièrement dans certains pays, notamment l’Inde, qui y dédie une surface colossale.
Loin des premiers producteurs mondiaux, à l’origine, la noix de cajou vient d’Amérique du Sud, plus exactement du Nordeste brésilien, où les Indiens Tupi l’appelaient acaju. Oui, les mêmes Tupi que pour le topinambour, ils cultivaient plein de choses super ces gens-là. Acaju, ça veut dire « noix qui se cultive toute seule. » En effet, si le climat est favorable, il n’y a pas grand chose à faire.
Les Tupi laissaient donc leurs acaju pousser en paix lorsque les navigateurs portugais ont débarqué, les ont goûtées et aimées, et les ont donc introduites dans leur résidence secondaire en Inde, à Goa, après une escale au Mozambique en 1578. A partir de là, la cajou s’est répandue d’elle-même sur tout le continent asiatique auquel elle s’est trouvée fort adaptée, et assez bien en Afrique.
Attention, elle pousse très bien là où le climat lui convient mais pas n’importe où non plus. Seulement 32 pays dans le monde ont des anacardiers, les fameux arbres à cajou. Pour ce qui est de la noix, on peut également l’appeler anacarde. En latin, son petit nom c’est anacardium occidentale, « ana » pour inversé, « cardium » pour cœur, à cause de sa forme. Perso, je vois plutôt un rein.
La cajou vue de l’arbre
Voilà pour l’histoire. Regardons maintenant la cajou de plus près. Déjà, ce n’est pas une noix au sens botanique du terme mais une graine. Et même mieux que ça : un akène (les amateurs de Scrabble apprécieront). C’est un fruit sec qui peut dans certains cas se développer parallèlement à un faux-fruit. C’est le cas de la cajou, nous verrons ça un peu plus tard.
Ce faux-fruit a beau être faux, il est en général tout à fait comestible, comme c’est le cas pour les fraises, qui sont des faux-fruits recouverts d’akènes (les petites graines dures sous la dent). Si on l’appelle faux-fruit, c’est simplement pour la distinguer du vrai fruit qui est le résultat d’un développement de l’ovaire de la plante, alors que le faux-fruit n’est que l’évolution du réceptacle floral.
La cajou est une cousine de la mangue et de la pistache – drôle de famille – qui pousse sur des arbres d’assez grande envergure, aux feuilles épaisses et toujours vertes, d’un joli vert acide.
A Banuang Daan, le village où j’habite à Coron, au nord de Palawan, les cajous poussent comme du chiendent. L’île en est recouverte. En général les arbres ne dépassent pas les 10 à 12 mètres de haut et prennent des formes assez jolies et complexes, ce sont des arbres auxquels on peut facilement grimper. Histoire de vous faire rêver, sachez que le plus grand anacardier connu au monde se trouve au Brésil et couvre une superficie de 8 400 mètres carrés.
Aux Philippines, la cueillette aura lieu entre février et mai, parfois juin. Enfin, plutôt le ramassage. On ramasse alors les cajous au sol, pas question de grimper aux arbres, qui font pourtant très envie. A ce moment-là, les cajous ont atteint leur pleine maturité, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas à l’heure où je vous parle, cette année elles sont un peu tardives. Mais on peut déjà regarder sur l’arbre comment elles se présentent. Suivez-moi, grimpons.
L’étrange faux-fruit de la cajou
Dans l’arbre, les petites fleurs laissent peu à peu la place aux noix, enfin aux akènes, qui poussent par grappes, comme les cerises. Au début du mois de février, les coques de noix sont encore vert clair, et surtout, elles sont molles, on peut les ouvrir à la main.
Seulement deux semaines plus tard, la couleur et la dureté de la coquille ont déjà bien changé. Mais surtout, après deux semaines, le grand changement, c’est le faux-fruit, de plus en plus visible à mesure qu’il grossit.
Ce faux-fruit, c’est une pomme. Pas une vraie pomme bien sûr, une pomme de cajou. Ca se mange, c’est même très bon. Sur mon arbre, la pomme est minuscule. Mais en à peine un mois, elle va enfler et grandir, et prendre une jolie teinte, soit jaune, soit rouge.
La pomme de cajou est donc comestible. Elle est juteuse, acide, on peut en faire des super jus de fruits, dans certaines contrées on en fait même de l’alcool.
Mais alors pourquoi ne l’exporte-t-on jamais ? Simplement parce qu’elle est bien trop fragile. Impossible de la transporter, sa peau extra-fine en fait un fruit encore plus délicat que le kaki. Bref, vous la mangez sur place ou vous vous faîtes une raison.
La noix de cajou est une sacrée vicelarde. N’allez pas croire qu’on ramasse des cajous avec insouciance et qu’on va s’asseoir dans un coin se faire un gueuleton, comme on le ferait avec des abricots ou des amandes. Que nenni, la noix de cajou demande du temps, du travail, et surtout, elle vous veut du mal.
La cajou vous bouffe les mains, la bouche et les poumons
La première fois que j’ai cueilli une cajou, elle n’était pas encore mûre, et je me suis amusée à ouvrir la coque encore molle d’une simple pression des doigts. La petite noix toute blanche en est sortie, ainsi qu’un liquide incolore et un peu étrange.
Immédiatement, ma maman Joy m’a envoyée me laver mes mains en criant : « Malheureuse, qu’est-ce que tu fais ? Tu vas te brûler, jette ça ! » Car oui la cajou est piégée. Elle n’a pas une coquille mais deux, entre lesquelles se trouve un réservoir d’acide anacardique, qui vous brûle les mains.
La résine, appelée baume de cajou, comprise dans la coque et composée à 90% de ce fameux acide anacardique, est récoltée par les producteurs de cajous car elle a une multitude d’usages. On en fait d’excellents vernis, de l’insecticide, des encres, et elle est même utilisée dans la fabrication d’éléments de friction pour l’industrie automobile.
Si vous ne grillez pas les cajous, vous vous brûlerez également la bouche en les mangeant. Mais attention, faites-les griller dehors. Les vapeurs qui s’en dégagent, si elles sont inhalées, vous attaquent aussi les poumons. Préparer des noix de cajou, c’est un métier à risque, sans blague. J’irai voir des producteurs dans les jours qui viennent pour vous montrer ça de plus près.
En attendant, régalez-vous de vos noix soigneusement décortiquées, vous verrez le mal qu’on se donne pour parvenir à ce résultat et vous comprendrez alors pourquoi la cajou est si rare et coûte si cher.
Hello
Où puis-je trouver la suite de votre article car j’ai les noix de cajou( qu’on a d’ailleurs essayer de cuire d’après les conseils d’une amie qui soit disant connaissait……bonjour la fumée, on a eu peur!!!!).
J’ai fait des confitures avec les fruits.
J’aimerai maintenant pouvoir griller ces petites noix si………vicelardes comme vous dites!!!!!!
Bien cordialement
A bientôt
Au plaisir de vous lire!!!!!!
De la Guadeloupe où nous vivons depuis 8 mois
Sasha
Bonjour Sasha,
Pour en apprendre plus sur la méthode pour ouvrir les noix de cajou, c’est ici : http://www.lemanger.fr/index.php/profession-ouvreur-de-cajous/
Pour toutes les infos sur les pommes de cajou : http://www.lemanger.fr/index.php/les-pommes-de-cajou-sont-mures/
Et pour voir les cajous sur la braise faire plein de fumée qui brûle les poumons : http://www.lemanger.fr/index.php/cajou-feu-explosion/
Bonne lecture !
SVP et pour voir les etapes de sa maturité sur l’arbre?
Bonjour Camille
Merveilleux vos articles. A la fois très instructifs et très bien écrits. j’adore, notamment la pointe d’humour ! Est-ce que vous connaîtriez des articles qui expliquent, en dehors de ce que vous avez fait pour la noix, comment on peut artisanalement réaliser les jus de fruits ou exploiter la résine ?
Merci Pierre ! Pour les jus de fruits, il suffit de mettre les pommes de cajou dans un blender pour obtenir un nectar que l’on peut filtrer si on préfère un jus clair. Pour ce qui est d’exploiter la résine, qu’avez-vous en tête ? Je suppose que ce type de documentation doit en tous cas se trouver sur le net, en anglais à coup sûr, et en français peut-être.
Bonsoir Camille
Merci pour votre réponse. J’ai une amie qui travaille en ce moment dans la jungle amazonienne et je me demandais si elle pouvait tirer profit de ce fruit, qui est présent là ou elle est, mais peu ou pas exploité, pour améliorer ses conditions d’existence. Pour la résine, je pensais notamment à ce que vous avez dit de ses propriétés pour éloigner les moustiques si je ne me trompe pas.
Bonjour Camille,
Très chouette article sur la noix de cajou. Je vis en Thaïlande et j’ai découvert ce fruit, la semaine dernière, au marché local. Intriguée, j’en ai raporté à la maison… Ça a bien fait rire mon ami (qui est thaï), il avait de la peine à croire que j’en avais encore jamais vu étant donné la quantité de noix de cajou grillées qu’on mange en Thaïlande. J’ai eu droit à toutes les mises en gardes concernant le liquide contenu dans la noix et on a préparé un curry avec les fruits jaunes et rouges à base de poisson séché et de curcuma. C’était vraiment délicieux. Est-ce qu’aux Philippines les fruits se cuisinent également ?
Bonne continuation et au plaisir de te lire à nouveau bientôt.
Kris
Bonjour Kris,
je n’ai jamais entendu parler d’une recette élaborée aux pommes de cajou aux Philippines, mais les habitants de Palawan (là où on trouve la plupart des anacardiers) sont loin d’être aussi branchés « cuisine » que les Thaïs. On mange très simplement là-bas – beaucoup d’aliments sont simplement consommés crus ou grillés – et dans le village où j’habitais, on ne mangeait pas beaucoup et pas très souvent. En tous cas la recette que tu as goûtée doit être délicieuse, j’essaierai de cuisiner ces fruits la prochaine fois !
Comment cultive-t-on l’anarcadier ?
Hello, j’ai malheureusement mangé une pomme de cajou ne sachant pas ce qui m’attendait. Je me suis brulé la bouche, j’aimerais savoir si le liquide est toxique? Est ce dangereux pour moi … ?
Bonjour,
Pas de panique, la pomme de cajou n’est absolument pas toxique. Ce sont les noix qui sont dangereuses si on les ouvre crues, car leur double coque renferme de l’acide. On ne court aucun danger en mangeant les pommes, et ça ne devrait pas brûler du tout ! Il n’y a aucune trace d’acide dans la pomme de cajou. Cela peut en revanche être très astringent si le fruit n’est pas mûr. Quand il est mûr, il est très fragile. S’il était ferme, alors il n’était pas assez mûr.
Voici un papier sur les pommes : http://www.lemanger.fr/index.php/les-pommes-de-cajou-sont-mures/
Et d’autres où j’explique l’acide : http://www.lemanger.fr/index.php/profession-ouvreur-de-cajous/
http://www.lemanger.fr/index.php/cajou-feu-explosion/
Merci pour cet article complet sur la noix de cajou. En effet, je l’aime beaucoup, au naturel, et comme, parfois, il y a rupture de stock, je voulais en savoir un peu plus… Maintenant, je comprends mieux.
Bonsoir. Ma belle sœur m’a offert des noix de cajou crues, décortiquées qui viennent d’Indonésie. Puis je les manger sans risque? L’emballage est en plastic simple et sous vide mais aucune inscription sauf la date de péremption….
Merci
Bonsoir Andora,
L’acide est contenu dans la coque, donc si les noix sont décortiquées, pas de problème !
Par bétise , j’ai croqué dans une noix de cajou séchée par le soleil depuis plusieurs jours en pensant en extraire la noix. J’ai eu malgré tout un peu d’acide sur les lèvres et suis brûlé . De suite nettoyage et Aloé vera sur les lèvres régulièrement. Je crains un effet tatouage sur les lèvres après cicatrisation. Ai je raison de m’inquiéter des séquelles visuelles ou penses-tu que cela disparaitra et au bout de combien de temps ?
Cher imprudent,
Tout dépend si vous avez plutôt une peau qui cicatrise bien ou au contraire une peau qui marque beaucoup, comme moi… Et tout dépend de la quantité d’acide aussi. Ça laisse une marque noire dans les cas les plus graves ; si votre lèvre n’a pas noirci, c’est déjà bon signe. Et pour éviter les marques, protégez bien votre visage du soleil pendant toute la cicatrisation.
Passionnant comme article!
Renseignement pris, le mot coeur dans anacardier ne fait pas référence à la forme de la noix mais au fait que la noix se trouve hors du fruit, « en dehors de son coeur ».
Oh merci Olivier, je vais corriger alors. C’est joli aussi.
Bonjour Camille,
Je suis d’origine Malgache et je vis ici à madagascar, voilà longtemps que j’en ai mangé ce fameux fruit mais j’ai connu beaucoup de chose à propos de ce fruit sur cet article, très claire et très riche, bravo à l’équipe.
Ici vous pouvez même aller au plantation direct et voir, même faire de fournisseur pour les sociétés qui en ont besoin.
Bien à vous
Merci pour ton excellent article sur les noix de cajou. Du coup je consommerait vraiment les noix de cajou différemment…je vais faire particulièrement attention à leur provenance et surtout aux conditions de production de ces petites mains sur place.
Qu’en est il des noix de cajou BIO? Quest ce que cela signifie exactement et est ce que cela garantit une meilleure condition de travail des artisans sur place?
Encore merci et bonne suite!
Anne
Bonjour Anne,
Quel que soit le pays, y compris la France, le bio n’est malheureusement en aucun cas une garantie de bonnes conditions de travail. Cela ne dit rien sur la façon dont on traite les employés, sur la taille de l’exploitation, sur le respect des saisons, les conditions d’acheminement, etc. Un produit bio peut être récolté par des employés sous-payés, transformé à l’aide de machines crado par une grosse société, emballé dans du plastique non recyclable, et vendu à l’autre bout du monde avec une empreinte carbone déplorable… La seule chose que le label bio nous garantit, c’est que le produit n’a pas été traité (ou du moins que les engrais et pesticides utilisés sont sans danger pour l’environnement). Le reste, c’est une autre histoire… Si l’on cherche à privilégier ces aspects-là, il faut plutôt chercher des marques qui font dans la production éthique (comme la coopérative Éthiquable entre autres – leurs produits sont bio, en plus d’être éthiques).
En l’occurrence, les noix de cajou que je mangeais aux Philippines ne disposaient d’aucun label, mais elles étaient cueillies à la main sur des arbres non traités par des familles à qui ce travail assurait un revenu décent, ouvertes manuellement puis séchées naturellement au soleil, et enfin vendues localement. En fait, plus que de manger bio, l’idéal est de manger local : ainsi on rencontre et connaît les producteurs, et on sait si on peut leur faire confiance.
Bonjour, Eblouie par votre article! Mais, je crois bien que je vais faire l’impasse ; je n’achèterai plus de noix de cajou , tout comme les produits mettant la main-d’oeuvre au rang d’esclave. Je vis en France et me contenterai des produits locaux (dont les noix dites de Grenoble). Merci encore de m’avoir éclairée.
Bonjour,
Merci pour cet article enrichissant !