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Kinilaw : la tradition philippine du sashimi
Le kinilaw, c’est le plat philippin traditionnel par excellence. Il existait bien avant les Chinois, les Espagnols, les Japonais et les Américains. Il s’agit de viande ou de poisson crus qui seront cuits par ce que les Philippins appellent « le feu liquide », c’est-à-dire un liquide acide comme du jus d’agrume ou du vinaigre. Ce mode de préparation ancestral est commun à toutes les régions de l’archipel, même si les ingrédients varient en fonction des ressources locales.
En bref, le kinilaw (ou kilaw, kilawin, kilawen, selon les dialectes), c’est le plat qui unit les Philippines du Nord au Sud, tout en faisant honneur aux spécificités régionales du pays. Ainsi à General Santos, la capitale du thon, le kinilaw est nécessairement à base d’albacore ; les Illongos, habitants de l’Ouest des Visayas, le feront avec du hareng, et à San Fernando, dans la province de Pampanga, l’ingrédient central sera la crevette d’eau douce. Mille et une variantes sont possibles, d’une île, d’un village, d’une famille à l’autre.
Ce qui est important, c’est d’avoir une base crue, par exemple du porc, du poulpe, du poisson. A la différence du sashimi japonais, qui livre le cru dans son plus simple appareil, le kinilaw comprend toujours un élément acide qui va venir « cuire » cette base crue. Il s’agit le plus souvent de vinaigre de coco, mais cela peut également être du jus de calamansi, l’agrume local. Dans certains coins, on ajoutera également du lait de coco pour corriger le goût acide.
Le poisson cru mariné, une tradition du Pacifique
Ce mode de préparation n’est pas sans rappeler la recette du poisson à la tahitienne. Les Polynésiens ont en effet une spécialité culinaire traditionnelle proche du kinilaw : du thon, du mahi-mahi ou d’autres poissons du genre seront macérés dans le jus de citron vert (que les Austronésiens ont emmené avec eux et planté sur leur chemin), puis servis avec du lait de coco.
Cela n’a rien d’étonnant. Les Philippins ont des racines communes avec les autres peuples du Pacifique. Ils font partie de la grande famille austronésienne, qui s’est installée des rivages d’Asie du Sud-Est jusqu’à l’île de Pâques. Et étonnamment, à Madagascar aussi. Ces peuples ont été longtemps des nomades des mers. En voyageurs intelligents, ils se nourrissaient du fruit de leur pêche. Et rien de tel pour tuer les éventuels parasites et bactéries présents dans cette pêche, sans pour autant avoir besoin de faire du feu, que d’utiliser des agrumes locaux ou du vinaigre.
En Amérique latine aussi, il y a un plat similaire : le céviche. Les poissons ou fruits de mer crus seront marinés dans un jus de citron ou de citron vert, et agrémentés de piments et autres oignons. Dans ce cas précis, il y a dispute sur l’origine du plat : il se pourrait qu’il soit arrivé par le Pacifique, dans la continuité austronésienne, ce qui expliquerait l’utilisation des citrons verts qui n’ont rien à faire sur le continent américain à l’époque. Ou qu’il ait été apporté par les Espagnols, qui arrivaient les bras chargés de citrons.
Parce qu’il est important de le préciser, tout navigateur au long cours qui se respecte a conscience de l’importance des agrumes. S’il oublie d’en emmener, c’est pas très malin, il mourra du scorbut. Sans vitamine C, poum, gencives pourries, hémorragies, t’es mort. Visiblement, les Français et les Anglais ont eu du mal à intégrer cette donnée lors de leurs premiers grands voyages. Aux Philippines, on a le calamansi ou calamondin depuis qu’on a des hommes, et on fait du le vinaigre de coco (suka ng niyog) depuis belle lurette car la population s’est sédentarisée il y a des millénaires.
La touche asiatique et les apports espagnols
Bon, quoi qu’il en soit, que le plat sud-américain soit espagnol ou pas, les Espagnols et les Philippins ne se conaissaient pas encore lorsque le kinilaw est apparu aux Philippines. On peut donc simplement remarquer que le poisson cru mariné aux agrumes, c’est un truc de voyageurs à l’esprit pratique et prévoyant, et que le poisson cru mariné au vinaigre, c’est un truc de peuple de la mer, qui vit avec l’élément aquatique mais qui s’est implanté plus durablement.
Nos Philippins en sont là. Implantés, entourés d’eaux poissonneuses, leurs arbres chargés de calamondins et de noix de coco, leur sol plein de racines de gingembre. Car c’est là un autre ingrédient primordial du kinilaw, et ce qui lui donne une touche asiatique bien particulière par rapport au céviche ou au poisson tahitien.
Aujourd’hui, le kinilaw comporte également des piments rouges, de l’ail, des oignons et souvent des tomates. Mais pour ces ingrédients-là, ne cherchez pas, ils ne sont pas d’origine. Les piments et les tomates sont américains. Les Espagnols les ont ramenés de voyage. Ce sont les Ibériques aussi qui ont commencé à mettre des oignons et de l’ail partout dans l’archipel philippin.
On est donc passé d’un plat à base de fruits de mer et de poisson, ou parfois de viande (les boeufs, cochons et poulets sont là depuis des millénaires), de vinaigre ou d’agrumes et de gingembre, à une recette plus élaborée, intégrant les apports hispaniques que sont l’ail, les oignons, les tomates et le piment rouge. Voilà l’histoire du kinilaw.
Pêcher et faire son kinilaw, c’est la vraie vie
Aujourd’hui, nous sommes sur un bateau, et nous pêchons. De jolis petits poissons à queue jaune, qu’on appelle fusiliers. Joy, le capitaine, plaisante : « Quand on arrive à 15 poissons, je fais du kinilaw ! » En 30 secondes et des poussières, c’est fait. « Bon alors, il arrive ce kinilaw ? » Joy s’exécute. Bon, un kinilaw sans aucun ingrédient à part du poisson, c’est quand même moins bien. Sur un bateau au milieu de nulle part, il faut faire avec ce qu’on a.
Et là, Joy sort de son chapeau un beau morceau de gingembre, des oignons rouges, du piment, du vinaigre, des tomates fraîches et du sel. Joy, il est parfait. C’est un peu le David Copperfield du kinilaw. Chez lui, on en mange tous les jours. C’est une entrée à partager avec la famille, accompagnée une bière fraîche. Comme c’est une famille de pêcheurs, il y a toujours du poisson frais à la maison. Et comme c’est une famille philippine, on ne se balade pas sans gingembre, oignons, vinaigre, piment et tomates dans ses poches. Ca ferait mauvais genre, et puis, comment on va faire du kinilaw si on est coincé en mer ? Bref, voilà des gens bien.
Joy déclare être un piètre cuisinier, mais son kinilaw était très bon. J’en conclus que n’importe quel gros nul peut réaliser cette recette. J’ai suivi étape par étape toute la préparation, et je confirme, c’est très facile, à condition d’avoir du poisson bien frais. En bref, la prochaine fois que vous irez pêcher, vous saurez quoi faire.
Pour 4 personnes, il vous faut :
- 400g de filets de poisson ultra-frais (poisson rouge, poisson blanc, poulpe, soyez fou)
- 1 tomate ferme
- 2 petits oignons rouges
- 4x2cm de gingembre frais
- du vinaigre de coco, idéalement, ou de canne, ou de riz
- du sel
- 1 ou 2 petits piments rouges selon vos préférences
- 1 ou 2 gousses d’ail si vous aimez ça
Commencez par écailler vos poissons et lever les filets. Si la peau est fine, laissez-la, sinon elle doit être retirée. Coupez ensuite les filets en cubes. Il constitueront de petites bouchées, donc les cubes doivent garder des proportions de bouche humaine.
Veillez bien à ne pas laisser d’arêtes. La chair du poisson cru ne permet pas de les recracher facilement en mangeant car elle y est solidement attachée.
Versez ensuite l’équivalent de 4 cuillers à soupe de vinaigre et d’une demi-cuiller à café de sel sur le poisson. Mélangez bien. Laissez reposer quelques secondes. Mélangez encore. Le vinaigre va se troubler pour devenir laiteux. Egouttez les morceaux de poisson, jetez ce vinaigre blanchâtre.
Grattez ensuite votre gingembre frais (ou épluchez-le s’il est sec) et coupez-le en mini-cubes de 2mm de côté maximum. Faites la même chose pour l’oignon, l’ail, le piment et la tomate que vous aurez épépinée au préalable. Mélangez le tout.
Arrosez cette préparation de vinaigre, cette fois 2 cuillers à soupe suffiront. Corrigez l’assaisonnement si ce n’est pas assez salé. Si vous voulez faire les choses bien, servez avec du riz et mangez avec les doigts.
Sourire
Yep, c’est très bon et facile à préparer 😉
Faut savoir aussi que les eaux de la Polynésie ont un taux de mercure largement en dessous du taux minimal autorisé!
–0.25ppm au lieu de 0.56ppm maximal préconiser.
Ce qui fait, que leur consommation ne sera pas affecter. Dû moins pour une consommation normale, inférieur à 2kilos par jour.
Il y a un taux de mercure minimal autorisé ?
Les fusiliers sont appelés » aturé » en polynésie, les gros ce sont des « oraré », on les prépare aussi de cette manière ou en poissons marinés ou en fafaru il y a des tas de préparations.
Le kilawin, c’est une merveille ! certainement le meilleur plat que j’ai mangé aux Philippines. Encore bravo l’article et bravo les photos.
Bonjour, je viens de lire cet article sur un plat qui semble proche très proche, mais en Thaïlande : http://www.ladepeche.fr/article/2017/06/28/2602614-les-medecins-thais-combattent-un-plat-de-poisson-cancerigene.html
C’est le même poisson qui est utilisé aux Philippines, par curiosité ?
Bonjour Sophia,
Comme ils le précisent dans l’article, la version du plat dont ils parlent est celle du Nord-Est de la Thaïlande, préparée avec des poissons d’eau douce pêchés dans le Mékong (la région d’Issan n’a pas la mer). Aucun rapport donc avec les poissons marins couramment utilisés pour faire le kinilaw.
Après, on peut très bien faire du kinilaw de poisson d’eau douce aux Philippines…
Merci de votre réponse !