Ethno · Reportages · Taïwan
Nouilles froides made in Taïwan
A Taïwan on aime, on adore les nouilles froides, un plat végétarien hérité de la période chinoise. Pleines de légumes en julienne et de sauce au sésame, ces nouilles-là sont censées vous rafraîchir en été, mais comme l’île jouit d’un climat tropical, on peut considérer que l’été, c’est toute l’année. Bref, il est toujours temps de manger des nouilles froides à Taïwan, regardons-les de plus près et goûtons-les, je vous donnerai mon avis.
Tout pays d’Asie qui a été marqué par une grande influence chinoise consomme des nouilles, et plus particulièrement des nouilles froides. On retrouve ce plat sous diverses formes en Chine évidemment, en Corée, au Japon, au Vietnam, Cambodge, Laos, en Thaïlande, en Birmanie et à Taïwan. Sont exclus de cette liste tous les pays qui ont eu une influence indienne majeure, ou arabe, comme la Malaisie, l’Indonésie, tout le sous-continent indien et ses satellites, les Philippines qui sont plus espagnoles ou américaines qu’autre chose, et la Mongolie qui n’aime pas les Chinois et commerce avec la Russie.
Des rouleaux de printemps (gỏi cuốn) vietnamiens au raengmyeon (냉면) coréen, une soupe froide aux nouilles et au boeuf, en passant par les sōmen japonaises, chacun a ajouté sa touche culturelle pour arriver à une variante nationale. On a donc des dizaines, des centaines de sortes de nouilles froides, d’un pays à l’autre, mais aussi d’une région à l’autre. C’est notamment le cas en Chine car c’est très grand, chaque province a donc sa variante. J’avais déjà parlé de la version cantonaise ici. Dans les pays qui ont une communauté chinoise, même considérable, le plat d’origine est resté au sein de la communauté et n’a subi que très peu d’altérations.
L’exact plat chinois décliné au Japon, en Corée et à Taïwan
Taïwan ayant longtemps été une province chinoise, elle possède sa version des nouilles froides, héritée directement de la mère Chine. Les Tai Shi liang miàn /台式涼麵, c’est leur nom, ressemblent beaucoup aux liang mien cantonaises qui sont finalement un peu une salade de nouilles, ou aux nouilles froides du Sichuan ou Sichuan liang miàn / 四川凉面 , à peu près la même chose qu’à Canton mais avec un peu moins de légumes, des pousses de soja et beaucoup de piment rouge.
Cette espèce de salade de pâtes a eu un succès fou et n’a pas seulement pris à Taïwan : au Japon, elles sont appelées hiyashi chūka / 冷やし中華, littéralement Chinois froid, arrangées à la sauce japonaise avec de l’omelette, des carottes, du concombre, du gingembre etc. En Corée, on y ajoute du boeuf, du piment rouge et de l’huile de sésame, parce qu’on en est fou, et on les nomme bibim guksu /비빔국수. Mais revenons à Taïwan.
La particularité des liang miàn taïwanaises, plus que les légumes en julienne qu’on y ajoute qui sont sensiblement les mêmes qu’en Chine, au Japon ou en Corée, c’est sa sauce. Elle n’est pas toujours préparée de la même manière selon la région ou la cuisinière, mais elle a un ingrédient principal invariable : le sésame. Elle est très épaisse, très sésame quoi, un peu comme du tahin, en un peu plus liquide mais à peine, et pas vraiment plus salée.
Généralement, à Taïwan, les légumes récurrents sont la carotte et le concombre. Les nouilles que j’ai achetées chez une mini-mémé à Penghu, un petit archipel à l’ouest de Taïwan, étaient vendues en barquette et couvertes de carottes, concombre, chou rouge et peau de tofu frite, parce qu’ici les végétariens ne peuvent pas s’empêcher de mettre du tofu partout, s’il y a du tofu c’est forcément mieux, c’est forcément bien, c’est végétarien, faisons frire plein de tofu pour une vie saine, je vous en reparlerai, j’ai plein de choses à dire là-dessus.
Le problème de la sauce sésame
Chez ma Mémé Penghu, la sauce était un hybride entre le classique taïwanais et celui du Sichuan. Ou plutôt, il y avait les deux dans des sachets séparés, à combiner dans les nouilles, ainsi qu’un sachet de grains de sésame en rab au cas ou vous voudriez toujours plus de sésame pour aller avec votre toujours plus de tofu.
Franchement, vu comme ça, c’est très joli, ça a l’air sain et frais, parfait pour affronter une journée chaude à Taïwan. Ah oui, car ces nouilles sont souvent mangées au petit-déjeuner, mais elles peuvent être savourées à tout moment de la journée, le magasin 7 Eleven en vend 24 heures sur 24 au cas où. J’ai disposé tous mes ingrédients dans un bol, versé les sauces et le sésame en grains, jusqu’ici tout va bien.
Et puis en fait, le résultat n’est pas si chouette que ça. La sauce au sésame est beaucoup, beaucoup trop pâteuse. Ce n’est pas la faute à Mémé Penghu, c’est la recette taïwanaise qui veut ça, mais ça ne va pas du tout avec le climat local. Le plat censé être rafraîchissant est lourd, écoeurant, difficile à mélanger et franchement pas très bon. Quant à Mémé Penghu, elle n’aurait jamais dû avoir la main si lourde sur la peau de tofu, elle aussi est écoeurante et bien trop abondante.
Mon coup de chance, c’est que ma mémé n’a pas mis d’ail cru dans mes liang miàn, bien que ce soit normalement un ingrédient habituel. Parce qu’au réveil, ça peut être violent, surtout lorsqu’on déteste l’ail comme moi. Par contre, sa sauce au piment, elle était monstrueuse. Elle contenait ce que mon amie mongole Mugi appelle « le goût Taïwan », j’en parle ici, c’est un mélange d’épices qui peut être vraiment gênant selon la manière dont il est utilisé. Sinon, dans cette deuxième sauce, il y avait plein de piment, beaucoup trop, plus de sésame (on a dit toujours plus), de l’huile – pimentée sinon c’est pas drôle – un peu de sauce soja et c’est à peu près tout.
Cette sauce, c’était un carnage. Elle a achevé de ruiner un plat qui n’était déjà pas génial. C’est dommage, car la version japonaise ou cantonaise de ces nouilles est délicieuse, légère, et pour le coup, rafraîchissante grâce à sauce claire à base de sauce soja, de vinaigre et d’un peu de sucre, ainsi que du dashi pour la recette nippone. Bref, j’aurais tendance à chaudement recommander les nouilles froides de Canton et du Japon, et à bouder celles de Taïwan. Mais elles trouvent leurs fans, ici comme ailleurs, alors goûtez-les à votre tour si vous en avez l’occasion et dites-moi ce que vous en pensez…