La France vue d’Asie : le fromage
Il est amusant de voir comment les autres pays nous perçoivent, quels sont les clichés récurrents, mais aussi lesquels de nos produits ils importent. Aux Philippines, nous sommes des fumeurs super romantiques à la langue sublime, et nous nous nourrissons de pain, de French toast (le pain perdu), de vin et de… quoi déjà ? Ils ne savent pas vraiment. Quant à notre fromage, il ne les tente pas plus que ça.
Il faut dire que le Philippin de base ne fera pas le rapprochement entre la France et le fromage. Ce sont les Américains qui les ont initiés à ce nouveau mets. Ainsi, ici, le fromage est principalement un truc râpé et salé que l’on fait fondre sur à peu près n’importe quoi. Oui, le fromage est l’un des péchés mignons des Philippins. Mais pas le nôtre. Ce sera du cheddar ou de la mozzarella. Nos fromages forts ont tendance à les dégoûter. Et puis, ils sont inabordables.
Pour avoir du fromage, il faudrait déjà du lait
L’Asie n’est définitivement pas le continent des produits laitiers. Ils sont rares et chers dans tout le Sud-Est asiatique, car ils sont intégralement importés d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Europe. Ailleurs, au Japon, en Chine et en Corée, c’est un peu différent : une production locale existe mais à petite échelle. Les Japonais ont par exemple importé des vaches laitières jersiaises qui se sont très bien accommodées du climat de l’île la plus septentrionale de l’archipel, Hokkaido. Ces quelques cheptels donnent un lait qui est consommé tel quel, ou transformé, mais pas en fromage. Il est principalement utilisé dans fabrication de beurre, caramels mous et autres sucreries.
Aux Philippines, un litre de lait, c’est un luxe : si l’on veut du vrai lait et non un machin infâme reconstitué et bourré d’additifs de type huile de palme, sucre etc – je me suis fait avoir une fois, pas deux – il faut compter plus de 60 pesos pour un litre, soit plus d’un euro. Pour un budget français ce n’est pas énorme, mais pour une famille philippine, c’est une folie. Le beurre coûte évidemment encore plus cher (à peu près le double du prix du lait pour une plaquette). Et celui qui a la palme du coût le plus élevé, c’est le fromage.
Du lait pasteurisé et des noms ridicules
On ne trouve pas tous les fromages ici, loin de là. Il est intéressant de voir que les fromages hollandais ou italiens, plus doux et surtout à pâte cuite pour beaucoup, sont aussi représentés, si ce n’est plus, que les fromages français dans les rayons des supermarchés philippins haut de gamme. Ceux qui ont la cote sont les suivants : gouda, parmesan, cheddar, emmental, brie, camembert, et bien sûr tous les fromages explicitement industriels comme le Babybel, la Vache qui rit ou le Kiri.
Certaines marques sont familières, comme Président ou Entremont, et puis il y a les intrus comiques, ces marques étranges tellement spécifiques au marché asiatique qu’elles portent des noms improbables pour nous Français. J’aime beaucoup par exemple le camembert Bonjour de France qui ne pourrait marcher chez nous pour des raisons évidentes. Mais mon favori, le super champion, c’est le Mini Gérard, une marque que nous rejetterions pour des raisons un peu plus complexes.
En France, il est accepté de donner un nom de famille à un produit. En effet nous associons nos produits à des familles de producteurs, ainsi qu’à des lieux, or les lieux et les noms vont ensemble. La notion de terroir est primordiale, surtout dans le secteur fromager. Nous avons créé les AOC, qui existent parce qu’un fromage est presque toujours lié à un lieu de naissance très précis : Roquefort, Saint Marcelin, Cantal etc.
Lorsqu’on regarde nos noms de fromages, même dans les marques les plus industrielles, on préfère les noms de famille aux prénoms. Ca fait tout de suite plus sérieux. On mangera du Boursault ou des Gervais sans problème. En revanche, qui veut manger du Patrick ? Du Raoul ? Du Jean-François ? Non, ça ne vous dit rien ? Ben moi non plus, voilà. Si on ajoute « Mini » devant, c’est vraiment la fin des haricots. Vous voulez du Mini Raoul ? Non, pas plus. C’est même pire. Zéro crédibilité.
Il y a une exception chez nous, c’est le Petit Billy. J’ai toujours trouvé ce nom un peu ridicule, soit dit en passant. Il est pourtant communément accepté pour deux raisons : « petit » fait moins cheap que « mini », que nous associons difficilement à la nourriture de qualité. Babybel peut se permettre de faire du Mini Babybel par exemple, car ils ne cherchent pas à avoir une image de marque gastronomique. Toutefois, un camembert aura plus de mal à sauter le pas. Ensuite, et là je m’excuse d’avance auprès des Billy, ce prénom est plus associé aux chèvres qu’aux êtres humains. Toutefois, comme le rappelle un lecteur vigilant dans les commentaires ci-dessous, ce nom a pour origine la commune de Billy dans le Loir-et-Cher, et non un capriné.
Le test du « camembert » Président
Revenons dans mon supermarché philippin. Impossible de trouver ici un fromage à pâte crue, vous perdez votre temps. Mais alors, comment font-ils ce camembert ? Hum, eh bien pour être honnête, c’est tout sauf du camembert. Commençons par regarder l’emballage. C’est un camembert Président, fabriqué en France. Jusqu’ici tout va bien. Il est censé être un peu fort, c’est la version « de campagne », comprenez « goût rustique ». Il coûte plus de 250 pesos, soit plus de 4 euros. Et il ne pèse que 125 grammes, soit un demi-camembert.
J’ouvre l’emballage. Et là, surprise, je trouve une boîte de conserve. Que j’ouvre. Dedans, du papier d’aluminium. Que j’ouvre. Le fromage a une couleur étrange, vaguement saumon, disons saumonâtre, c’est plutôt moche. Je l’hume. Rien. C’est évidemment un fromage au lait pasteurisé, d’où l’absence d’odeur. Pour une fille de Normand élevée au lait cru, c’est dur, même si je savais à quoi m’attendre. Je tente d’enlever l’aluminium. Le fromage colle.
J’en coupe une part. Et là, deuxième surprise, l’intérieur du camembert est lui aussi saumonâtre, oui oui, la croûte et l’intérieur ne font qu’un. Il ne coule pas et ne coulera jamais, non, ce fromage-là, il colle, il suinte, c’est tout. Je goûte. C’est une sorte de brie très jeune, du brie tout neuf sorti de l’usine de brie. C’est nul. Mais là aussi, je savais à quoi m’attendre.
Les Philippins ne pourraient accepter un fromage au goût plus fort que celui-là. C’est la version rustique… En bref, les vrais produits français – et non leur version adaptée au goût local – fascinent et intriguent, sentent le luxe et les dîners romantiques, comme le vin, le champagne (et le… quoi déjà ?), mais ne plaisent pas forcément. Je tenterai l’expérience avec autre chose.
Le camembert en conserve, j’adore le concept…mais c’est sur que question goût, ça doit pas être top. Enfin, au moins, on est sur de ne pas empester.
Mes copains français, expats à Hong Kong, m’ont donné leur secret : ils laissent ces camemberts palots affiner dans leur frigo pendant des semaines avant de les manger. Bien entendu, c’est du lait pasteurisé donc on n’arrive jamais à un résultat satisfaisant, mais ça leur donne quand même un peu plus de caractère.
Post intéressant, toutefois une précision sur le « Petit Billy » : certes un fromage industriel, mais dont le nom vient de la commune de Billy, dans le Loir-et-Cher. D’ailleurs il existe plusieurs communes françaises de ce nom (Calvados, Allier, où le nom se prononce « Biyi ») – rien de commun avec le diminutif homographe, venant du monde anglophone.
Merci pour cette précision très intéressante ! Je vais corriger l’article de ce pas.
Intéressant de voir tous ces marchés, plutôt typés « occidentaux » se développé en Asie. Je pense également au vin, au café voir à la pâtisserie.
Pour votre petite mésaventure sur le camembert, il faut dire que le principal écueil pour le fromage en Asie (je connais surtout la Chine) est la notion de sécurité sanitaire qui doit être visible pour le consommateur chinois. D’où par exemple le « camembert en boîte », les chinois appréciant le sur-conditionnement des produits alimentaires. Bien sur, avec notre éducation française et notre connaissance du fromage, on sait que cela ne change rien à la conservation (au contraire!). Mais n’oublions pas qu’en Asie, le fromage n’est rien d’autre que du « lait pourri ».
Pour le développement de fromage plus tradi, cela passera par l’éducation autours de la culture du fromage et de sa consommation, qui à terme réduira cet obstacle et surtout peut permettre au fromage de s’implanter définitivement dans les habitudes alimentaires au moins dans les grandes villes.
Bonjour,
Bravo pour cet article très vrai, et bien rigolo en meme temps.
Pour le camembert saumonatre en boite, pas besoin d’aller jusqu’aux Philipines, il y en a aussi aux Pays-Bas dans tous les paquets cadeaux que les salariés recoivent en guise de cadeau de fin d’année. Une horreur, effectivement ni beau, ni senteur, ni gout, une honte pour nous franchouillards.
Bonjour Camille,
Bravo pour cet article !
Alors oui effectivement on trouve des camemberts en conserve (Un an de DLUO)… et ils sont produits par le groupe Bongrain. Lequel a été fondé par un certain Mr. Bongrain qui avait racheté la fromagerie Gérard au tout début (Dans les Vosges)! Cette marque est un clin d’oeil à l’histoire du groupe. On ne la trouve qu’à l’étranger car tu as raison, de tels produits en France c’est inconcevable !! N’empèche qu’il y en a dans tous les pays : c’est pas cher et on peut le conserver un an ! Parfait pour des consommateurs néophytes !
😉
« Merci pour cette précision très intéressante ! Je vais corriger l’article de ce pas. », 7 ans plus tard l’article n’est toujours pas changé ! Je reconnais bien la une experte en procrastination 😀
J’avoue, je ne m’occupe plus du tout du site depuis des années, il y aurait beaucoup de choses à corriger, réparer, des liens qui ont sauté… C’est un peu comme une vieille maison, il y a des milliers de trucs à bricoler.
Paf ! C’est corrigé !
😀