Introduction aux champignons japonais
Dans ma quête désespérée des végétaux abordables au Japon, j’ai vite fini par comprendre ce que je pouvais me permettre. C’est assez simple :
- Fruits : aucun, sauf les bananes
- Légumes : carottes, concombres, asperges, chou blanc, brocoli
- Champignons : tous
Les champignons, ils m’ont manqué aux Philippines. On n’en trouve que très rarement là-bas, c’est une spécialité dans les montagnes de certaines provinces, mais globalement, ils sont absents de l’archipel. Et comme les champignons, c’est ma passion (avec le crabe), ma joie en arrivant au Japon a été immense, aussi immense que le choix qui existe ici. Allez, je vous les présente, vous allez voir, ils sont mignons.
Le buna-shimeji, parfait
Ceux qui sont en photo en tête d’article, ce sont des shimeji, et même des buna-shimeji, en japonais ブナシメジ, en langage de pro Hypsizigus tessellatus. On les cultive au Japon depuis le début des années 70 seulement, au départ uniquement dans la préfecture de Nagano, mais en 1989 c’était déjà le deuxième champignon japonais en terme de quantités produites. Il est devenu un produit de consommation courante, disponible frais et à grande échelle dans les supermarchés.
Le buna-shimeji, comme son homologue blanc le bunapi-shimeji, est à mon sens parfait : il est joli comme un cœur, a une belle forme de champignon classique, tient très bien à la cuisson, garde une certaine fermeté mais pas trop non plus, a la taille idéale pour être mangé entier, et puis il est très bon, il a un goût de noisette.
Il est très utilisé en cuisine au Japon car il se prête à tous les usages : on le retrouve dans les soupes, les plats sautés, ou cuit directement avec le riz pour faire du takikomi gohan. On constate depuis peu un immense engouement pour cette espèce – autrefois les Japonais s’en fichaient un peu, et puis ils ont réalisé qu’il était génial, comme ça, pouf, subitement – dont la production a augmenté de 500% ces dernières années.
L’enoki, croquant et filiforme
L’enoki (エノキ), ou enokitake (エノキタケ), un cultivar du Flammulina velutipes, est l’un des champignons asiatiques connus en France, ce qui est étrange car c’est loin d’être le meilleur. Pourquoi lui plus que les autres ? Parce qu’on le cultive depuis fort longtemps au Japon et qu’il est devenu en 2000 le premier champignon du pays en terme de production, dépassant le shiitake qui dominait le royaume du champignon japonais depuis toujours.
Pour vous donner une idée, en 2009, sur 461 107 tonnes de champignons, la production d’enoki s’élevait à 138 501 tonnes, soit un tiers. Il est vendu partout, c’est un peu le champignon de Paris du coin, pas cher et disponible en grande quantité quelle que soit la saison.
C’est grâce à un type de Kyoto que la culture de l’enoki a pu se développer. Traditionnellement, on cultive principalement le shiitake au Japon, et ce depuis le milieu du XVIIe siècle. On utilise pour cela des bûches, ce qui n’est pas très pratique, prend une place folle etc. En 1928, Hikosaburo Morimoto – le type de Kyoto – a trouvé une nouvelle technique propre qui a révolutionné le monde du champignon cultivé : la culture en bouteille.
Il n’a gardé de la bûche qu’un peu de sciure qu’il a placée au fond de bouteilles en verre, et cela fonctionnait tout aussi bien, et même mieux, car les bouteilles individuelles permettaient un meilleur contrôle de la santé des cultures. La sciure était à usage unique, donc très hygiénique, le gain de place était évident, et ainsi on avait directement des portions vendables individuellement, déjà compartimentées, des sortes de touffes de champignons.
Cette technique s’est répandue davantage quand on est passé au polypropylène dans les années 50, c’est à ce moment-là qu’elle est devenue majoritaire. Aujourd’hui, nos enoki viennent encore de bouteilles. Si vous regardez bien lorsque vous en verrez, la base de la touffe contient encore de la sciure et porte la marque de la forme de la bouteille.
L’enoki est issu de cultures fermées, d’où son absence de couleur – un champignon blanc est un champignon qui ne voit pas la lumière du jour – et on arrête sa croissance assez tôt ; dans la nature, il pourrait devenir bien plus grand.
Ce qu’on mange principalement dans l’enoki de culture, c’est son pied, qui est extrêmement long et fin, alors que son chapeau est minuscule. Et ça aussi, c’est le signe qu’il s’agit d’un champignon de cultures fermées. Voyez-vous, un champignon qui a poussé dans une atmosphère très chargée en CO2 va développer ce type de morphologie. Car oui, la mycologie c’est passionnant.
Et pour être sûr que le pied sera bien long et bien fin, on contraint la pousse des champignons davantage en les enfermant dans un cône en papier qui ne leur laisse pas le choix. En bref, un enoki 100% nature sera très différent : plus grand, avec un petit pied et un grand chapeau brun, on dirait tout simplement qu’il s’agit d’une espèce différente.
Pour revenir à la version cultivée, puisque c’est celle-là que l’on mange, sa texture est assez fibreuse et croquante. On cuisine généralement ce champignon en soupe, c’est un ingrédient quasi-systématique du nabemono, un grand bouillon avec plein de machins cuits dedans, mais on le fait aussi parfois sauter. Il est également utilisé pour faire des yakitori – des brochettes japonaises – enroulé d’une fine tranche de bacon.
En terme d’arômes, ce n’est pas le champignon du siècle. Ce qui a fait son succès, c’est sa texture intéressante du point de vue du cuisinier japonais, sa culture facile et maîtrisée, son faible coût et sa grande disponibilité toute l’année, mais aussi le fait qu’il se conserve très bien.
Le nameko, ambré, baveux, fondant
Le troisième champignon du jour, c’est le nameko, de son nom scientifique Pholiota nameko, en japonais ナメコ. Ici, il est très courant. On l’utilise principalement dans les soupes, notamment la soupe miso et les nouilles soba au bouillon, mais on le fait également parfois sauter. Il est absolument délicieux, et sa jolie couleur ambrée est irrésistible.
En revanche, il a un aspect un peu dérangeant à première vue, à cause de son côté baveux qu’on devine sur la photo : le nameko est recouvert d’un épais gel gluant qui peut rebuter, mais qui s’évanouit dans un bouillon ou dans une poêle à frire.
On trouve ce champignon partout où il ne fait pas trop chaud en Asie, c’est-à-dire en Chine, en Russie et au Japon principalement. Il est cultivé depuis le début des années 50 et la production nationale est stable et modérée : depuis 22 ans elle est restée entre 21 000 et 26 000 tonnes.
La région d’Iwaki près de la centrale Fukushima-Daiichi en est une grande productrice, et chouette, ce sont des cultures ouvertes. Les champignons du coin ont évidemment été contaminés à grande échelle (bien au-delà de la limite autorisée de 500 béquerels par kilo, avec 4600 béquerels en août et 1360 en octobre, voir l’information ici si vous comprenez le Japonais ou le Google Translate) et donc interdits à la vente en octobre dernier, mais il est fort possible qu’ils soient à nouveau commercialisés vu le récent vent de « solidarité » à l’égard des provinces les plus exposées à la radioactivité.
On trouve le nameko frais dans à peu près n’importe quel supermarché japonais ; vous paierez, pour la quantité visible sur la photo, environ 70 centimes à 1 euro. Il est également disponible à plus grande échelle encore sous une autre forme à laquelle nous ne sommes pas habitués en France : des petits sachets plastique qui renferment une centaine de grammes de minuscules nameko crus dans leur bave, c’est très pratique car cela se conserve longtemps et ne coûte presque rien.
Une fois cuit, le nameko a une texture fondante particulièrement agréable et un léger goût de noisette. C’est un régal. Malheureusement, on ne le trouve que très difficilement en France. Je l’ai parfois vu en conserve à Paris, dans les épiceries japonaises de la rue Sainte Anne, vendu au prix prohibitif de 7 euros la mini-boîte. Un scandale.
L’eryngii, ferme et doux
Voilà un champignon asiatique qui n’en est pas un : l’eryngii ne vient pas du tout du Japon mais du pourtour méditerranéen. Son nom sérieux, c’est Pleurotus eryngii, en japonais c’est エリンギ, et en français on dit de lui que c’est un pleurote (oui, c’est mot masculin, je n’aurais jamais deviné), un pleurote du panicault. En provençal, occitan, niçois et autres patois du midi, on lui donne des noms incroyables : bérigoule, escouderme, canicot, mais également oreille de chardon, argouagne ou encore fougga, et il y en a plein, plein d’autres.
Au Japon, contrairement à chez nous, vous ne trouverez jamais dans la forêt mais on le cultive depuis peu de temps : c’est l’espèce la plus récente ici, et sa production progresse vite ; elle est passée de 6 734 tonnes en 2000 à 37 223 tonnes en 2009. Ce champignon est très apprécié pour sa texture hyper-ferme. On en fait de superbes lamelles qui tiennent admirablement lorsqu’elles sont sautées, son arôme est doux mais pas effacé, bref il est excellent.
Ces quatre espèces de champignons se prêtent toutes très bien à une cuisson à la poêle, je les ai donc faites sauter ensemble pour une super fricassée japonaise. Ils n’ont pas besoin de grand chose : un peu d’huile, un passage sur feu vif durant quelques minutes en remuant souvent, une touche finale de sauce soja (pour le salé) et de mirin (pour le sucré) en assaisonnement, et voilà, c’est prêt, c’est bon, les textures et arômes sont variés.
Les amateurs de shiitake remarqueront que je n’ai pas parlé de cette espèce bien que ce soit probablement le champignon japonais le plus connu. Ce n’est pas un hasard, c’est simplement parce que je ne l’aime pas vraiment. Mais j’en parlerai quand même un peu, plus tard, patience.
Miom, ça donne envie !!
Superbe ce blog ! Je suis arrivée ici en cherchant une recette de temeri sushi. Je pense essayer toutes tes recettes !
A bientôt !
Merci beaucoup ! Je découvre le tien et je vois que tu es très tournée vers New York, alors je me demande, où as-tu entendu parler des temari sushi ? Aux Etats-Unis ? En France pas mal de monde ne les connaît pas…
En fait je flanais sur pinterest et j’en ai vu !! ^^ Donc il me fallait une recette, ça a l’air tellement bon…
Bon, ce n’est pas vraiment une recette, c’est même une anti-recette tellement c’est simple, mais c’est ainsi que je les préfère, ou alors en soupe miso.
bonjour camille
yes, sadly, in the philippines, mushrooms are not commonly found. but they’re there. locally called « kabote », mushrooms grow wild in bamboo groves and i’m sure in many other places. i think oyster mushrooms are one of the varieties.
here in the united states, as it is in japan, fall is the season for the exotic matsutake mushroom. we’re enjoying this now, especially because prices are way down from before.
Alex
Hello Alex,
Yes, the Filipino climate is perfect for mushrooms, that’s why I am surprised to see they’re not cooked that much. Why is that? I’ve seen more and more oyster mushrooms in the supermarkets in Manila recently, but it seems more like a trend than a tradition. Also, the fantastic cookbook Kulinarya has a recipe of shimeji mushrooms steamed in a banana leaf, but I’ve actually never seen this dish in the Philippines so far… Maybe I’m not looking in the right place…
chére Camille
je suis arrivé sur votre blog hier soir à 22h., (aprés avoir mangé pour la premiere fois des fougéres aigles: j’ai regretté de ne pas vous avoir connu avant!)… et j’en suis ressorti à 2h. du matin!… j’ai un plaqueminier qui produit beaucoup , je péche -de temps en temps- des bonites, je m’intéresse aux champignons… et j’ai un ami spécialiste des oursins (je vous en reparle ci-dessous): c’est dire si votre site m’a passioné et conquis… votre style, votre approche de la nature, votre compétence qui se remarque jusque dans le souci du détail, tout est la pour me satisfaire et je voulais vous en faire part…et vous en remercier.
Cela dit une petite précision sur le pleurote du panicault qui ne pousse en général pas en forêt mais est associé exclusivement aux parties mortes des racines de panicault: il est trés présent sur les côtes atlantiques au nord de la gironde et c’est certainement l’espèce comestible la plus recherchée en bord de mer… voir http://www.mycoleron.fr/fiche_champi_v2.php3?nom_genre=Pleurotus&nom_espece=eryngii
Pour les oursins j’ai été surpris par l’information que vous donnez à la fin de votre -excellent- article sur « la prolifération d’élevages » dans le monde: en effet je connais bien le professeur Pierre Legall, actuellement à la retraite dans l’île de Ré : c’est lui qui a mis au point les données permettant la reproduction et l’élevage des oursins, ce que son fils réalise actuellement sur Ré… et jusque la je croyais que cette technique et cette entreprise était unique… au monde… j’ai téléphoné à Pierre qui me l’a bien confirmé et m’a expliqué que nombreux essais étaient en fait lancés un peu partout mais à ce jour toujours infructueux… si vous voulez en savoir plus vous pouvez contacter Pierre Legall (trés sympa et abordable…) à qui j’ai signalé votre site et qui se fera un plaisir de vous renseigner : contacter moi je vous donnerai ses coordonnées
trés cordialement et merci encore pour vos articles
Merci Guy pour ces compliments et toutes ces informations passionnantes !
Je prends note pour le pleurote, il faudrait que je modifie l’article ; bon, je suis en plein bouclage d’un magazine en ce moment donc je vais devoir attendre un peu, mais ce sera fait, merci mille fois.
Pour ce qui est des oursins, je n’ai jamais visité les élevages japonais mais ils disent en avoir beaucoup, reste à savoir si c’est vrai et dans quelle mesure ils sont productifs. Vous avez bien raison de me signaler cette erreur – je fais toute confiance au professeur Legall – je vais devoir apporter une correction là aussi.
Merci pour votre aide, n’hésitez pas si vous rencontrez d’autres erreurs ou imprécisions du genre, je suis toujours ouverte aux suggestions des lecteurs, surtout quand ils maîtrisent leur(s) sujet(s) aussi bien que vous !
Bonne soirée et à bientôt !
Vous n’appréciez pas les « enoki take » : dommage: ils ont un goût tres fin et tres délicat . N’en dégoûtez pas les autres … 🍄🍄🍄🍄🍄 et essayez encore .. votre cas n’est peut-être pas désespéré 🇯🇵🎌🇯🇵…..
Comme dirait ma grand-mère, chacun ses sales goûts 🙂
Je ne déteste pas du tout l’enokitake, je le cuisine souvent car c’est l’un des champignons japonais les plus faciles à trouver en France. Mais ce n’est pas mon préféré, voilà tout. En tout cas, loin de moi l’idée d’en dégoûter qui que ce soit.
Bonsoir
je suis passionné d ethnomycologie et je trouve tres interresant votre article.
aussi avez vous d autres informations comme cela dans l asie .
merci bcp