Histoires de crabes : le crabe noir
Les crabes, c’est ma grande passion. Du tourteau normand au gigantesque king crab du nord du Japon, j’ai goûté à de nombreux spécimens qui se trouvaient sur mon chemin. Je vous propose donc un tour du monde des crabes. Dans chaque volet, je présenterai un espèce différente.
Pour ce premier article, cap sur les Philippines, à Coron, un archipel situé au nord de la province de Palawan. C’est là que j’ai fait la rencontre du crabe noir. Enfin, je dis crabe noir, mais en français, on n’a pas daigné lui trouver un nom. Je traduis simplement l’appellation anglaise, « black crab ». On l’appelle également crabe de boue ou crabe des mangroves. On ne peut pas dire que ces termes soient appétissants.
En français, comme il n’a pas de petit nom, on est resté sur la version latine qui fait plus chic : scylla serrata. Il faut dire qu’il n’y a pas de raison de lui trouver un nom commun dans notre langue puisqu’il n’existe pas chez nous. On le trouve principalement dans les mangroves et estuaires d’Asie, Afrique et Australie. C’est un crabe qui aime la chaleur et les eaux cracra.
Un monstre de plus de 3 kg
Contrairement à ce qu’en disent les Anglo-saxons, le crabe noir n’est pas noir. Il est brun, voire bleu ou vert foncé. Et lorsqu’il est cuit, il devient rouge. Jusqu’ici, c’est assez banal. Mais mon cher crabe des mangroves a plusieurs particularités. Tout d’abord, il est énorme.
Mon petit pote acheté au marché de Coron Town me paraissait colossal, j’étais toute agitée. Un crabe tout trapu d’1,6 kg, youpi, chaque pince est un véritable steak, j’ai sauté sur l’occasion. Ce que j’ignorais alors, c’est que cette espèce peut atteindre les 3,5 kg sans problème. Mon super-crabe, déjà très impressionnant, n’était même pas une demi-portion.
La deuxième particularité du crabe des mangroves, c’est qu’il est très résistant. A tout. L’Australie s’est mise à élever cette espèce car contrairement aux autres, elle tolère très bien tout un tas de pollutions, comme les nitrates et l’ammoniac.
Le fait qu’il tolère ces pollutions chimiques ne veut pas dire qu’il ne les stocke pas. Et quand on sait qu’un crabe, ça vit vieux, on imagine ce qu’il accumule au fil des années. Miam. Les crabes d’élevage sont pêchés entre 2 et 4 ans, ce qui limite toutefois la contamination.
Quand je dis qu’il est résistant, je parle également au sens propre. Sa carapace est extrêmement dure. Pour ouvrir les pinces de mon crabe philippin, nous avons dû forcer comme des fous avec tous les ustensiles qui nous passaient sous la main.
Le crabe noir est increvable
Il est également inépuisable. Même pêché depuis plusieurs jours, il s’agite frénétiquement et ne perd rien de sa vivacité. Un vrai dur à cuire. Je l’ai trimbalé dans un sac plastique sous un soleil de plomb, abandonné plusieurs heures, toujours dans son sac, et à mon retour, il pétait encore la forme.
Si vous comptez le tuer par le froid, il va falloir être patient. 2 heures au congélateur au minimum seront nécessaires pour endormir la bête.
Géant, robuste, le crabe noir est aussi prolifique. Les femelles peuvent donner naissance à un nombre absurde de petits crabes. Jusqu’à un million d’oeufs quand elles sont en forme. Ça c’est de la maman. Les poules pondeuses font pâle figure.
Bien qu’il résiste aux pires pollutions et qu’il fasse des bébés à ne plus savoir qu’en faire, le crabe des mangroves n’a pas un rendement démentiel en élevage. Et c’est là sa dernière particularité : tous les petits sont loin d’arriver à maturité car ils ont une fâcheuse tendance au cannibalisme.
Le crabe qui mange du crabe
A peu près tous les crabes sont des opportunistes: charognards des fonds marins, ils mangent ce qui leur tombe sous la pince. Ils sont complètement omnivores. Donnez-leur des bouts de légumes, de poisson, de viande, pourrie ou non, ils prennent. Et régulièrement, ils muent. Comme pour les autres arthropodes, on appelle la mue des crabes l’exuviation. Une géniale vidéo de king crab en mue est visible ici.
Pendant une courte période, ils sont à nu, le temps de se refaire une carapace plus grande. Durant ce laps de temps, il faut être prudent. C’est la folie des attaques de crabes qui s’entretuent joyeusement, pouvant facilement déchirer la chair nue de leur congénère vulnérable.
Bon, toutes ces horreurs étant dites, est-ce qu’il est bon, ce crabe de boue ? Je réponds oui, mille fois oui. Sa chair est ferme, très douce, presque sucrée, nettement moins iodée et salée que nos tourteaux. Forcément, ce crabe vivant dans les mangroves et estuaires, il filtre de grandes quantités d’eau douce.
Même si mon spécimen d’1,6 kg n’est pas un géant pour l’espèce, j’ai bien eu droit aux steaks de pinces dont je rêvais. Non seulement il est immense, mais il est également très charnu. A deux, en ne mangeant que cela pour tout dîner, nous avons eu du mal à en venir à bout. Et pourtant, difficile de m’arrêter quand il y a un crabe sur la table.
Bref, si vous aimez le crabe et que vous tombez sur l’un de ces gros pépères, ne vous en privez pas. Dans la plupart des pays, il est assez cher, mais aux Philippines, j’en ai eu pour à peu près 8 euros. Pour un tel festin, c’est donné.