Aujourd’hui, c’est la fête à Taïwan, ainsi que dans tous les pays qui ont adopté une tradition venue de Chine : Duānwǔ Jié / 端午節, la fête des Bateaux-dragons. En Malaisie, au Vietnam, à Singapour, au Japon et en Corée, le cinquième jour du cinquième mois lunaire, on célèbre l’entrée dans la saison des pluies, des chaleurs estivales et puis, cela va avec, des épidémies. Youpi.
Au programe des rejouissances, il y a du vin soufré, des courses de bateaux, du riz cuit dans des feuilles de bambou, mais surtout un jeu auquel se prêtent les enfants, sur lequel je vais m’attarder : faire tenir des oeufs debout à midi.
Vous connaissez sûrement l’histoire de l’oeuf de Colomb, qui avait été défié par un malotru assis à sa table à la Cour d’Espagne de faire tenir un oeuf debout. L’oeuf était dur, le navigateur avait donc pu en aplatir l’extrémité avec sa cuiller, lui offrant toute la stabilité nécessaire à son érection, avec la formule : « C’est simple, il suffisait d’y penser. »
Pour la fête des Bateaux-dragons, mes colocataires taïwanais m’ont expliqué que la tradition voulait, à midi, que l’on puisse faire tenir des oeufs debout, mais des oeufs crus, et sans tricher. Pas question d’aplatir quoi que ce soit, l’oeuf tient tout seul comme un grand. Alors moi évidemment, j’étais sceptique. Je n’avais qu’une hâte : tenter l’expérimentation pour vérifier cette légende bien étrange.
Faire tenir un oeuf debout ? Fastoche
A midi donc, me voilà en position. J’arrive à faire tenir mon premier oeuf sur la table en verre du salon en dix secondes, pas plus, et il tient, il tient bien. Je vous laisse juger, en voici la preuve, je n’ai utilisé aucun artifice.
Je dois avouer que je trouve ça complèment fou, alors j’essaie avec d’autres. J’en pose trois sur le carrelage, et eux aussi restent droits. Ca fait limite magie noire. Ils sont en photo en tête d’article, les voici sous un autre angle. Mes colocs Munkhmandakh, Padraic et Joanna n’ont jamais réussi, ils ont perdu patience. J’étais la seule fêlée à m’agiter autour de mes oeufs en poussant des cris au milieu du salon.
Bon, cela dit, je suis restée sceptique jusqu’au bout, et je me suis dit que cela devait en réalité être possible toute l’année, je n’avais simplement jamais eu l’idée d’essayer. Il doit bien y avoir un point d’équilibre, qui, une fois atteint, permet à l’oeuf de tenir sans la moindre béquille sur une surface lisse. Alors je me suis renseignée. Et je suis tombée sur une explication scientifique extrêmement poussée réalisée par le physicien David W. Allan.
La nouvelle théorie de la gravitation pour explication
Attention les yeux, il explique que c’est effectivement possible toute l’année, il suffit de bien positionner son oeuf. Les aspérités de la coquille aident, mais ce ne serait pas tout. Les équinoxes seraient le moment le plus propice pour réussir l’opération, selon la nouvelle théorie de la gravitation. En effet, à ce moment l’axe de la Terre a exactement l’angle adequat, permettant aux lignes gravitationnelles de la Terre et du Soleil de gagner en symétrie. Les électrons libres contenus dans un oeuf peuvent alors voyager le long de ces lignes, ce qui améliorera sa stabilité.
Vous n’avez rien compris ? On va dire que j’explique mal. Le Professeur Allan, qui est juste allumé comme il faut et visiblement fort sympathique, a des tartines de théorie et d’expérientations pour vous sur cette page avec des graphiques, des photos de sa cuisine et de son piano, c’est complètement génial. Bon, du coup je ne sais pas si le solstice marche plus ou moins que les équinoxes, en tous cas, ça marche.
Un dragon endormi, des sacrifices humains, bref, un rituel à l’ancienne
Une fois l’euphorie de l’oeuf debout passée, regardons un peu cette fête des Bateaux-dragons, elle a un bien chouette nom, mais qui sont ces bateaux, et ces dragons ? Les bateaux, ce sont des types de pirogues à proue en forme de tête de dragon, avec à leur bord une équipe de 22 hommes : 20 pagayeurs, 1 barreur, 1 batteur qui tape sur son tambour pour donner le rythme.
Les équipages vont s’affronter toute la journée dans une multitude de courses sur la mer ou sur un fleuve, tout dépend de l’endroit.
Le dragon n’est pas arrivé sur le bateau par hasard. Le ritel du Bateau-dragon (inscrit au patrimoine mondial de l’Humanité soit dit en passant) remonte à la même époque que les premiers jeux olympiques. On disait alors que l’été était la saison du vénéré dragon, qui sortait de sa torpeur hivernale.
Pour fêter son réveil, on organisait ces courses dangereuses. Chaque année, pas mal de participants mouraient noyés, ce qui était considéré comme une bonne chose : faire des sacrifices pour le dragon, c’est toujours bien vu.
Le vin soufré, le remède qui rend malade
Aujourd’hui, les courses ont toujours lieu de la même manière, sauf qu’il y a moins de morts. Pendant qu’on regarde les bateaux aller et venir, on mange et on boit.
Traditionnellement, la boisson de rigueur, c’est le vin soufré, xióng huáng jiǔ / 雄黃酒, censé protéger des maladies qui courent l’été (pas la maladie d’amour, plutôt les épidémies bien sales). Avec le temps, on s’est rendu compte que non seulement il ne protégeait de rien, mais qu’en plus il était carrément dangereux pour la santé. Du coup, on en boit nettement moins de nos jours. Nous utilisons nous aussi des sulfites dans le vin, mais à faible dose ; en Chine les quantités considérables rendent ce vin toxique.
Et puis la star de la fête des Bateaux-dragons, c’est le riz gluant cuit dans une feuille de bambou, appelé zongzi / 粽子 – à Taïwan c’est un peu différent, c’est 臺灣粽. Le rapport avec les bateaux n’étant pas évident, voici la petite histoire : Qu Yan, un poète super patriote, s’est jeté dans le fleuve Miluo en 278 avant J.C. à la prise de Yingdu, la capitale du Royaume de Chu dont il était originaire, par les voisins Qin. Il était triste. La légende veut que les habitants de la ville aient jeté des petits paquets de riz dans les eaux pour nourrir les poissons, de manière à ce qu’ils ne touchent pas au corps du poète le temps qu’on le repêche.
Du riz-surprise cuit dans les feuilles de bambou
Cette histoire a été incluse dans la tradition des Bateaux-dragons : un fleuve, de la poésie, des jeux, du manger, hop, on a une fête qui se tient et qui est devenue un rituel complet. Dans le riz, on a rapidement ajouté plein de petites choses amusantes, comme des graines de lotus, du poulet, des cacahuètes, des oeufs de canard salés et j’en passe. Le tout est cuit à la vapeur ou bouilli. On obtient ainsi des petits paquets parfaits, ficelés pour les tenir en forme.
Quand on ouvre la feuille, le riz est agglutiné en pyramide, criblé d’ingrédients à découvrir à mesure qu’on le décortique ou qu’on le croque. J’ai pu en manger également au Japon, d’ailleurs si vous avez l’oeil vif vous remarquerez que ma photo a été prise là-bas, on le voit à l’étiquette qui porte une inscription en Japonais et non en Chinois. En fait c’est un mets très répandu en Asie de l’Est, à peu près tous les pays de la région en préparent au même moment de l’année.
Voilà, vous savez tout. Je compte sur vous pour vous ruer sur vos oeufs et vous lancer dans une activité passionnante ce week-end : tenter de les faire tenir debout, mieux que Christophe Colomb, sans triche. Le premier qui y arrive a gagné.
« Aujourd’hui », c’est quand? je ne vois pas la date? Merci pour les articles très intéressants.
C’est vrai, les dates ne s’affichent plus, du coup ça prête à confusion. Aujourd’hui, en l’occurrence, c’était le 23 juin 2012. En 2013, ce sera le 12 juin.
bonjour camille , et en 2018 ?
Bonjour Anto,
Ce sera le 18 juin !