Lato, l’étrange salade de la mer
Le lato, ou caulerpa lentillifera, c’est cette étrange algue verte qui ressemble à de minuscules grappes de raisin. Aux Philippines comme au Japon, où on l’appelle umi-budo, elle est très populaire. Je suis allée à Coron, à l’ouest des Philippines, rencontrer les Tagbanua, une tribu qui vit du lato. Suivez-moi, c’est parti.
Si vous arpentez les marchés de Palawan, vous tomberez certainement sur cette algue aussi bizarre qu’énigmatique. Le lato, c’est rigolo à voir, mais ça peut laisser perplexe. Il n’est déjà pas évident de se douter que c’est très bon, mais il l’est encore moins de savoir comment le préparer et l’accommoder. Mais commençons par le commencement, et retraçons le chemin du lato de la mer au marché.
Le lato ne pousse pas sur les rivages mais en pleine mer, relativement près des mangroves. Ce genre de site est assez courant à Palawan, et la température de l’eau y est idéale pour la croissance de cette algue puisqu’elle descend rarement en-dessous de 29 degrés. Enfin, 29 degrés en surface, parce que le lato, lui, pousse au fond. On le trouve entre 3 et 5 mètres de profondeur. 3 ou 5 mètres, c’est selon la marée. Car le lato ne pousse qu’en zone intertidale – la zone de balancement des marées.
Bon alors, pour récolter cette algue des fonds marins, on fait comment ? Eh bien on fait de l’apnée, pardi. Je suis allée tenter l’expérience avec les Tagbanua, les premiers habitants de Palawan – et certainement des Philippines, selon les anthropologues. Ces hommes et femmes embarquent sur de frêles bangka, les bateaux philippins traditionnels, ou pirogues à balancier si vous préférez, et rejoignent le site. Ces bangka-là ne sont pas équipées de moteur, on se rend au champ de lato à la pagaie.
L’invisible champ sous-marin
Le champ de lato, franchement, il est difficile de savoir qu’il est là. Tout ce que l’on voit de la surface, c’est la mer, avec la mangrove de chaque côté. Les femmes restent sur les bateaux, et les hommes plongent en apnée et remontent des brassées de lato qu’ils déposent dans des filets tendus de chaque côté de la bangka.
Les voyant faire, je saute à l’eau, me disant que je vais les suivre et faire un splendide cliché du champ sous-marin. Le seul problème, c’est qu’un champ de lato, ça se décompose sous l’eau en permanence. Plus le lato est vieux, plus il devient gluant, on peut tenter l’expérience en en achetant et en le gardant dans un sac plastique. Dans le champ, c’est pareil. Je nage en réalité dans une eau ignoblement épaisse et verte, chargée de particules de lato en décomposition. C’est absolument dégueulasse.
J’ai beau avoir un appareil photo amphibie, impossible de prendre la moindre photographie. Non seulement la lumière du soleil ne parvient pas à filtrer dans l’eau épaisse et obstruée par la bave du lato, mais en plus je n’y vois strictement rien à part du vert, du vert et encore du vert. Ton sur ton, le lato est invisible.
Une récolte à l’aveugle
A l’aveugle, je parviens à sentir les algues par 5 mètres de fond, mais c’est un peu angoissant de ne rien y voir. J’ai l’impression qu’une main va en sortir et m’attirer au fond. Ou une créature horrible. Bref, je ne m’attarde pas, mais je comprends alors que les Tagbanua arrachent le lato sans rien y voir. Difficile de ne pas repasser deux fois au même endroit. En même temps, il est si abondant que cela ne serait pas vraiment un problème.
Quand je sors de l’eau, je suis recouverte d’un gel gluant des pieds à la pointe des cheveux. Nous remontons l’ancre qui est, évidemment, couverte d’algues, et faisons donc une petite salade improvisée sur le bateau. Puis nous suivons les Tagbanua, qui, une fois leur lourde tâche accomplie, vont débarquer leur cargaison au marché de Coron Town.
A la main, patiemment, délicatement, les hommes chargent des paniers tressés de 60 kilos de lato chacun. Les algues sont ensuite recouvertes de feuilles de bananier, pour en préserver l’humidité et les protéger de la lumière. En effet, elles se dessèchent extrêmement vite.
J’ai fait l’essai avec un petit bout d’algue oublié sur le pont du bateau. En 5 minutes, il avait littéralement fondu, il en restait un microscopique résidu. Contrairement aux algues japonaises et bretonnes comme le kombu, pas question de les faire sécher. D’après les locaux, le lato n’aime pas non plus être plongé dans l’eau douce. Il y fond.
Les grands paniers seront ensuite chargés dans des cargos et partiront pour Manille où ils prendront une valeur folle. Le marchand achète le kilo de lato aux Tagbanua pour 8 pesos. A Puerto Princesa, la capitale de la province de Palawan, les prix grimpent déjà facilement jusqu’à 100 pesos le kilo. A Manille, c’est évidemment encore plus cher.
Trier le lato, un travail de fourmi
Une partie du lato débarqué sera vendu localement sur le marché. Les hommes le récoltent, et le travail des femmes, c’est de le trier et de le nettoyer à la main. Les femmes Tagbanua s’affairent donc autour des paniers et des sachets qui seront vendus à Coron Town, débarrassant du bout des doigts l’algue des morceaux trop gluants ou déjà en état de décomposition. C’est long, laborieux et cracra. Mais comme le lato n’aime pas l’eau douce, pas question de le rincer.
Elles préparent ensuite de petits sacs d’1 kilo qui seront vendus 10 pesos, soit environ 15 centimes d’euros. J’en achète un, ce qui les fait rire de toutes leurs dents rouges à force de mâcher du bétel. Un petit oignon rouge, deux mini-tomates, du vinaigre de canne et un peu de sel, et je me mets en route pour préparer une jolie salade traditionnelle.
C’est très simple à faire. Il suffit de détacher les branches de l’algue et de les déposer dans une assiette. On y ajoute l’oignon cru et les tomates, tous coupés très fin, on arrose de vinaigre et on sale, et hop, c’est prêt. C’est croquant, rafraîchissant, iodé.
Le vinaigre maintient le lato en forme, le sel au contraire a tendance à l’attaquer. Il faut donc mieux manger sans tarder. Alors vous m’excuserez, je file, ma salade m’attend.
Ça n’a pas l’air mauvais vu comme ça, mais l’idée de plonger dans un bain de gelée… Moyen moyen !
C’est délicieux, ce sont de petites perles légèrement croquantes remplis de mer.
A Sumbawa, en Indonesie, j’en ai recolte une poignee a marée très basse, loin de la plage. Les locaux m’ont prépare une salade avec : noix de coco rapee, oignons rouges, piment, arrose de citron vert.
Je les prefere quand meme nature ^^