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C’est la fête au cimetière
Qui a dit que Toussaint était une fête glauque ? Certainement pas les Philippins. A travers tout le pays, les cimetières sont pleins aujourd’hui. Pleins de rires, de musique, de bonnes choses à manger, de jeux, bref, pleins de gens bien vivants. Suivez-moi au cimetière de Pasig City pour Araw ng mga Patay (ou Undas, pour faire plus simple), une fête des morts super fun.
Du temps des Celtes, la Toussaint, c’était Samain. A cette époque, on savait encore rigoler en Gaule. On buvait, on festoyait. On ne célébrait pas exactement les morts, mais plutôt le début de la saison sombre. Et puis en 610, la fête a été récupérée par les catholiques, qui en ont fait le jour des martyrs. Du coup, c’était tout de suite moins drôle.
Aujourd’hui, Toussaint en France, ce sont les chrysanthèmes, les veufs et les orphelins, les cimetières sombres et pluvieux, bref, on a vu plus gai. On a vu les Philippines. Ici, c’est la fiesta. Tous les Philippins prennent d’assaut les cimetières dès l’aurore. Les embouteillages prennent des proportions affolantes. C’est un peu comme s’il y avait plusieurs concerts des Rolling Stones au même moment, dans plusieurs stades situés en ville.
Respecter les morts, c’est s’amuser… et manger
Des enfants qui dansent, des familles qui piquent-niquent, des vendeurs de street food, et même un stand de Pizza Hut… Oui oui, vous êtes bien dans un cimetière. Tout le monde est venu honorer les morts, mais pas de rituels sinistres ici. Le karaoké est le bienvenu. On s’installe près des tombes, ou carrément dessus, on sort les chips, les bougies, les fleurs et les nouilles, on fume, on joue aux cartes.
La journée sera longue. Certains resteront au cimetière jusqu’à minuit, histoire de profiter de l’intégralité de la journée. Ils ne vont pas jeûner. Les vendeurs de street food l’ont bien compris. Et pourquoi s’arrêter devant le cimetière ? Il est immense. Autant installer des stands directement dans son enceinte. Au milieu des sépultures foisonnent les cacahuètes, les oeufs de caille et autres kwek-kweks.
Les emplacements sont négociés avec la municipalité qui les loue. Des stands, et parfois même de vraies petites boutiques se montent donc pour cette journée exceptionnelle. Des vendeurs de barbe à papa aux grandes compagnies de fast food (principalement les pizzas, pour une raison obscure), tout le monde en profite.
Il y a ce que les vivants mangeront tout au long de la journée, car une fiesta sans festin, c’est impossible. Et puis il y a ce que l’on offre aux morts. Les Philippins d’origine chinoise pratiquent les offrandes, déposant des fruits et autres sur les tombes. Les Ilocanos, au sud du pays, ont à peu près la même tradition.
Et puis il y a des variantes philippines plus free-style. Par exemple, Mémé Maria aimait les clopes ? Alors on déposera une cigarette allumée sur un cendrier pour elle. A ta santé Mémé.
Un labyrinthe de sépultures
L’urbanisme à Manille laisse à désirer. Les cimetières sont un peu un modèle réduit de la ville. Avec des quartiers riches et propres, des coins où l’on s’entasse, des recoins utilisés contre toute attente, des squats… On passe des mausolées en marbre au rubix cube de caveaux, des noms gravés en lettres d’or à ceux faits à la main.
Etrangement, les Philippins, qui sont pourtant religieux à outrance, n’abusent pas des symboles catholiques dans l’enceinte du cimetière. Les ballons sont en forme de Batman, pas de Jésus. Quelques croix par-ci par-là, mais très peu d’icônes. En comparaison aux églises locales, c’est étonnamment dépouillé. Dépouillé, mais pas austère. Il y a de la couleur, des décorations entretenues avec soin.
Le 1er novembre c’est l’occasion de refaire une beauté aux tombes. Fleurs fraîches ou en plastique, offrandes, et puis on embauche des peintres venus pour redonner des couleurs au petit coin de béton familial. Hop, du vert pomme, du rose, et puis des lettres fraîchement redorées, jusqu’à l’année prochaine. Certains viennent donc au cimetière plusieurs jours à l’avance, de manière à ce que tout soit parfait le jour J.
La mairie joue un rôle très actif dans ces préparatifs. A l’approche de la date fatidique, elle doit en effet chasser tous les squatteurs qui vivent dans les allées ou à l’intérieur des tombes vides. Elle doit également anticiper les problèmes de circulation et contenir, autant que possible, la formation d’embouteillage monstrueux.
La Toussaint, c’est plus ce que c’était
Certains vous diront que la fête des morts a bien changé. Autrefois, on buvait de l’alcool au cimetière. C’est interdit depuis qu’un type sévèrement éméché à tué un couple pour une place de parking devant l’immense cimetière de Marikina, à Manille, il y a quelques années. Un million de personnes l’ont visité cette année, vous imaginez le trafic et la bagarre pour se garer.
Mais surtout, le 1er novembre était un rassemblement en grande partie aléatoire. A l’époque, comment se retrouver dans cette foule ? On pouvait se croiser sans se voir, partir avant que les cousins n’arrivent. Aujourd’hui, avec les téléphones portables, on sait exactement qui est où. La magie de la surprise s’est quelque peu dissipée.
La Toussaint reste toutefois un évènement social par excellence, où la famille au grand complet se réunit, ce qui est rare. Il y a les êtres chers que l’on retrouve, et puis il y a des inconnus, que l’on apprend à découvrir d’année en année : les voisins de cimetière. Qui est le type enterré à côté ? Vous ne le saurez jamais vraiment. Par contre, vous passerez, un peu malgré vous, tous vos 1ers novembre en compagnie de leur entourage. C’est une autre forme de voisinage, plus ponctuelle, mais également plus visible. Ces gens-là, vous ne pouvez pas les éviter comme vos voisins de palier. Vous les voyez, les entendez, partagez votre espace avec eux, sans cloisons, année après année.
Enfin, il y a les débordements. Aujourd’hui, 62 personnes ont été arrêtées, dont 8 hommes qui dansaient nus sur une tombe à North Cemetery, à Manille. Sur les 62, 48 étaient sous l’emprise de l’alcool, et 6 se droguaient.
Si la fête des morts a changé, a été quelque peu « pervertie » ces derniers temps, je dois avouer avoir passé un très bon moment dans une ambiance chaleureuse et gaie. Je me suis régalée de cacahuètes à la vapeur et de glace au fromage en me baladant de sépulture en sépulture, sous les sourires bienveillants des familles. Avec un 1er novembre aussi chouette, j’ai hâte de voir ce que peut donner Noël…
Un nouveau bravo de la part de votre fan…je mettrai ceci dans ma newsletter. Vous devriez envoyer un exemplaire de votre papier à F.Hollande car il a tendance, lui sa copine et tous ses copains à porter des têtes d’enterrement.
C’est également le cas, dans une moindre mesure, aux Antilles. En Guadeloupe, notamment au cimetière de Morne à l’Eau, on prépare les tombes pour cette journee, on y festoie en famille le jour J (et toujours au rhum, aux dernieres nouvelles).