On m’avait promis des cerisiers en fleurs au Japon. C’est le printemps, techniquement. Mais dans les faits, il fait un froid de gueux, la neige tombe certains matins et les arbres sont tout ce qu’il y a de plus nu. Hanami, la fête des fleurs de cerisiers, sera visiblement reportée de plusieurs semaines.
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de sakura (fleur de cerisier en japonais) sur les branches qu’il n’y en a pas dans les assiettes. Au Japon, la cuisine est empreinte d’une grande saisonnalité. Cela se voit dans les produits utilisés, mais aussi dans la manière dont les plats sont décorés, rappelant tel ou tel paysage ou élément naturel.
Au printemps, même s’il fait froid et que les arbres font grise mine, c’est la saison des sakura, c’est ainsi. A défaut d’en avoir des vraies, il y a en donc à manger. Dans les assiettes fleurit le sakura denbu (en japonais 桜田麩), une étrange préparation rose et sucrée à base de poisson, qui rappelle les fleurs de cerisier.
Du poisson à la couleur et la texture de barbe à papa
C’est salé, c’est sucré, c’est doux, c’est floconneux, cotonneux, et aussi surprenant qu’agréable à manger. Le sakura denbu est un condiment qui relève le riz ou tout autre préparation, et qui décore à merveille vos plats en leur apportant une touche de couleur rose et une texture irréelle de barbe à baba. Moi je l’ai mis sur une salade, ça n’a rien de traditionnel mais franchement ce n’est pas mon problème.
Ca ressemble à de la barbe à papa, pourtant, c’est bien de poisson qu’il s’agit. Du poisson blanc, avec un léger assaisonnement de sake, mirin et sucre, et puis du colorant. On trouve le sakura denbu très facilement au Japon, mais on peut aussi le faire soi-même, une excellente recette en anglais est proposée ici. C’est assez long et laborieux mais le résultat vaut le détour.
Si la cuisine française ne présente à ma connaissance aucun équivalent ni aucune préparation proche du sakura denbu, en terme de saveur (le poisson sucré n’a pas la cote chez nous) ou de texture (ces tendres flocons me paraissent tout à fait inédits), qu’en est-il de la cuisine asiatique ? Hé bien ici, il existe une multitude de variantes.
L’homologue du sakura denbu : les flocons de porc chinois
La toute première préparation du genre viendrait apparemment de Chine, de la province du Fujian, en face de Taiwan. On l’appelle rousong, en chinois 肉鬆. Les anglo-saxons vous diront que c’est de la laine de porc, ou de la mousse de porc. Il s’agit de viande séchée et réduite en flocons (pas totalement secs, encore un peu humides et tendres) que l’on utilisera pour saupoudrer le riz, le tofu ou le lait de soja par exemple.
La pratique est ancestrale et permet de rentabiliser des « chutes » de porc, des petits bouts inutilisables par ailleurs, ou difficiles à conserver. C’est aujourd’hui encore un best-seller.
Dans les régions musulmanes, où le porc est proscrit par définition, on a tout de même le goût des flocons sucrés-salés. N’ayant pas de porc à conserver, on a appliqué le même mode de préparation à la denrée principale : le poisson. Difficile de savoir si la recette a été héritée des Chinois ou si elle s’est développée en parallèle; en tous cas, en Malaisie et en Indonésie, on fait du serunding ikan, des flocons de poisson épicés, qui ressemblent à s’y méprendre au rousong.
Les cultures malaise et indonésiennes ayant un goût particulier pour les épices, contrairement aux habitants du Fujian qui sont résolument opposés à leur utilisation, préférant conserver le goût de chaque ingrédient, le serunding ikan sera beaucoup plus relevé que le rousong. On y met du gingembre, du tamarin, de l’ail, et d’autres épices locaux, ainsi que du lait de coco pour vous assurer que vous êtes bien sous les tropiques. La recette est ici, en anglais aussi.
J’ai pu découvrir le serunding ikan à General Santos, au sud des Philippines. Là-bas, on l’appelle mahu et on en saupoudre le riz. General Santos étant située en territoire musulman, le mahu sera à base de poisson, mais plus au nord de l’archipel, chez les catholiques, le mahu sera semblable au rousong, à base de porc.
Le furikake en plus glamour
Retour au Japon. Ici aussi, il est probable que la recette ait été héritée des Chinois, mais pas sûr. Il faut dire que les Japonais ont la coutume de racler les carcasses de poisson depuis des siècles, de faire sécher les miettes de chair et d’en saupoudrer le riz pour faire ce que l’on appelle le furikake. Le sakura denbu, ce n’est finalement qu’une version glamour du furikake, plus chic, plus chère et plus récente.
Les industriels japonais sont des malades du merchandising, et récupèrent systématiquement la traditionnelle saisonnalité japonaise à des fins commerciales. Ils ont bien compris qu’il y avait quelque chose à faire avec le sakura denbu et c’est donc devenu la coqueluche du printemps.
Alors c’est joli, c’est très bon, mais si je dois être totalement honnête, les fleurs de cerisier, je préfèrerais les voir aux arbres, parce que le froid, ça commence à bien faire. A bientôt pour de nouvelles aventures nippones.
Hello Camille, parfois je recherche des informations à une heure avancée de la nuit sur un hypothétique plat dont j’ai entendu un écho dans un restaurant Japonais, Sushi Marché, pour ne pas le nommer, et je trouve non seulement l’information, mais en plus de précieuses informations.
En un mot, un seul, merci !
Tu as dû bien fouiller, il était planqué ce billet-là, au fin fond des entrailles du blog !
Bonsoir je voulais savoir si vous saviez où en trouver en France. J’en a besoin pour une recette et n’en trouve pas. Bien à vous, Loïc.
Bonsoir Loïc,
On en trouve dans les épiceries japonaises.
Bien à vous