Le marché de Tsukiji, mythes et réalité
Tsukiji, c’est le plus grand marché de gros de la ville de Tokyo. Et surtout le plus connu, en raison de sa célèbre criée aux thons où chaque matin, des transactions financières mirobolantes ont lieu. Mais ce n’est pas qu’un marché aux thons. On y trouve de tout : des fruits et des légumes en gros et en détail, des couteaux et de la vaisselle, des tee-shirts moches pour touristes américains encore cuits après leur nuit en boîte. Venez, allons visiter, nous ferons tomber quelques mythes au passage.
On l’appelle communément Tsukiji shijō en japonais, (築地市場), mais son nom complet, c’est le marché de gros central de la métropole de Tokyo, en japonais 東京都中央卸売市場 ou Tōkyō-to Chūō Oroshiuri Shijō. Il est gigantesque. Rien que la partie intérieure (jonai ichiba) – qui n’est que la partie émergée de l’iceberg – fait 230 000 mètres carrés. C’est tout simplement le plus grand marché de gros du monde pour les fruits de mer.
Mythe n°1: Tsukiji est un marché aux thons
Incontestablement, la star du marché est le thon, mais c’est loin d’être le seul poisson en vente. Dans les halles, on trouve également toutes sortes de fruits de mer, comme des moules géantes, des oursins, des crabes etc. De l’autre côté, une immense partie est réservée aux fruits et légumes en gros.
Et puis ensuite, tout autour, il y a le marché extérieur (jogai ichiba), des centaines de magasins vendant des produits au détail, des cure-dents aux tee-shirts souvenirs en passant par les crackers et les poissons frais.
Il y a également de nombreux restaurants et stands de street food. Bref, Tsukiji, c’est comme une ville dans la ville, avec un monde fou qui grouille dans les ruelles et les allées.
Pour ce qui est du thon, il y a plusieurs ventes à distinguer. On a d’abord la vente aux enchères, où ces grands poissons sont vendus entiers. Le show commence juste avant l’aube, à 5h29 précisément. C’est à ce moment-là qu’ouvrent les portes des enchères uniquement pour le public, le reste du marché ne sera ouvert qu’à 9h.
Les touristes peuvent assister en enchères, mais pour cela il faut se présenter à l’entrée et seuls deux groupes de 70 personnes chacun auront droit à une visite. Le premier groupe peut rester une demi-heure puis doit dégager et laisser la place au deuxième.
Les thons qui y sont vendus passent ensuite de mains en mains dans le reste des halles où l’on pourra acheter un morceau précis.
Mythe n°2: Le thon vendu à Tsukiji est pêché le jour même
La plupart du thon arrive à Tsukiji congelé. Il est impossible de vendre du thon du jour pour plusieurs raisons. D’abord, un thon, ça ne se pêche pas au bord de l’eau. Il faut aller très loin en mer. Et puis il faut que cela soit rentable, on ne rentre pas au port après la première prise. Les campagnes de pêche durent des jours, voire des semaines. Par conséquent, le thon est le plus souvent congelé pour qu’on puisse le conserver jusqu’au retour sur la terre ferme.
Il sera ensuite vendu entier aux enchères de Tsukiji, puis découpé sur place par d’autres marchands qui vendent de grosses pièces, principalement aux restaurants. Lorsque le poisson est encore congelé, il doit être coupé mécaniquement.
Quand les grands poissons sont décongelés ou frais, leur chair est tendre. Les poissonniers utilisent alors de très longs couteaux, les maguro bōchō, en japonais 鮪包丁 / まぐろぼうちょう. D’un seul coup de lame, le thon est fileté. Il faut deux hommes pour tenir le poisson et manipuler le couteau. Afin de laisser le moins de chair possibe autour de l’arête centrale, la lame du hōchō est souple.
Je sais, c’est bizarre, on dit bōchō quand il y a maguro devant et hōchō quand le mot est seul. C’est simplement parce que c’est moche de répéter le son « o ». La langue japonaise est faite ainsi, on case des consonnes pour éviter les doubles voyelles. Pardon pour la digression.
Les différents morceaux de thon sont disposés dans des vitrines. Il y a toutes les nuances de rose et de rouge. C’est là que l’on s’aperçoit que le Japon a une magnifique tradition poissonnière qui rappelle notre savoir-faire dans le domaine de la boucherie.
Mythe n°3: Les touristes n’ont pas le droit d’assister aux enchères aux thons
N’importe qui peut venir voir la vente aux enchères gratuitement. Il n’y a pas si longtemps, les spectateurs avaient été bannis. En fait ils sont sans cesse bannis, généralement durant un mois, puis ont le droit de revenir quelques mois, sont interdits à nouveau, etc. Les interdictions sont récurrentes mais ne durent jamais. Quant à la limitation du nombre de visiteurs, elle est toute récente.
Alors pourquoi avoir interdit les visiteurs étrangers ? Parce que les enchères commencent très tôt, avant le premier métro. Du coup, les personnes qui se pointent à Tsukiji au petit matin ont généralement passé la nuit dehors, le plus souvent en boîte ou en club. Tous les jours, les marchands de poisson devaient subir des hordes d’Américains et autres amateurs de bière complètement bourrés qui ne savaient pas se tenir, touchaient à tout, prenaient des photos dans des poses irrévérentieuses, beuglaient, bref, des plaies. De temps à autre, on les punit, mais ils finissent toujours par avoir le droit de revenir.
Mythe n°4: Se balader à Tsukiji est un moment de détente
Les clubbers bourrés n’ont pas franchement joué en la faveur du gaijin en visite. Il en résulte aujourd’hui une certaine agressivité des commerçants face au touriste, même lorsqu’il n’est pas saoûl ou détestable. On ne vous sourira probablement pas, on vous foncera dedans assez régulièrement, le sol est glissant, mouillé, bref c’est assez sportif. Ne vous attendez pas à un moment tranquille et sympathique. Vous allez beaucoup marcher, en évitant des obstacles et des véhicules.
Mythe n°5: Tsukiji est un marché bien rangé
Tsukiji, disons-le franchement, c’est le boxon total, dehors comme dedans. Il y a des cageots et du polystyrène partout, des types complètement agités qui se prennent pour Alain Prost aux mannettes de leur charriot motorisé, des couteaux géants qui traînent, bref, le mythe du Japon polissé et bien rangé en prend un coup.
Mythe n°6: Tsukiji ne dort jamais
N’allez pas croire que vous pouvez vous rendre au marché quand bon vous semble. Il ferme souvent ses portes : tous les dimanches, deux mardis par mois, ainsi que tous les jours fériés, vous n’aurez aucune chance de voir quoi que ce soit.
Mythe n°7: Les touristes ne peuvent pas faire leurs courses à Tsukiji
Pourquoi pas ? Ce n’est forcément très pratique quand on est à l’hôtel, mais rien ne vous empêche d’acheter un beau morceau de poisson ou des fruits, en gros si vous en voulez beaucoup, ou au détail si vous préférez les petites quantités. On n’essaiera pas de vous arnaquer, les prix sont toujours écrits.
Mythe n°8: Tsukiji, c’est pas cher
Le seul frein à l’achat, ce sont les prix. Qui sont, il faut l’avouer, un peu abusifs. Du côté du marché en gros, cela va encore. Mais du côté des détaillants, c’est purement et simplement du vol. Le simple fait qu’on soit à Tsukiji justifie des tarifs déraisonnables pour des produits que l’on peut trouver ailleurs jusqu’à 4 fois moins cher. Pour faire vos courses alimentaires, préférez le marché d’Ueno, et pour la vaisselle et les couteaux, filez à Azakusa.
Mythe n°9: La viande de baleine est hors de prix
Franchement, je m’attendais à pire. Sachant qu’en France, un kilo de beau filet de boeuf peut atteindre sans problème les 30 euros, et que la viande de baleine en est assez proche tout en nécessitant une logistique bien plus complexe, le prix n’est pas si délirant que ça : 50 euros le kilo. Certes, ce n’est pas donné, mais dans un pays où l’on trouve des mangues à 210 euros la pièce, c’est loin d’être scandaleux.
Mythe n°10: Les sushi du Tsukiji sont les meilleurs du monde
Voilà une idée reçue particulièrement crétine. Beaucoup de gens tombent dans le panneau, y compris les Japonais qui se pressent à l’entrée des restaurants. Si vous voulez des sushi renversants au Japon, allez en province, dans les bleds où les pêcheurs ramènent du poisson à peine pêché, qui n’a pas subi de conditionnement ou de transport. Le poisson de Tsukiji vient de loin, ce n’est donc pas l’idéal.
De plus, les restaurants de Tsukiji sont ouverts tous les jours, ce qui est mauvais signe quand on sait que le marché est souvent fermé. En gros, ils servent du poisson cru même lorsqu’ils ne l’achètent pas le jour-même.
Si vous voulez mon avis, plutôt que de chercher à tout avoir en même temps, mieux vaut miser sur les spécialités locales de chaque région du Japon et découvrir, petit à petit, le fascinant monde du sushi.
Les grands classiques de Tsukiji
On peut trouver beaucoup de choses à Tsukiji. Seulement pour les fruits de mer, plus de 400 types de poissons, algues, coquillages et crustacés sont en vente, mais certains produits sont en sur-représentation en raison de leur succès commercial. Il y a bien sûr le thon, la star du lieu, mais aussi beaucoup de sardines et d’oursins.
Dans un registre plus étrange, il y a des moules colossales, les fameuses Perna Veridis dont j’ai parlé dans cet article.
On peut également voir de nombreux concombres de mer. Eux aussi j’en ai parlé, dans un article sur la Chine et un autre sur les Philippines.
Immanquables également, les minuscules calmars lucioles (Watasenia scintillans) qu’on appelle ici Hotaru ika ou ホタルイカ / 蛍烏賊. Ils sont bioluminescents, d’où leur nom, et ont très appréciés en sashimi. On les mange entiers.
Vous verrez aussi pas mal de nageoires de fugu, le fameux poisson qui peut être mortel s’il est mal préparé. Elles sont vendues séchées. On peut en faire plein de préparations différentes. J’ai par exemple pu en manger à Paris chez Guilo Guilo, dans un bol de sake chaud.
Un peu plus loin, j’ai vu les restes d’une baudroie dépecée complètement flippante. Elle nous sourit non ?
Enfin, plus classique, il y a bien entendu de jolis crabes de toutes sortes, parfois immenses, venant pour la plupart du nord du pays. Mais fait surprenant, ici ils sont toujours conservés vivants dans la sciure de bois.
Et puis un autre bestseller, c’est le poulpe, bien recroquevillé, c’est un signe de fraîcheur.
Du côté des fruits et légumes, vous trouverez de tout: des produits locaux ou exotiques, plus ou moins hors de prix. Comme c’est le printemps, il y a une grande variété de tsukemono, des petits légumes en pickles que l’on fait traditionnellement à ce moment de l’année. Ils sont salés puis vinaigrés, très croquants, un peu sucrés, c’est délicieux. De l’oignon, des radis, du gingembre et j’en passe, les stands sont très colorés, c’est joli comme tout.
En bref, si vous êtes en forme de bon matin et que vous avez envie de voir ce genre de choses, Tsukiji vous plaira beaucoup. Par contre, si vous êtes un peu mou, que vous n’aimez pas vous salir ou que vous voulez faire vos courses, mieux vaut éviter ce marché. Et pour manger des super sushi, pas besoin d’aller là-bas : Tokyo regorge de bonnes adresses.
Sur ce, quittons le Japon pour un petit tour à Taïwan, mais ne vous inquiétez pas, on y reviendra bien vite.
Excellent encore une fois votre reportage – Nous avons revu notre propre visite en complétant par rapport à votre reportage. De toute façon nous ne voulons pas visiter le marché pour la criée aux Thons ! Mais nous avons quand même aimé Tsukiji
Nous ne pouvons que vous féliciter et vous encourager pour vos reportages riches et très personnelles dès fois.
Bravo
Merci camille de m’avoir remis les point sur les i avec Tsukiji, je m’etais jure d’y aller avant de mourir pour pouvoir. « Manger les poissons les plus frais du monde dans les meilleurs sushis du monde les moins chers du monde » ( ben oui c’est un marche non ?!) (de plus Mon idee n’etait pas specialement debile quand on sait que j’adore le poisson cru, le japon , la mer et les marches)
Mais maintenant que tu m’as donne cette petite douche froide salutaire tres logique et tres fournie , comme d’habitude , je me reveille heureuse d’en savoir plus sur un truc que j’avais mythifie personellement et d’un coup ben j’ai moins la pression pour aller m’empiffrer la bas !
1) Sinon est ce que ca se fait de faire des commentaires sur plein d’articles ou c ‘est plutot « deconseille? » Let me know please
2) avec un site d’un tel calibre (ben ouais ca y est , chui fan !!) pourquoi ya pas plus de commentaires , genre des millions de youpi , super j’adore ton site ..et autres?
Si tu veux bien eclairer ma lanterne , mille merci
Et bien sur tres bonne contunuation !
Hannah
Tous les commentaires sont les bienvenus, c’est toujours chouette d’avoir des avis, des questions, des compléments d’infos etc. Les commentaires ne sont possibles que depuis environ deux ou trois mois, c’est sans doute pour cela qu’il y en a peu. Merci en tous cas pour ton enthousiasme !
Oui, les thons de Méditerranée se retrouvent sur le marché de Tsukiji.
Par ailleurs, la congélation permet de tuer les parasites tels que les anisakis (provaquant l’anisakiase) contenus dans le poisson sauvage destiné à être consommé cru.
Oui ! Merci Jean-Louis pour la précision. Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, voilà une vidéo très étrange mais fort instructive http://www.youtube.com/watch?v=hIuV1rRosI4 ou celle-ci, très claire, pour ceux qui comprennent l’espagnol http://www.youtube.com/watch?v=mjGeCbTfmRM
Merci pour ce super article. Au sujet des « doubles voyelles » (le terme technique est hiatus, rencontre de deux voyelles), beaucoup de langues ne les aiment pas, y compris le français. C’est la raison pour laquelle des mots comme le, je ou ne s’élident devant un mot commençant par une voyelle, c’est aussi pour ça que les liaisons existent (on ajoute un son consonantique entre deux voyelles, comme dans les (z) enfants), etc. L’hiatus était réputé cacophonique en grec ancien et il a trimballé cette mauvaise réputation dans beaucoup de langues indo-européennes.
Merci Camille ! En japonais on modifie les sonorités dès qu’elles irritent l’oreille même si un étranger n’entendra pas le problème. En l’occurence il n’y a vraiment pas de hiatus avec le mot hocho car en japonais le h est très très fort, très prononcé, bien plus qu’en français. Mais dans ce cas on le change quand même, parce que ça reste un peu moche. Pourtant des mots avec des h au milieu de deux voyelles il y en a vraiment plein en japonais. Et même, ce sont de très gros adeptes de la diphtongue, notamment pour prononcer les mots étrangers.
Autre exemple simple, 4 îles différentes : Hiroshima, Etajima, Okunoshima et Miyakejima. Shima et jima sont le même mot (île) mais il est prononcé différemment selon le cas parce que ça sonne mieux. Il y a des milliers d’exemples de prononciations variées pour toutes sortes de mots, sans qu’il y ait nécessairement un hiatus. C’est vraiment un truc qu’on apprend au fur et à mesure, à l’usage, on finit par entendre ce qui sonne bien ou mal comme les Japonais, parfois sans pouvoir vraiment l’expliquer : http://urlz.fr/20Wz
Bonjour , ma fille doit faire un exposé sur les moules au Japon .qui leurs vend les moules ,et combien coûte les moules ,combien ils en consomment ,quel est le marché actuellement ? Elle fait un bis de commerce international pourriez-vous nous aider ? Elle doit rendre son travail lundi et je viens juste de rentrer de voyage . Elle est complètement perturbée . Elle n’a rien trouvé. Merci d’avance Mimia
Bonjour Mimia,
Je ne connais pas les chiffres, et je ne vais pas faire le travail de votre fille à sa place. Je lui conseille Google, c’est comme ça que je trouve mes informations. En une demi-journée, si elle s’y met, elle aura toutes les réponses. Vous devriez la laisser ses débrouiller, ça lui rendra service !