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Les moules vertes des Philippines
La moule est un drôle d’animal. Elle vit en bancs, dans sa coquille, et mène une vie plus ou moins immobile, à filtrer de l’eau. Elle n’a pas de tête (on dit qu’elle est acéphale), mais un pied. Si elle veut, elle peut donc se balader, très lentement, et changer de coin pour aller se fixer un peu plus loin à l’aide de son byssus, la fameuse barbe. Mais généralement, soit elle est heureuse là où elle se trouve, et elle y reste, soit elle meurt. N’oubliez pas qu’elle n’a pas de tête, ce n’est donc pas une lumière du règne animal.
Il existe une quantité impressionnante d’espèces, dont seules 17 sont comestibles. Certaines sont toutes petites, d’autres sont de véritables monstres, comme ces moules aux orles verts que j’ai trouvées au marché de Busan, en Corée du Sud. Leur coquille peut aisément dépasser 25 centimètres de longueur. Et puis il y a des moules de toutes les couleurs. Des brunes, des vertes, des bleues, des zébrées, tout dépend de l’endroit.
Aux Philippines, les moules sont vertes. En France, elles sont bleues. Enfin, noires et bleues. Ces deux pays ont une longue histoire avec ces coquillages. Des deux côtés, on les élève, les pêche, les cuisine à grande échelle. Seulement voilà, en réalité, il ne s’agit pas du tout des mêmes espèces. Et surtout, nos traditions culinaires n’ont aucune similitude. Des eaux chaudes de la mer de Chine aux marchés de Mindanao, suivons les moules jusqu’à table, version philippine.
Les goûts et les couleurs de la moule
Bon, mettons-nous d’accord sur les couleurs et les appellations. Les moules que l’on trouve en Asie du Sud Est, et plus particulièrement aux Philippines et en Thaïlande, sont appelées moules vertes des Philippines, ou Mytilus smaragdinus. En tagalog, on les nomme tahong. Leur coquille est d’un beau vert turquoise. Celles que nous connaissons en France sont appelées moules bleues par les Anglo-Saxons. En réalité, elles sont plutôt noires. L’intérieur de la coquille est bien bleu clair, par contre. Leur petit nom scientifique, c’est Mytilus edulis.
Les saveurs de ces deux espèces ne sont pas très lointaines. Elles ont beau provenir d’endroits radicalement différents, elles font la même taille, leur chair a la même texture, bref elles se ressemblent finalement beaucoup. Quand on les ouvre, le mollusque a exactement la même couleur. Les femelles matures sont oranges, les femelles immatures et les mâles sont nettement plus clairs. Tout pareil.
Les mots n’étant pas forcément suffisants, allons regarder tout ça de près. L’espèce verte des Philippines surprend au premier coup d’oeil. La couleur étonnante vient du plancton dont elles se nourrissent. Cette teinte vive est tellement belle qu’il est difficile de croire qu’il s’agit du même animal que notre moule terne, à quelques détails près. Tout d’abord, la coquille est un peu plus plate, plus fine et plus lisse que celle de nos moules communes. Ensuite, cette moule aime la chaleur. Elle prolifère naturellement dans des eaux dont la température avoisine les 29°C, donc dans tout l’ouest, le centre et le sud de l’archipel philippin. À l’extrême est, c’est l’océan Pacifique, plus froid, plus profond, grand ouvert aux vents. C’est l’endroit idéal pour les surfeurs, pas pour les moules.
Enfin, la salinité est d’une importance capitale. Si les eaux Philippines étaient aussi salées que la Méditerranée par exemple, aucune moule verte ne pourrait y survivre. Pour ceux qui ne connaissent pas les lois de la salinité, ça vaut le coup qu’on s’y intéresse deux minutes et qu’on regarde une carte. Les eaux les moins salées se situent en général à l’équateur et aux pôles. A l’équateur, des pluies tropicales viennent déverser de l’eau douce dans l’eau de mer tout au long de l’année. Aux pôles, non seulement il y a peu d’évaporation, mais il y a aussi beaucoup de pluie. Et puis, hum, il y a aussi la fonte des glaces.
La zone où la moule verte s’épanouit est bleu ciel, donc moins salée que nos mers françaises. Par conséquent, ce coquillage est plus doux que ceux que nous avons l’habitude de manger. Ce qui est plus perturbant, c’est que nous avons tendance à associer le sel et l’iode, puisque le sel de table est souvent iodé, et à cause des huîtres, dont les saveurs sont salées et iodées en même temps. Bon, alors déjà, levons le mythe, l’iode n’est pas seulement dans la mer. Les ananas en contiennent aussi, comme la farine de maïs, l’ail ou les groseilles vertes. Du côté marin, le taux de salinité et la teneur en iode ne sont pas calqués l’un sur l’autre. Un aliment peut être très salé et peu iodé, et inversement. Ainsi la moule verte est moins salée que nos moules noires, mais tout aussi iodée.
Un envahisseur comestible
La moule verte est une espèce invasive. Du genre à s’installer partout avec une telle frénésie qu’elle finit par causer de gros dégâts. En Floride notamment, elles s’est incrustée et a sérieusement attaqué de nombreuses structures immergées, colonisant les réseaux de drainage et bouchant les canalisations des complexes industriels. En plus de cela, elle sécrète de l’ammoniac, qui ronge le revêtement en cuivre de la plupart des tuyaux utilisés. Pour en remettre une couche, elle entartre joyeusement les équipements maritimes. Bref, c’est la plaie.
Elle se reproduit naturellement si bien et grandit si vite que les Philippins ne se sont mis à les élever que très récemment, en 1962. Avant cette date, ces bivalves prolifiques étaient pêchés à l’état sauvage et consommés, mais c’était la peste des ostréiculteurs locaux, qui les arrachaient comme des mauvaises herbes dans leurs zones d’aquaculture. Alors que ces hommes tentaient de collecter des naissains d’huîtres (des larves d’huîtres si vous préférez) dans la baie de Manille, dans des fonds moins limoneux que d’habitude, ils n’ont récolté que des bébés moules vertes d’une qualité exceptionnelle. Ils étaient si prometteurs que les ostréiculteurs ont commencé à envisager les choses différemment.
A force de tomber sur ces mollusques, et voyant la facilité avec laquelle ils s’imposaient naturellement, ils se sont dit qu’il était peut-être temps d’en faire quelque chose. D’autant plus qu’ils avaient bien du mal avec leurs huîtres. Ils ont donc poussé le gouvernement à tenter l’expérience de l’élevage de la moule, qui a été concluante immédiatement. Certes, cela ne rapporterait pas autant d’argent que les huîtres, beaucoup plus chères, mais la quantité pourrait compenser.
Bon, on peut se demander pourquoi ils en élèveraient si elles prolifèrent. Il y a trois raisons à cela. La première, c’est que ceux qui sont à l’origine de l’élevage de la moule sont des éleveurs, et non pas des pêcheurs. Ce n’est pas le même métier. Et ils ne comptaient pas en changer radicalement. La deuxième, c’est la possibilité de contrôler les stocks de manière plus précise. Et la troisième, c’est le déclin récent de la population de moules aux Philippines. La pollution de l’eau ne fait qu’augmenter depuis une cinquantaine d’années, ce que ces coquillages supportent très mal. Les bancs sauvages et les élevages en souffrent de plus en plus.
Aujourd’hui, le pays en produit environ 13 500 tonnes par an. En 1993, c’était 25 100 tonnes. Une sacrée baisse. Autrefois 8ème producteur mondial, l’archipel a dégringolé jusqu’à la 16ème position du classement. Mais contrairement aux grands producteurs, comme la Chine, l’Espagne ou la France qui exportent largement, les Philippins destinent surtout leur production au marché local.
En soupe au gingembre, gratinée en tapas ou en chips
Les coquillages verts sont présents et appréciés des consommateurs locaux, même s’ils n’auront jamais le prestige et la valeur des huîtres. Ils se vendent et se mangent, mais ce n’est pas non plus un produit très recherché. On trouve plusieurs manières de les accommoder. Certaines sont plus anciennes que d’autres. La soupe aux moules et au gingembre ou sabaw ng tahong est probablement la plus traditionnelle de toutes. Les coquillages sont rapidement cuits dans un bouillon clair aux oignons et au gingembre agrémenté de feuilles d’épinards.
Avec l’arrivée des colons espagnols, de nouvelles techniques alimentaires ont peu à peu été intégrées par les Philippins. L’idée de la moule gratinée leur vient d’eux. C’est devenu un classique. Les moules sont d’abord cuites dans un peu d’eau et beaucoup de gingembre (parce qu’on reste aux Philippines, quand même), puis servies ouvertes comme des huîtres, couvertes de pâte de piment rouge et d’ail sauté. En bref, on ne sent plus vraiment la moule tant c’est fort. Ou alors, la variante qui marche à tous les coups, celle au fromage, beaucoup, beaucoup de fromage fondu au grill ou dans le four. Dans les deux cas, c’est un petit plat ou une entrée, une sorte de tapas.
Et puis plus récemment, en cherchant de nouvelles idées farfelues, les Philippins ont fini par mettre au point des chips de moules. Dans un pays où on fait des chips de peau de thon, tout est possible. La compagnie Ocean Fresh Tahong Chips a une page Facebook avec des photos de ses produits, des chips de moules, d’herbes en tous genres, d’ail et d’oignons, je me doute que vous avez envie d’aller voir, alors je vous laisse filer.
Verstehen sie deutsch? – ich habe 8 Jahre in Korea gelebt und bin viel in Ostasien gereist. Deshalb fand ich Ihre Beiträge sehr interessant
Or better in English: I lived in Korea for 8 years and travelled a lot in far eastern Asia. So I was very interested in your contirbutions to this web-side.
In the Philippines I learned that they fish by grenade shells (I don´t know the right word- amunition) – so the sea will soon be empty.
Did you taste these small green lemons called « calamansi »
Iwould like to exchange our experiences of eastern Asia.
You may answer en francais, je le comprends- mais il y presque 50 ans dès lecole.
Grüße aus Braunschweig
Renate
Hi Renate,
sorry I don’t speak German, but you’re right about dynamite fishing, the other big issue is the use of cyanide. It’s been banned, but it’s hard to control…
And yes, I’m a big fan of calamansi ! I’ll write an email to you so we can exchange more experiences, see you !