Au Japon, l’enfant est roi. Si l’on n’a pas d’enfant, alors le roi, ce sera le chien. Ou le chat. Mais le chien est un cas particulier intéressant car il se développe en ce moment un engouement surréaliste autour de leur nourriture. Non, les Japonais ne se mettent pas à manger du Canigou, au contraire, ils s’éclatent à préparer des petits plats de plus en plus élaborés et raffinés à leur clébard, au nom de la santé, du bonheur et de l’amour – les trois grands thèmes récurrents d’un courant sociétal qui n’a rien d’anecdotique.
Il y a relativement peu de chiens au Japon : 13,1 millions pour près de 130 millions d’habitants, en comparaison à la France qui en compte 8 millions pour environ 65 millions d’habitants. Malgré ce chiffre peu élevé, le chien est l’animal de compagnie préféré des Japonais, devant le chat (10 millions) ou le poisson rouge, numéro 1 chez nous, qui n’arrive ici qu’en troisième position.
Il est important de dessiner un parallèle : il y a peu d’enfants dans l’archipel nippon. Depuis 2006, on en compte moins que de chiens. Cette année-là, la population canine, estimée à 13 millions, a dépassé celle des humains de moins de douze ans, estimée à 12 millions. Cela ne veut pas dire que les Japonais préfèrent les chiens aux enfants. Mais dans certains cas, ils les ont clairement remplacés.
Des chiens pour combler le manque d’enfants
Les dépenses liées aux animaux de compagnie sont effrayantes (on les estime à plus de 12 trilliards de yens annuels) et malgré la crise, elles ont pour le moment échappé à la récession. Salons de relaxation, de beauté, mariages, funérailles en grande pompe, rien n’est trop beau pour les toutous qui sont humanisés à un degré atteint dans nul autre pays. Pour expliquer cela, le raccourci démographique est facile mais il est bien réel : dans un Japon sans enfants, on se tourne vers les chiens pour combler le vide.
Ce vide, c’est plus celui du couple sans enfants que du célibataire. 21% des Japonais qui vivent seuls ont un animal de compagnie, contre 48% des foyers d’au moins deux personnes. Car voilà, la fonction première du chien a évolué. S’il servait il y a un temps à monter la garde ou chasser, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
D’après une enquête menée par une grande marque de nourriture pour chiens, seuls 28,7% des Japonais considèrent que la surveillance de la maison ou la chasse sont des raisons pour adopter un chien. Les principales motivations sont les suivantes : j’aime les chiens 69,9%, ils sont amusants 66,3%, ou adorables 65,5%, ou plus étonnant, ils facilitent la communication au sein de la famille ou du couple 42,1%.
La plupart des chiens japonais sont gâtés pourris, surprotégés, trop nourris. 25% d’entre eux sont en surpoids. A titre de comparaison, 2 à 3% de la population adulte seulement est considérée en surpoids au Japon. Chez les enfants, c’est un peu différent : ils sont 12,5 à 13% à afficher un exécdent pondéral, alors qu’ils n’étaient que 5% il y a 20 ans. A mesure qu’ils se raréfient, les bambins nippons sont eux aussi de plus en plus couvés et gavés. Une première vraie génération d’obèses se prépare.
Du côté des chiens, on reproche évidemment ce surpoids à l’industrie de la croquette et non au fait que les maîtres aient la main lourde sur la pâtée ou au manque d’activité physique des animaux qui se déplacent à bord de sacs à main, voire de poussettes.
Les livres de cuisine pour chiens, décadents et appétissants
Si la croquette c’est mal, alors il faut nourrir son chien autrement. Et quoi de mieux que de leur préparer des plats maison ? Il est loin, le temps où le clébard mangeait les restes du foyer. De plus en plus, on cuisine spécialement pour eux, parfois des mets excessivement chers. C’est en effet le seul moyen d’être sûr que leur alimentation soit parfaitement équilibrée et ne contienne pas d’additifs douteux.
Sashimi de bœuf, petits légumes mijotés, poisson de première qualité, produits laitiers et même fruits frais (quand on connaît leur prix ici, ça donne envie de hurler), tous les ingrédients sont sélectionnés avec attention, une attention que les maîtres n’ont souvent pas pour eux-mêmes. Le marché du livre de recettes pour chiens est en pleine expansion – mais étrangement pas pour les chats – fournissant toutes les clés pour concocter des repas de qualité gastronomique pour son enfant à quatre pattes.
Il suffit de taper « nourriture pour chien » en katakana (ce qui donne ドッグフード) sur amazon.co.jp pour tomber sur des pages et des pages de livres dédiés à la cuisine pour chiens. J’en ai feuilleté plusieurs aujourd’hui dans une librairie de Tokyo, j’étais ébahie, à la fois troublée par cette évidente décadence d’une société démographiquement perdue, et éblouie par ces plats terriblement appétissants que j’avais très envie de manger.
Il y avait des menus assez convenus, comme une superbe côte d’agneau aux petits légumes et pois variés, et d’autres, beaucoup plus perturbants, comme des temari sushi, des gelées aux fruits et autres gâteaux à étages.
Amour, santé, beauté, bonheur
Ce qui compte avant tout, c’est que votre chien soit heureux, ce qui dépend du fait que vous lui prouviez que vous l’aimez. En passant du temps en cuisine et en dépensant des sommes folles pour lui, vous accomplissez un acte d’amour et une démonstration affective simultanés.
Comme chacun sait, les chiens ont une notion du temps très développée et une puissante force de calcul. Ils ont beau ne pas être mesquins et ne pas tenir des comptes systématiques, ils voient bien, au final, ce que vous faîtes pour eux et y sont très sensibles.
Aussi, il est important que votre chien soit en parfaite santé grâce à des menus équilibrés où chaque calorie est comptée.
Il pourra ainsi être le plus beau de tous, et comme un chien a une grande conscience de son apparence physique, il se sentira bien dans ses baskets (les Prada que vous lui avez achetées pour son anniversaire).
Bref, là aussi il sera heureux, bonheur du chien = bonheur de vous, vous l’aimez, il le sait, il le voit dans sa gamelle, il vous aime, tout va bien dans le meilleur des mondes. Harmonie.
Pour un Français moyen, tout ceci est assez choquant. Notamment pour moi, qui ai justement récemment découvert aux Philippines qu’un chien peut tout manger. Tout. Pas de chichis. Il faut savoir que le chien de base philippin est errant et ressemble un peu à un zombie. Ce chien-là, il m’a un jour arraché une noix de coco des mains et l’a ouverte avec ses dents pour la manger.
Au Japon, ce genre de situation n’existe pas. Il y a déjà peu de sans abri humains (environ 30 000 selon le gouvernement), mais les clochards canins, c’est carrément exceptionnel. Non, le chien ne vit pas seul dehors, il fait partie d’une famille, d’un foyer.
Reste à savoir ce qu’il deviendra lorsque ses maîtres mourront. Il n’aura alors plus personne pour lui préparer à manger, mais il héritera d’un joli patrimoine pécuniaire et immobilier. De quoi le placer dans un établissement hôtelier où il sera nourri, logé et cajolé jusqu’à la fin de ses jours, ou bien de quoi engager des employés à domicile qui viendront prendre soin de lui. Oui, mais après ? Qui sera l’héritier du chien ? S’il n’y a plus d’enfants et si on a le droit de tout léguer à son clebs, que va devenir l’argent des Japonais ?
En attendant de pouvoir répondre à ces questions, repensons un instant aux superbes sushi préparés avec amour pour Médor, et rappelons-nous que chez les voisins coréens, vietnamiens ou indonésiens, c’est le chien que l’on mange. Asie, continent de la diversité, je t’aime.
J’aime bien le ton de cet article 🙂 Clairement le business autour du chien au Japon est incroyable. Les pratiques deviennent délirantes quand on voit des chiens se faire masser, faire du hamman, porter des habits de luxe, du cachemire, dormir dans des hôtels de luxe pour chien, avoir une sépulture digne d’un prince, etc. J’ai envie de leur dire de faire des enfants, ça sera bien plus profitable pour leur pays 🙂